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Ariane Web: Conseil d'État 455623, lecture du 30 août 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:455623.20210830

Décision n° 455623
30 août 2021
Conseil d'État

N° 455623
ECLI:FR:CEORD:2021:455623.20210830
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du lundi 30 août 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
Par une requête, trois mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 16, 18, 20, 24 et 26 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. G... Y..., M. N... C..., Mme J... H..., M. E... F..., Mme O... Q... épouse T..., M. D... AC..., Mme Z... M..., Mme AE... I..., Mme AF... X... et Mme U... AB... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;

2°) à titre subsidiaire,
- de suspendre l'exécution de l'alinéa 2 et du III de l'alinéa 3 de l'article 2-3 du décret du 1er juin modifié relatif au contrôle des justificatifs permettant de lire les noms, prénoms et date de naissance A... la personne titulaire du " passe sanitaire " ;
- d'enjoindre au gouvernement de prévoir que l'accès aux établissements visés au II de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 modifié peut être permis à toute personne en cas d'urgence, notamment les proches des personnes accueillies dans ces établissements ainsi que les ministres du culte et les visiteurs permettant aux personnes concernées d'exercer leur culte ;
- d'enjoindre au gouvernement d'inclure dans les cas d'exemptions au " passe sanitaire " les établissements privés d'enseignement de la musique, de la danse et de l'art dramatique dispensant un enseignement initial, qui assurent l'éveil, l'initiation, puis l'acquisition des savoirs fondamentaux nécessaires à une pratique artistique autonome, à vocation professionnelle ou amatrice, au c) du 1° du II de l'article 47-1 précité ou, à défaut, de suspendre la mention " mentionnés à l'article L. 216-2 du code de l'éducation " précisée au c) du 1° du II de l'article 47-1 précité ;
- d'enjoindre au gouvernement d'exclure de l'obligation de " passe sanitaire " les établissements d'enseignement supérieur mentionnés à l'article 34 du décret du 1er juin 2021 modifié, relevant du type R, pour les activités scientifiques, éducatives ou culturelles, au d) du 1° du II de l'article 47-1 précité et, en ce sens, de suspendre l'exécution de la mention " pour les activités qui ne se rattachent pas à un cursus de formation ou qui accueillent des spectateurs ou participants extérieurs " ;
- d'enjoindre au gouvernement d'exclure de l'obligation de " passe sanitaire " les établissements de plein air visés au g) du 1° du II de l'article 47-1 précité et, en ce sens, de suspendre l'exécution de la mention " les établissements de plein air, relevant du type PA, dont l'accès fait habituellement l'objet d'un contrôle " ;
- d'enjoindre au gouvernement d'exclure de l'obligation de " passe sanitaire " les établissements sportifs couverts relevant du type X au h) du 1° du II de l'article 47-1 précité et, en ce sens, de suspendre la mention " les établissements sportifs couverts, relevant du type X, dont l'accès fait habituellement l'objet d'un contrôle " ;
- d'enjoindre au gouvernement d'inclure les terrasses dans les cas d'exemptions au " passe sanitaire " prévus au 6° du II de l'article 47-1 précité ;
- d'enjoindre au gouvernement d'exclure de l'obligation de " passe sanitaire " les établissements et services visés du 9° du II de l'article 47-1 précité ou, à titre plus subsidiaire, d'inclure dans les cas d'exemptions au " passe sanitaire " les personnes accompagnant ou rendant visite à des mineurs accueillis dans les établissements et services de santé, sociaux et médico-sociaux et, en ce sens, de suspendre le terme " médico-sociaux " figurant au b du 9° du II de l'article 47-1 précité et inclure les mineurs et non seulement les enfants ;
- d'enjoindre au gouvernement de prévoir, pour les autres établissements que ceux susvisés, l'instauration d'une jauge appréciée en fonction de la surface des établissements visés à l'article 47-1 précité ;
- d'enjoindre au gouvernement de préciser expressément que les établissements qui n'entrent pas dans le champ d'application des catégories mentionnées par le règlement pris en application de l'article R. 143-12 du code de la construction et de l'habitation sont exclus de l'obligation de " passe sanitaire " instaurée aux termes du 1° du II de l'article 14-1 précité ;
- d'enjoindre au gouvernement, d'une part, d'exclure de l'obligation vaccinale les personnes, professionnels de santé ou non, en télétravail ou travaillant dans un bureau sans contact avec des patients ou en contact avec des personnes non vulnérables, c'est-à-dire n'intervenant pas auprès de personnes âgées de plus de soixante-dix ans, de personnes malades physiquement ou handicapées physiquement et, à cet effet, de suspendre pour ces catégories de professionnels l'exécution du 8° et du 9° du décret précité et, d'autre part, de prendre toute mesure nécessaire tendant à exclure ces personnes de l'obligation vaccinale ;
- de suspendre l'exécution de l'annexe 2 du décret précité prévoyant les cas de contre-indications à la vaccination contre la Covid-19 ;
