Conseil d'État
N° 439436
ECLI:FR:CECHR:2021:439436.20210730
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Sophie-Caroline de Margerie, rapporteur
M. Philippe Ranquet, rapporteur public
CABINET BRIARD, avocats
Lecture du vendredi 30 juillet 2021
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 10 mars, 6 juillet et 1er décembre 2020 et les 3 et 9 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 21 février 2020 accordant son extradition aux autorités burkinabè ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord de coopération en matière de justice signé par la République française et la République de Haute-Volta le 24 avril 1961 ;
- l'accord en matière de justice signé entre la République française et la République de la Côte d'Ivoire le 24 avril 1961 ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations du public et de l'administration ;
- la décision du 31 décembre 2020 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... par mémoire enregistré le 28 octobre 2020 à l'encontre des dispositions du second alinéa de l'article 696-18 du code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- Le rapport de Mme D... B..., conseillère d'Etat,
- Les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Briard, avocat de M. A... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 juillet 2021, présentée par M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par le décret attaqué, le Premier ministre a accordé aux autorités burkinabè l'extradition de M. C... A..., de nationalité burkinabè et ivoirienne, pour l'exécution d'un mandat d'arrêt décerné le 5 mai 2017 par le juge d'instruction du tribunal de grande instance d'Ouagadougou pour des faits qualifiés d'incitation à assassinats.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Le 7° de l'article 696-4 du code de procédure pénale dispose que l'extradition n'est pas accordée " lorsque la personne réclamée serait jugée dans l'Etat requérant par un tribunal n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense ".
4. M. A... soutient que le législateur a méconnu sa propre compétence dans des conditions affectant notamment le principe de nécessité et de proportionnalité des peines, la compétence de l'autorité judiciaire, et le droit à un procès équitable et à un recours juridictionnel effectif ainsi que les droits de la défense, en ce que le 7° de l'article 696-4 du code de procédure pénale ne prévoit pas que l'Etat requérant doive assurer à la personne réclamée des garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense au stade de l'aménagement de la peine.
5. Toutefois, par ces dispositions, le législateur s'est borné, en reprenant le principe général du droit de l'extradition interdisant toute extradition lorsque le système judiciaire de l'Etat requérant ne respecte pas les droits et libertés fondamentaux de la personne, à définir les obligations pesant sur les autorités françaises, sous le contrôle du juge, quant à la vérification des garanties procédurales en matière juridictionnelle offertes par ce pays. Il ne saurait être utilement reproché à ces dispositions d'être entachées d'incompétence négative au motif qu'elles ne définiraient pas des obligations de vérification portant sur un objet distinct.
6. Il résulte de ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la disposition contestée ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Sur les autres moyens :
7. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par le secrétaire général du gouvernement, que ce décret a été signé par le Premier ministre et contresigné par la garde des sceaux, ministre de la justice. La circonstance que l'ampliation notifiée à M. A... ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la légalité du décret attaqué.
8. En deuxième lieu, le décret attaqué comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et satisfait ainsi à l'exigence de motivation prévue à l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
9. En troisième lieu, la seule invocation d'une déclaration faite par le Président de la République française au cours d'une visite officielle au Burkina-Faso n'est, en tout état de cause, pas de nature à entacher d'un défaut d'impartialité le décret attaqué.
10. En quatrième lieu, si l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration soumet au respect d'une procédure contradictoire préalable les décisions qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du même code, ces dispositions, en vertu du 3° de l'article L. 121-2 du même code, ne sont pas applicables aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière. Les articles 696-8 et suivants du code de procédure pénale régissent la procédure préalable à l'extradition en prévoyant une procédure contradictoire particulière, destinée à garantir les droits de la défense, dont il a été fait application en l'espèce. Au demeurant, la personne réclamée a la faculté de faire valoir ses observations jusqu'à l'intervention d'un décret d'extradition. Ainsi, les prescriptions de l'article L. 121-1 ne peuvent être utilement invoquées par M. A... pour soutenir que le décret qu'il attaque aurait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière.
