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Ariane Web: Conseil d'État 452060, lecture du 13 juillet 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:452060.20210713

Décision n° 452060
13 juillet 2021
Conseil d'État

N° 452060
ECLI:FR:CECHR:2021:452060.20210713
Inédit au recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Céline Roux, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public


Lecture du mardi 13 juillet 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire enregistrés les 27 avril, 4 mai, 31 mai et 23 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'association pour l'égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance n° 2021-238 du 3 mars 2021 favorisant l'égalité des chances pour l'accès à certaines écoles de service public, du décret n° 2021-239 du 3 mars 2021 instituant des modalités d'accès à certaines écoles de service public et relatif aux cycles de formation y préparant, des arrêtés du président du Centre national de la fonction publique du 8 mars 2021 portant ouverture de concours pour les administrateurs territoriaux et du 1er avril 2021 fixant le nombre de postes ouverts aux concours pour le recrutement des administrateurs territoriaux, de l'arrêté de la ministre de la transformation et de la fonction publiques du 25 mars 2021 autorisant l'ouverture du concours externe, du deuxième concours externe, du concours externe spécial, du concours interne et du troisième concours d'entrée à l'Ecole nationale d'administration pour l'année 2021 et des arrêtés du ministre des solidarités et de la santé du 8 avril 2021 portant ouverture des concours d'admission aux cycles de formation des élèves directeurs d'hôpital et des élèves directeurs d'établissement sanitaire, social et médico-social, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'ordonnance n° 2021-238 du 3 mars 2021 favorisant l'égalité des chances pour l'accès à certaines écoles de service public.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2021-238 du 3 mars 2021 ;
- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 juillet 2021 présentée par l'association pour l'égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Roux, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Une question prioritaire de constitutionnalité, présentée par un mémoire distinct et portant sur les dispositions d'une ordonnance prise par le Gouvernement sur le fondement d'une habilitation donnée par le Parlement sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, est recevable si le délai d'habilitation est expiré et qu'elle porte sur la contestation, au regard des droits et libertés que la Constitution garantit, de dispositions de l'ordonnance qui relèvent du domaine de la loi. Elle doit alors être transmise au Conseil constitutionnel si les conditions fixées par les articles 23-2, 23-4 et 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel sont remplies.

3. L'ordonnance du 3 mars 2021 favorisant l'égalité des chances pour l'accès à certaines écoles de service public a été prise sur le fondement des dispositions de l'article 59 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Le délai d'habilitation, résultant de ces dispositions et de celles de l'article 14 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, est expiré à la date de la présente décision. La ministre de la transformation et de la fonction publiques n'est ainsi pas fondée à soutenir que la question posée ne pourrait être examinée faute pour le mémoire distinct l'ayant soulevée d'avoir été enregistré après l'expiration du délai d'habilitation.

4. Il appartient au Conseil d'Etat, statuant sur la transmission au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre de dispositions d'une ordonnance, de déterminer si les dispositions critiquées de l'ordonnance relèvent du domaine de la loi ou de la compétence réglementaire

5. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 3 mars 2021 favorisant l'égalité des chances pour l'accès à certaines écoles de service public : " A titre expérimental, jusqu'au 31 décembre 2024, un concours externe spécial est organisé pour l'accès à certaines écoles ou certains organismes assurant la formation de fonctionnaires. / Peuvent se présenter à ce concours les personnes qui suivent, à la date de clôture des inscriptions, ou ont suivi, dans les quatre années civiles précédant l'année au cours de laquelle le concours est ouvert, un cycle de formation préparant à l'un ou plusieurs des concours externes ou assimilés donnant accès à ces écoles ou organismes, accessible au regard de critères sociaux et à l'issue d'une procédure de sélection. " L'article 2 de la même ordonnance dispose que : " Les procédures de sélection pour être admis à suivre les cycles de formation tiennent compte des parcours de formation, des aptitudes et de la motivation des candidats. / Elles sont ouvertes aux candidats remplissant les conditions requises des candidats aux concours externes ou assimilés d'accès à l'école ou à l'organisme mentionné à l'article 1er ainsi que les critères sociaux mentionnés au second alinéa de l'article 1er " L'article 3 de cette ordonnance prévoit que : " Pour l'accès aux écoles ou organismes mentionné à l'article 1er, les candidats au concours externe spécial sont sélectionnés par le jury du concours externe ou assimilé. Les programmes et les épreuves sont identiques à ceux du concours externe. / Le nombre de places offertes, au titre d'une année, aux lauréats de ce concours ne peut être supérieur à 15 % du nombre de places offertes au titre du concours externe ou assimilé d'accès à cette école ou cet organisme ". Aux termes de l'article 4 de cette ordonnance : " La liste des concours des écoles et organismes pour lesquels l'accès prévu à l'article 1er est ouvert, l'objet et la nature des cycles de formation y préparant ainsi que, par dérogation au VI de l'article L. 612-3 du code de l'éducation, les conditions d'admission à ces cycles sont fixés par décret en Conseil d'Etat. Ce décret détermine également l'objet et la nature des cycles de formation existant à la date de publication de la présente ordonnance dont les étudiants ou anciens étudiants sont admis à se présenter aux concours externes spéciaux ainsi que les conditions de ressources exigées d'eux ". Compte tenu, notamment, de ce que l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer les règles relatives aux garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat, ces dispositions, qui fixent de telles règles, relèvent du domaine de la loi.