- d'enjoindre au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde des libertés fondamentales, en incluant dans les possibilités d'obtention d'un certificat de rétablissement un examen sérologique ou un certificat médical dans un délai de vingt-quatre heures ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable dès lors que, d'une part, le délai de recours est respecté et, d'autre part, ils justifient d'un intérêt à agir en ce que, en premier lieu, ils ne sont pas vaccinés et ne détiennent pas de certificat de rétablissement après avoir contacté la Covid-19, en deuxième lieu, certains d'entre eux présentent des contre-indications au prélèvement nasopharyngé ou à la vaccination et sont soumis à l'obligation vaccinale et, en dernier lieu, le décret attaqué limite leur accès à certains lieux et à l'exercice de leur profession ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, ils ne peuvent plus accéder à certains lieux essentiels, en deuxième lieu, le décret litigieux est de nature à restreindre considérablement l'exercice de plusieurs de leurs libertés fondamentales, en troisième lieu, plusieurs d'entre eux sont des professionnels de santé et sont donc soumis à l'obligation vaccinale et, en dernier lieu, certains des requérants exerçant en tant que professionnels de santé présentent des contre-indications au prélèvement nasopharyngé ou à la vaccination ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;
- le décret contesté est entaché d'un vice de procédure en l'absence d'avis de la Haute Autorité de la santé sur le certificat de rétablissement et les conditions de vaccination ;
- les dispositions du décret contesté relatives au dispositif du " passe sanitaire " ainsi que de la loi du 5 août 2021 méconnaissent les articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'elles créent de manière indirecte une obligation vaccinale dès lors que, d'une part, il est difficile pour les personnes ayant une contre-indication au test nasopharyngé d'avoir accès au " passe sanitaire " eu égard au manque de disponibilité des tests salivaires et, d'autre part, les test nasopharyngés ne sont pas adaptés à un usage répété et présenteront un coût important lorsqu'ils ne seront plus remboursés ;
- les dispositions du décret contesté relatives à l'obligation vaccinale méconnaissent la convention d'Oviedo du 4 avril 1997, la directive européenne 2001/20/CE du 4 avril 2001 et le règlement européen 536/2014 du 16 avril 2014 en ce que, en premier lieu, les vaccins bénéficient d'une autorisation de mise sur le marché conditionnelle, en deuxième lieu, ils sont en phase expérimentale et peuvent être qualifiés de " recherches " et, en dernier lieu, toute recherche effectuée sur une personne sans son consentement est interdite ;
- l'article 12 de la loi du 5 août 2021 méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 24, 25 et 35 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en imposant la vaccination aux personnes exerçant leur activité dans des établissements accueillant des personnes âgées ou handicapées qui ne sont pas des établissements médico-sociaux mais ont le caractère de domicile privé ;
- le décret attaqué et, par voie d'exception, les dispositions législatives précitées, méconnaissent le droit au respect de la vie privée et familiale et la liberté de religion en ce qu'elles créent une obligation de présenter un " passe sanitaire " pour les personnes, et notamment les ministres du culte, visitant des personnes se trouvant dans des établissements de santé ou dans des établissements médico-sociaux ;
- elles méconnaissent le règlement européen 2021/953 du 14 juin 2021 en ce qu'elles conduisent à une discrimination entre les vaccinés et les non-vaccinées et portent atteinte au principe d'égalité ;
- les dispositions contestées méconnaissent la décision d'autorisation de mise sur le marché conditionnelle des vaccins en ce qu'elles ne respectent pas l'obligation de prescription médicale préalable prévue dans son annexe II ;
- l'annexe II du décret porte atteinte aux libertés fondamentales d'une part, en retirant la possibilité aux médecins d'établir un certificat de contre-indication si la situation particulière d'un patient le justifie et, d'autre part, en excluant un certain nombre de contre-indications de la liste de celles permettant d'échapper à l'obligation vaccinale ;
- le décret attaqué porte atteinte aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime dès lors qu'il s'applique immédiatement, alors même que toutes les personnes souhaitant être vaccinées n'ont pas eu la possibilité de le faire ;
- ce décret est illégal en tant qu'il empêche les personnes ayant contracté la Covid-19 et ne disposant pas d'un test PCR ou antigénique permettant de l'établir de bénéficier d'un certificat de rétablissement, alors même que la loi n'a pas limité les types de preuves à produire ni exposé les modalités d'obtention de ce certificat ;
- le décret porte une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales en imposant, au travers de la présentation du passe sanitaire, des contrôles fréquents de l'identité des personnes ;
- le décret ne comporte pas une définition intelligible de son champ d'application.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 18 août 2021, Mme W... B... épouse V..., Mme AD... L..., Mme AA... R... épouse S... et Mme P... K... demandent qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête n° 455623 et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à leur verser à chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elles soutiennent que leur intervention est recevable et s'associent aux moyens de la requête.

Par un mémoire, enregistré le 23 août 2021, Mme P... K... déclare se désister de sa requête à fin d'intervention.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.