11. En cinquième lieu, M. A..., qui possède la nationalité ivoirienne, soutient qu'avant de décider de son extradition vers le Burkina-Faso, le gouvernement français aurait dû consulter le gouvernement ivoirien en vertu des stipulations de l'article 1er de la convention franco-ivoirienne en matière de justice conclue le 24 avril 1961 qui prévoient un échange régulier d'informations entre les deux Etats. Toutefois, ces stipulations créent seulement des obligations entre Etats, sans ouvrir de droits dont les particuliers pourraient directement se prévaloir. M. A... ne peut, dès lors, utilement invoquer ces stipulations pour contester la légalité du décret attaqué. De même, la circonstance que l'intéressé pouvait, le cas échéant, se prévaloir de la protection de la Côte d'Ivoire ne faisait pas obligation au gouvernement français d'informer cet Etat de la procédure d'extradition engagée à son encontre.
12. En sixième lieu, en vertu d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, l'Etat doit refuser l'extradition d'un étranger lorsqu'elle est demandée dans un but politique. Le décret attaqué accorde l'extradition de M. A... aux autorités burkinabè pour des faits d'incitation à assassinats qui ne présentent pas un caractère politique. Il ne ressort pas des éléments versés au dossier que l'extradition aurait été demandée par les autorités burkinabè dans un but autre que la répression, par les juridictions burkinabè, des infractions de droit commun qui sont reprochées à l'intéressé. M. A... n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que son extradition aurait été demandée dans un but politique. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe fondamental reconnu par les lois de la République qui prohibe l'extradition à des fins politiques et, en tout état de cause, du 2° de l'article 696-4 du code de procédure pénale ne peut, ainsi, qu'être écarté.
13. En septième lieu, aux termes du point c) de l'article 51 de l'accord de coopération en matière de justice signé par la République française et le République de Haute-Volta le 24 avril 1961, qui régit la présente procédure d'extradition : " L'extradition sera refusée si la prescription de l'action ou de la peine est acquise d'après la législation (...) de l'Etat requis lors de la réception de la demande par l'Etat requis ". Il ressort des pièces du dossier qu'après la confirmation, le 16 août 2006, par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Ouagadougou, de l'ordonnance de non-lieu prononcée le 18 juillet 2006 par le magistrat instructeur s'agissant des faits pour lesquels l'extradition est demandée, l'action publique a été remise en mouvement par une ordonnance de réouverture du 7 avril 2015 à la suite d'un réquisitoire aux fins de réouverture et de saisine du juge d'instruction en date du 30 mars 2015. Si M. A... se prévaut d'irrégularités qui entacheraient ces actes de procédure, il n'appartient pas au Conseil d'Etat statuant au contentieux d'apprécier la régularité des actes des autorités judiciaires étrangères pour l'exécution duquel l'extradition a été sollicitée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 51 de l'accord du 24 mars 1961 doit être écarté.
14. En huitième lieu, la régularité, au regard du droit burkinabè, du mandat d'arrêt du 5 mai 2017 décerné contre M. A... ne saurait être utilement contestée devant le Conseil d'Etat. Par ailleurs, il appartiendra à l'intéressé, s'il s'y croit fondé, de contester devant la juridiction compétente la valeur probante des éléments retenus à son encontre, dont il n'est pas établi qu'ils auraient été recueillis dans des conditions contraires à l'ordre public français.
