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Ariane Web: Conseil d'État 455442, lecture du 24 août 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:455442.20210824

Décision n° 455442
24 août 2021
Conseil d'État

N° 455442
ECLI:FR:CEORD:2021:455442.20210824
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du mardi 24 août 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 et 18 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat Jeunes Médecins demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre au gouvernement de maintenir le port du masque obligatoire dans les services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux et dans les établissements de santé des armées pour toutes les personnes présentes dans ces établissements, y compris lorsqu'elles sont détentrices du " passe sanitaire " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, les mesures gouvernementales relatives à la gestion de la crise sanitaire sont d'application immédiate, en deuxième lieu, les personnes se rendant dans les hôpitaux ne sont plus dans l'obligation de porter un masque si elles disposent du " passe sanitaire ", en troisième lieu, la détention du " passe sanitaire " n'empêche pas ces personnes d'être porteuses du virus, en quatrième lieu, la situation épidémique en France est préoccupante et le nombre de patients contaminés par la Covid-19 est en forte augmentation et, en dernier lieu, le variant Delta du virus de la Covid-19 est particulièrement contagieux ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie dès lors que, en premier lieu, il revenait au Premier ministre de s'assurer que les mesures prises relatives au " passe sanitaire " permettraient la protection de la santé publique et de lutter contre la propagation du virus, et le cas échéant de prendre des mesures supplémentaires à celles prévues par le législateur, en deuxième lieu, la personne pourvue d'un " passe sanitaire " peut être porteuse du virus et contaminer d'autres personnes, notamment les populations vulnérables au sein des hôpitaux, la très grande contagiosité du variant Delta aboutissant à ce que des personnes vaccinées soient porteuses du virus et, d'autre part, les personnes détenant un test datant de 72 heures pouvant avoir contracté le virus après le test et ainsi être porteuses du virus, en troisième lieu, rien ne justifie que des règles différentes soient appliquées pour les transports de longue durée et pour les hôpitaux et, en dernier lieu, le principe de précaution doit s'appliquer.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 août, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit d'observations.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié notamment par le décret n° 2021-1059 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le syndicat Jeunes Médecins et d'autre part, le Premier ministre et la ministre des solidarités et de la santé ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 19 juillet 2021, à 11 heures :
- les représentants du syndicat Jeunes médecins ;
- le représentant du ministre des solidarités et de la santé ;

à l'issue de laquelle la clôture de l'instruction a été reportée au 20 août 2021 à 18 heures ;
Vu le mémoire enregistré le 20 août 2021, présenté par le ministre des solidarités et de la santé ;

Vu le mémoire enregistré le 20 août 2021, présenté par le syndicat Jeunes Médecins ;



Considérant ce qui suit :