6. L'association requérante fait valoir, au soutien de sa question prioritaire de constitutionnalité, que l'ordonnance du 3 mars 2021 méconnaît le principe d'égal accès aux emplois publics énoncé à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 1er de la Constitution et l'étendue de la compétence du législateur, en tant que les dispositions de ses articles 1er à 4 instaurent une voie d'accès spécifique à des écoles de service public qui n'est justifiée ni par les mérites des candidats, ni par les besoins du service public et qui repose sur des critères sociaux insuffisamment définis.

7. Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur de prendre des mesures propres à venir en aide à des catégories de personnes défavorisées dès lors que les différences de traitement qui en résultent répondent à des fins d'intérêt général qu'il appartient au législateur d'apprécier.

8. Si le principe de l'égal accès des citoyens aux emplois publics, proclamé par l'article 6 de la Déclaration de 1789, impose que, dans les nominations de fonctionnaires, il ne soit tenu compte que de la capacité, des vertus et des talents, il ne s'oppose pas à ce que les règles de recrutement destinées à permettre l'appréciation des aptitudes et des qualités des candidats à l'entrée dans une école de formation ou dans un corps de fonctionnaires soient différenciées pour tenir compte tant de la variété des mérites à prendre en considération que de celle des besoins du service public.

9. En vue d'accroître la diversité des profils des personnes constituant la fonction publique, les dispositions des articles 1er à 4 de l'ordonnance du 3 mars 2021 autorisent, dans le cadre d'un dispositif expérimental se déroulant jusqu'en 2024, l'organisation, pour l'accès à certaines écoles ou certains organismes assurant la formation de fonctionnaires, d'un concours externe spécial, régi par les mêmes conditions de diplôme, comportant le même programme et les mêmes épreuves et faisant l'objet du même jury que le concours externe. Ce concours externe spécial, qui ne peut représenter une proportion supérieure à 15% des recrutements opérés par la voie du concours externe, est ouvert aux personnes qui suivent ou ont suivi un cycle de formation préparant, notamment, à ce concours, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat. Ce cycle de formation est accessible au regard de critères sociaux à l'issue d'une procédure de sélection tenant compte des parcours de formation, des aptitudes et de la motivation des candidats. Dès lors, ces dispositions prévoient l'organisation de concours externes spéciaux qui, d'une part, sont accessibles au regard de critères objectifs et rationnels en relation directe avec l'objet qui leur est assigné et, d'autre part, et contrairement à ce que soutient la requérante, reposent sur l'appréciation des mérites des candidats et répondent à la volonté de diversifier les profils des personnes recrutées dans la fonction publique et partant, à un motif d'intérêt général. En outre, dès lors que le législateur a prévu que l'accès à un cycle de formation permettant d'accéder au concours externe spécial est soumis notamment à des critères sociaux, il a pu renvoyer au décret en Conseil d'Etat le soin de définir les conditions de ressources exigées des candidats à cet égard, l'admission à concourir n'étant au demeurant pas directement fondée sur des critères sociaux, lesquels président uniquement à l'accès aux cycles de formation préparant à ces concours. Par suite, le moyen présenté par l'association requérante et tiré de ce que les dispositions de cette ordonnance, en tant que ses articles 1er à 4 instaurent une voie d'accès spécifique à des écoles de service public qui n'est justifiée ni par les mérites des candidats, ni par les besoins du service public et qui repose sur des critères sociaux insuffisamment définis, méconnaitraient le principe d'égal accès aux emplois publics énoncé à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 1er de la Constitution et l'étendue de la compétence du législateur ne soulève pas une question nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux.

10. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association pour l'égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association pour l'égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine, au ministre des solidarités et de la santé, à la ministre de la transformation et de la fonction publiques, à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et au Premier ministre.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.


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