15. En neuvième lieu, si M. A... soutient qu'en cas d'exécution du décret attaqué, les conditions dans lesquelles il viendrait à être jugé au Burkina-Faso ne pourraient que méconnaître le droit de bénéficier d'une procédure impartiale et équitable, reconnu par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques et le 7° de l'article 696-4 du code de procédure pénale, ses allégations se fondent sur des éléments de portée générale sur le système juridictionnel burkinabè et la situation politique de ce pays ainsi que sur la simple invocation de sa proximité avec l'ancien chef de l'Etat du Burkina-Faso et la mise en cause des modalités de recueil des preuves, sans que soient apportés des éléments circonstanciés et probants de nature à établir qu'il risquerait d'être personnellement privé du droit à un procès équitable. En outre, le décret attaqué, qui prend acte des réformes du code pénal et du code de procédure pénale du Burkina-Faso intervenues ces dernières années pour reprendre les principes directeurs de la procédure pénale résultant des conventions internationales relatives aux garanties devant entourer tout procès ainsi que des engagements pris par les autorités burkinabè à ce titre, a subordonné l'extradition à la condition que M. A... bénéficie d'un procès équitable, incluant notamment l'assistance d'un avocat, avec lequel il pourra s'entretenir confidentiellement à chaque fois qu'il le souhaitera.
16. En dixième lieu, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. " Ces stipulations font obstacle à l'extradition d'une personne exposée à une peine incompressible de réclusion perpétuelle, sans possibilité de réexamen et, le cas échéant, d'élargissement. Si M. A... soutient qu'en cas d'exécution du décret attaqué, il risque d'être exposé à une telle peine, il ressort des pièces du dossier, notamment des informations transmises par les autorités burkinabè, le 16 décembre 2019, qu'en vertu du code burkinabè de procédure pénale, les personnes condamnées à la peine de réclusion criminelle à perpétuité peuvent bénéficier, sous réserve de bonne conduite, d'une libération conditionnelle après une période minimale de détention de vingt-cinq ans. En prenant acte, le décret attaqué a précisé que l'extradition n'était accordée que sous réserve que M. A... puisse y prétendre en cas de condamnation à une peine d'emprisonnement à vie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, en raison de la peine encourue, des stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'ordre public français et, en tout état de cause, du 6° de l'article 696-4 du code de procédure pénale ne peut qu'être écarté.
17. En onzième lieu, si M. A... soutient qu'en cas d'exécution du décret attaqué, il risquerait d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants en raison des conditions de détention dans les prisons burkinabè et de sa situation personnelle qui l'exposerait particulièrement, il ressort des pièces du dossier que le ministre de la justice du Burkina-Faso, tout en reconnaissant les difficultés du système pénitentiaire burkinabè, a, par des lettres des 24 novembre 2017 et 16 décembre 2019, pris des engagements sur le lieu et les conditions de détention de M. A.... Par ailleurs, les autorités burkinabè ont fait connaître les dispositions nationales et les engagements internationaux prohibant et réprimant la torture dans leur pays, ainsi que les dispositifs de contrôle à cet effet, de nature à garantir que M. A... ne soit pas pas soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants contraires aux exigences de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le décret attaqué indique que l'extradition n'est accordée que sous réserve du respect des conditions reprenant les garanties apportées par les autorités burkinabè, en ce qui concerne le lieu de détention et en précisant en particulier que M. A... aurait accès à un service médical adapté et pourrait rencontrer son avocat ou toute personne chargée de sa défense et s'entretenir confidentiellement avec eux. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait, pour ce qui concerne les conditions d'une éventuelle détention, les exigences résultant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 10 du pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l'ordre public français.
18. En douzième et dernier lieu, une décision d'extradition est susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et peut affecter de manière suffisamment directe et certaine la situation des enfants mineurs de la personne dont l'extradition est demandée et qui en a la charge effective et continue, et constituer ainsi une décision dans l'appréciation de laquelle son auteur doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant en vertu de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Toutefois, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition, qui est de permettre, dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes se trouvant en France qui sont poursuivies à l'étranger pour des crimes ou des délits commis hors de France que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l'étranger pour de tels crimes ou délits. La circonstance que l'intéressé soit marié et ait des enfants dont le plus jeune est mineur et nécessite des soins médicaux et que sa famille vive en France, n'est pas de nature à faire obstacle, dans l'intérêt de l'ordre public, à l'exécution de son extradition. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
19. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 21 février 2020 accordant son extradition aux autorités burkinabè. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... à l'encontre des dispositions du 7° de l'article 696-4 du code de procédure pénale.