1. A... termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Les dispositions du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, dans leur rédaction issue de l'article 1er de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, prévoient que le Premier ministre peut, jusqu'au 15 novembre 2021, " A... seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 : (...) 2° " Subordonner à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 l'accès à certains lieux, établissements, services ou évènements où sont exercées les activités suivantes : (...) d) Sauf en cas d'urgence, les services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, pour les seules personnes accompagnant ou rendant visite A... personnes accueillies dans ces services et établissements ainsi que pour celles qui y sont accueillies pour des soins programmés. La personne qui justifie remplir les conditions prévues au présent 2° ne peut se voir imposer d'autres restrictions d'accès liées à l'épidémie de covid-19 pour rendre visite à une personne accueillie et ne peut se voir refuser l'accès à ces services et établissements que pour des motifs tirés des règles de fonctionnement et de sécurité de l'établissement ou du service, y compris de sécurité sanitaire (...). " L'article 2-2 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire précise les conditions auxquelles le résultat d'un examen de dépistage virologique, un justificatif de statut vaccinal ou un certificat de rétablissement satisfont A... exigences fixées par le II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021. Le II de l'article 47-1 du même décret, dans sa rédaction issue du décret du 7 août 2021, prévoit que ces documents " doivent être présentés pour l'accès des participants, visiteurs, spectateurs, clients ou passagers A... établissements, lieux, services et évènements suivants : (...) 9° : Les services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux mentionnés au d du 2° du II de l'article 1er de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, ainsi que les établissements de santé des armées, pour l'accueil, sauf en situation d'urgence et sauf pour l'accès à un dépistage de la covid-19, des personnes suivantes : a) Lors de leur admission, les personnes accueillies dans les établissements et services de santé pour des soins programmés, sauf décision contraire du chef de service ou, en son absence, d'un représentant de l'encadrement médical ou soignant, quand l'exigence des justificatifs mentionnés à l'article 2-2 du décret est de nature à empêcher l'accès A... soins du patient dans des délais utiles à sa bonne prise en charge ; b) Les personnes accompagnant celles accueillies dans ces services et établissements ou leur rendant visite à l'exclusion des personnes accompagnant ou rendant visite à des personnes accueillies dans des établissements et services médico sociaux pour enfants (...). " A... termes du V du même article : " Les obligations de port du masque prévues au présent décret ne sont pas applicables A... personnes ayant accédé A... établissements, lieux, services et événements dans les conditions prévues au présent article à l'exception de ceux relevant du 10° du II. Le port du masque peut toutefois être rendu obligatoire par le préfet de département lorsque les circonstances locales le justifient, ainsi que par l'exploitant ou l'organisateur. " Enfin, si le décret du 1er juin 2021 ne comporte pas de dispositions imposant le port du masque dans les services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, non plus que dans les établissements de santé des armées, il découle des dispositions de son article 27 qu'il peut y être rendu obligatoire par l'exploitant dans tous les établissements pour lesquels le décret ne l'impose pas lui-même.

3. Le syndicat Jeunes Médecins demande au Conseil d'Etat d'enjoindre au gouvernement de maintenir le port du masque obligatoire dans les services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux et dans les établissements de santé des armées pour toutes les personnes présentes dans ces établissements, y compris lorsqu'elles sont détentrices du " passe sanitaire ", en faisant valoir, notamment, le risque de contamination qu'elles peuvent continuer de faire courir A... tiers, accru par la prévalence du variant Delta, la nécessité d'une vigilance particulière dans ces établissements compte tenu de la fragilité des personnes qui y sont soignées, et le fait que le décret du 1er juin 2021 prévoit que la détention d'un " passe sanitaire " ne dispense pas du port du masque dans les transports publics de longue distance.

4. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que, sous l'empire du droit actuellement en vigueur, comme d'ailleurs du droit antérieur, le pouvoir réglementaire a confié A... responsables de ces établissements le soin de décider de rendre obligatoire le port du masque dans leurs enceintes et d'en déterminer les modalités. A supposer que la première phrase du V de l'article 47-1 doive être interprété comme dispensant du port du masque les personnes détentrices d'un " passe sanitaire " dans les cas dans lesquels cette obligations résulte non seulement du décret lui-même, mais d'une décision prise par le préfet ou par l'exploitant de l'établissement, ceux-ci disposent de la possibilité de rendre le port du masque obligatoire pour l'ensemble des personnes présentes dans des établissements recevant du public, qu'elles soient détentrices ou non d'un " passe sanitaire ". Le 11 août dernier, le Gouvernement a d'ailleurs demandé A... préfets de rendre le port du masque obligatoire dans l'ensemble des établissements recevant du public dans tous les départements où le taux d'incidence dépasse 200 pour 100 000 habitants, soit une quarantaine de départements. Si le syndicat requérant soutient que seule une réglementation nationale serait susceptible de garantir le respect d'une obligation généralisée du port du masque dans les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, il n'apporte aucun élément dont il résulterait qu'à la date de la présente ordonnance, l'accès à certains de ces établissements serait ouvert à des personnes ne portant pas de masque. Dans ces conditions, la circonstance que le pouvoir réglementaire ait fait le choix de laisser A... préfets et A... responsables d'établissements la responsabilité de décider du principe et des modalités de l'obligation du port du masque dans les services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux et dans les établissements de santé des armées ne saurait être regardée, en l'état, comme créant un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, portant une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à la vie, qui justifierait à ce titre une intervention du juge des référés du Conseil d'Etat statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

5. Il résulte de ce qui précède que la requête du syndicat Jeunes Médecins doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête du syndicat Jeunes Médecins est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat Jeunes Médecins et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.