Article 2 : La requête de M. A... est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
N° 439436
ECLI:FR:CECHR:2021:439436.20210730
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Sophie-Caroline de Margerie, rapporteur
M. Philippe Ranquet, rapporteur public
CABINET BRIARD, avocats
Lecture du vendredi 30 juillet 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 10 mars, 6 juillet et 1er décembre 2020 et les 3 et 9 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 21 février 2020 accordant son extradition aux autorités burkinabè ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord de coopération en matière de justice signé par la République française et la République de Haute-Volta le 24 avril 1961 ;
- l'accord en matière de justice signé entre la République française et la République de la Côte d'Ivoire le 24 avril 1961 ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations du public et de l'administration ;
- la décision du 31 décembre 2020 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... par mémoire enregistré le 28 octobre 2020 à l'encontre des dispositions du second alinéa de l'article 696-18 du code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- Le rapport de Mme D... B..., conseillère d'Etat,
- Les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Briard, avocat de M. A... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 juillet 2021, présentée par M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par le décret attaqué, le Premier ministre a accordé aux autorités burkinabè l'extradition de M. C... A..., de nationalité burkinabè et ivoirienne, pour l'exécution d'un mandat d'arrêt décerné le 5 mai 2017 par le juge d'instruction du tribunal de grande instance d'Ouagadougou pour des faits qualifiés d'incitation à assassinats.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Le 7° de l'article 696-4 du code de procédure pénale dispose que l'extradition n'est pas accordée " lorsque la personne réclamée serait jugée dans l'Etat requérant par un tribunal n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense ".
4. M. A... soutient que le législateur a méconnu sa propre compétence dans des conditions affectant notamment le principe de nécessité et de proportionnalité des peines, la compétence de l'autorité judiciaire, et le droit à un procès équitable et à un recours juridictionnel effectif ainsi que les droits de la défense, en ce que le 7° de l'article 696-4 du code de procédure pénale ne prévoit pas que l'Etat requérant doive assurer à la personne réclamée des garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense au stade de l'aménagement de la peine.
5. Toutefois, par ces dispositions, le législateur s'est borné, en reprenant le principe général du droit de l'extradition interdisant toute extradition lorsque le système judiciaire de l'Etat requérant ne respecte pas les droits et libertés fondamentaux de la personne, à définir les obligations pesant sur les autorités françaises, sous le contrôle du juge, quant à la vérification des garanties procédurales en matière juridictionnelle offertes par ce pays. Il ne saurait être utilement reproché à ces dispositions d'être entachées d'incompétence négative au motif qu'elles ne définiraient pas des obligations de vérification portant sur un objet distinct.
6. Il résulte de ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la disposition contestée ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Sur les autres moyens :
7. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par le secrétaire général du gouvernement, que ce décret a été signé par le Premier ministre et contresigné par la garde des sceaux, ministre de la justice. La circonstance que l'ampliation notifiée à M. A... ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la légalité du décret attaqué.
8. En deuxième lieu, le décret attaqué comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et satisfait ainsi à l'exigence de motivation prévue à l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
9. En troisième lieu, la seule invocation d'une déclaration faite par le Président de la République française au cours d'une visite officielle au Burkina-Faso n'est, en tout état de cause, pas de nature à entacher d'un défaut d'impartialité le décret attaqué.
10. En quatrième lieu, si l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration soumet au respect d'une procédure contradictoire préalable les décisions qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du même code, ces dispositions, en vertu du 3° de l'article L. 121-2 du même code, ne sont pas applicables aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière. Les articles 696-8 et suivants du code de procédure pénale régissent la procédure préalable à l'extradition en prévoyant une procédure contradictoire particulière, destinée à garantir les droits de la défense, dont il a été fait application en l'espèce. Au demeurant, la personne réclamée a la faculté de faire valoir ses observations jusqu'à l'intervention d'un décret d'extradition. Ainsi, les prescriptions de l'article L. 121-1 ne peuvent être utilement invoquées par M. A... pour soutenir que le décret qu'il attaque aurait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière.
11. En cinquième lieu, M. A..., qui possède la nationalité ivoirienne, soutient qu'avant de décider de son extradition vers le Burkina-Faso, le gouvernement français aurait dû consulter le gouvernement ivoirien en vertu des stipulations de l'article 1er de la convention franco-ivoirienne en matière de justice conclue le 24 avril 1961 qui prévoient un échange régulier d'informations entre les deux Etats. Toutefois, ces stipulations créent seulement des obligations entre Etats, sans ouvrir de droits dont les particuliers pourraient directement se prévaloir. M. A... ne peut, dès lors, utilement invoquer ces stipulations pour contester la légalité du décret attaqué. De même, la circonstance que l'intéressé pouvait, le cas échéant, se prévaloir de la protection de la Côte d'Ivoire ne faisait pas obligation au gouvernement français d'informer cet Etat de la procédure d'extradition engagée à son encontre.
12. En sixième lieu, en vertu d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, l'Etat doit refuser l'extradition d'un étranger lorsqu'elle est demandée dans un but politique. Le décret attaqué accorde l'extradition de M. A... aux autorités burkinabè pour des faits d'incitation à assassinats qui ne présentent pas un caractère politique. Il ne ressort pas des éléments versés au dossier que l'extradition aurait été demandée par les autorités burkinabè dans un but autre que la répression, par les juridictions burkinabè, des infractions de droit commun qui sont reprochées à l'intéressé. M. A... n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que son extradition aurait été demandée dans un but politique. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe fondamental reconnu par les lois de la République qui prohibe l'extradition à des fins politiques et, en tout état de cause, du 2° de l'article 696-4 du code de procédure pénale ne peut, ainsi, qu'être écarté.
13. En septième lieu, aux termes du point c) de l'article 51 de l'accord de coopération en matière de justice signé par la République française et le République de Haute-Volta le 24 avril 1961, qui régit la présente procédure d'extradition : " L'extradition sera refusée si la prescription de l'action ou de la peine est acquise d'après la législation (...) de l'Etat requis lors de la réception de la demande par l'Etat requis ". Il ressort des pièces du dossier qu'après la confirmation, le 16 août 2006, par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Ouagadougou, de l'ordonnance de non-lieu prononcée le 18 juillet 2006 par le magistrat instructeur s'agissant des faits pour lesquels l'extradition est demandée, l'action publique a été remise en mouvement par une ordonnance de réouverture du 7 avril 2015 à la suite d'un réquisitoire aux fins de réouverture et de saisine du juge d'instruction en date du 30 mars 2015. Si M. A... se prévaut d'irrégularités qui entacheraient ces actes de procédure, il n'appartient pas au Conseil d'Etat statuant au contentieux d'apprécier la régularité des actes des autorités judiciaires étrangères pour l'exécution duquel l'extradition a été sollicitée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 51 de l'accord du 24 mars 1961 doit être écarté.
14. En huitième lieu, la régularité, au regard du droit burkinabè, du mandat d'arrêt du 5 mai 2017 décerné contre M. A... ne saurait être utilement contestée devant le Conseil d'Etat. Par ailleurs, il appartiendra à l'intéressé, s'il s'y croit fondé, de contester devant la juridiction compétente la valeur probante des éléments retenus à son encontre, dont il n'est pas établi qu'ils auraient été recueillis dans des conditions contraires à l'ordre public français.
15. En neuvième lieu, si M. A... soutient qu'en cas d'exécution du décret attaqué, les conditions dans lesquelles il viendrait à être jugé au Burkina-Faso ne pourraient que méconnaître le droit de bénéficier d'une procédure impartiale et équitable, reconnu par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques et le 7° de l'article 696-4 du code de procédure pénale, ses allégations se fondent sur des éléments de portée générale sur le système juridictionnel burkinabè et la situation politique de ce pays ainsi que sur la simple invocation de sa proximité avec l'ancien chef de l'Etat du Burkina-Faso et la mise en cause des modalités de recueil des preuves, sans que soient apportés des éléments circonstanciés et probants de nature à établir qu'il risquerait d'être personnellement privé du droit à un procès équitable. En outre, le décret attaqué, qui prend acte des réformes du code pénal et du code de procédure pénale du Burkina-Faso intervenues ces dernières années pour reprendre les principes directeurs de la procédure pénale résultant des conventions internationales relatives aux garanties devant entourer tout procès ainsi que des engagements pris par les autorités burkinabè à ce titre, a subordonné l'extradition à la condition que M. A... bénéficie d'un procès équitable, incluant notamment l'assistance d'un avocat, avec lequel il pourra s'entretenir confidentiellement à chaque fois qu'il le souhaitera.
16. En dixième lieu, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. " Ces stipulations font obstacle à l'extradition d'une personne exposée à une peine incompressible de réclusion perpétuelle, sans possibilité de réexamen et, le cas échéant, d'élargissement. Si M. A... soutient qu'en cas d'exécution du décret attaqué, il risque d'être exposé à une telle peine, il ressort des pièces du dossier, notamment des informations transmises par les autorités burkinabè, le 16 décembre 2019, qu'en vertu du code burkinabè de procédure pénale, les personnes condamnées à la peine de réclusion criminelle à perpétuité peuvent bénéficier, sous réserve de bonne conduite, d'une libération conditionnelle après une période minimale de détention de vingt-cinq ans. En prenant acte, le décret attaqué a précisé que l'extradition n'était accordée que sous réserve que M. A... puisse y prétendre en cas de condamnation à une peine d'emprisonnement à vie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, en raison de la peine encourue, des stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'ordre public français et, en tout état de cause, du 6° de l'article 696-4 du code de procédure pénale ne peut qu'être écarté.
17. En onzième lieu, si M. A... soutient qu'en cas d'exécution du décret attaqué, il risquerait d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants en raison des conditions de détention dans les prisons burkinabè et de sa situation personnelle qui l'exposerait particulièrement, il ressort des pièces du dossier que le ministre de la justice du Burkina-Faso, tout en reconnaissant les difficultés du système pénitentiaire burkinabè, a, par des lettres des 24 novembre 2017 et 16 décembre 2019, pris des engagements sur le lieu et les conditions de détention de M. A.... Par ailleurs, les autorités burkinabè ont fait connaître les dispositions nationales et les engagements internationaux prohibant et réprimant la torture dans leur pays, ainsi que les dispositifs de contrôle à cet effet, de nature à garantir que M. A... ne soit pas pas soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants contraires aux exigences de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le décret attaqué indique que l'extradition n'est accordée que sous réserve du respect des conditions reprenant les garanties apportées par les autorités burkinabè, en ce qui concerne le lieu de détention et en précisant en particulier que M. A... aurait accès à un service médical adapté et pourrait rencontrer son avocat ou toute personne chargée de sa défense et s'entretenir confidentiellement avec eux. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait, pour ce qui concerne les conditions d'une éventuelle détention, les exigences résultant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 10 du pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l'ordre public français.
18. En douzième et dernier lieu, une décision d'extradition est susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et peut affecter de manière suffisamment directe et certaine la situation des enfants mineurs de la personne dont l'extradition est demandée et qui en a la charge effective et continue, et constituer ainsi une décision dans l'appréciation de laquelle son auteur doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant en vertu de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Toutefois, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition, qui est de permettre, dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes se trouvant en France qui sont poursuivies à l'étranger pour des crimes ou des délits commis hors de France que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l'étranger pour de tels crimes ou délits. La circonstance que l'intéressé soit marié et ait des enfants dont le plus jeune est mineur et nécessite des soins médicaux et que sa famille vive en France, n'est pas de nature à faire obstacle, dans l'intérêt de l'ordre public, à l'exécution de son extradition. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
19. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 21 février 2020 accordant son extradition aux autorités burkinabè. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... à l'encontre des dispositions du 7° de l'article 696-4 du code de procédure pénale.
Article 2 : La requête de M. A... est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.