Une note en délibéré, enregistrée le 27 août 2021, a été présentée par M. Y... et autres.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte européenne des droits fondamentaux ;
- la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 ;
- la directive 2001/20/CE du 4 avril 2001 ;
- le règlement 2021/953 du 14 juin 2021 ;
- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
-le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. Y... et autres, et d'autre part, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 26 août 2021, à 15 heures :

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. Y... et autres ;

- la représentante des requérants et des intervenantes ;

- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;
à l'issue de laquelle la juge des référés a clos l'instruction.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

Sur l'intervention de Mmes V..., L..., S... et K... :

2. Le désistement de Mme K... est pur et simple. Rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.

3. L'intervention de Mmes V..., L... et S... est admise.

Sur le cadre juridique du litige :

4. En raison de l'amélioration progressive de la situation sanitaire, les mesures de santé publique destinées à prévenir la circulation du virus de la covid-19 prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ont été remplacées, après l'expiration de celui-ci le 1er juin 2021, par celles de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire. Cette loi a notamment permis au Premier ministre, dans l'intérêt de la santé publique et afin de lutter contre la propagation de l'épidémie, de subordonner à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19, l'accès à certains lieux, établissements ou évènements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs, des foires ou des salons professionnels. Par un décret du 7 juin 2021 le Premier ministre a défini les règles relatives à l'établissement et au contrôle de ce document dénommé " passe sanitaire ". Mais après une diminution de l'épidémie, la situation sanitaire, à partir du mois de juin 2021, s'est dégradée du fait de la diffusion croissante du variant Delta qui présente une transmissibilité augmentée de 60 % par rapport au variant Alpha, avec une sévérité au moins aussi importante. Au 21 juillet 2021, le taux d'incidence était de 98,2 pour 100 000 habitants, soit une augmentation de 143 % par rapport à la semaine du 5 au 11 juillet alors que les admissions en service de soins critiques augmentaient de 76 %. Au regard de cette évolution de la situation épidémiologique et alors que la couverture vaccinale de la population, au 20 juillet 2021, n'était que de 46,4%, soit un taux insuffisant pour conduire à un reflux durable de l'épidémie, la loi du 31 mai 2021 a été modifiée et complétée par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire afin de permettre au Premier ministre d'étendre le champ de l'obligation de présentation d'un " passe sanitaire ". Les articles 12 à 19 de la loi du 5 août 2021 ont aussi institué une obligation de vaccination pour un certain nombre de professionnels dont les professionnels de santé et les personnes exerçant leur activité dans des établissements relevant du secteur médico-social.
Sur la demande en référé :
5. Les requérants demandent la suspension du décret du 7 août 2021 modifiant le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, pris pour l'application de la loi du 5 août 2021.

En ce qui concerne l'obligation de présenter un " passe sanitaire " pour accéder à certains lieux ou établissements :

S'agissant de la portée du " passe sanitaire " :

6. Il ressort de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 dans sa rédaction issue de la loi du 5 août 2021 que le " passe sanitaire " que le Premier ministre a été habilité à imposer, entre les 2 juin et 15 novembre 2021, afin de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19, pour accéder à certains lieux, établissements ou évènements, peut consister en la présentation soit d'un résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19. Chacun est ainsi libre de présenter l'un des trois certificats de son choix. Si les requérants se prévalent de cas de contre-indication aux tests nasopharyngés, ils n'apportent aucun élément sur leur fréquence alors qu'il ressort des déclarations des représentants du ministre des solidarités et de la santé à l'audience que, d'une part, ces contre-indications n'ont été mentionnées dans aucune étude et ne peuvent ainsi être qu'exceptionnelles et que, d'autre part, il existe des alternatives aux tests nasopharyngés, notamment les tests salivaires. Par ailleurs, il n'est pas contesté que les capacités actuelles de fourniture des tests sont suffisantes et si les requérants soutiennent que leur accès est plus difficile dans certaines parties du territoire, ils ne justifient pas qu'il est en pratique impossible. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutiennent les requérants et comme l'a d'ailleurs relevé le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, l'obligation de présenter un " passe sanitaire " pour l'accès à certains lieux ou établissements ne saurait être regardée comme constituant une obligation de vaccination ou comme ayant un effet équivalent. Par suite, sont inopérants les moyens tirés de ce qu'en exigeant un tel document, la loi du 31 mai 2021 modifiée par la loi du 5 août 2021 ainsi qu'en conséquence le décret contesté du 7 août 2021, pris pour son exécution, porteraient une atteinte disproportionnée au droit à la vie, au droit de disposer de son corps et au respect de la dignité humaine garantis par les articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et méconnaîtraient les articles 5, 16 et 26 de la convention d'Oviedo pour la protection des Droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine.
S'agissant du champ de l'obligation de présenter un " passe sanitaire " :
7. Le II A de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 modifiée habilite le Premier ministre à imposer la présentation d'un " passe sanitaire " pour accéder aux lieux et établissements où sont exercées les activités suivantes : " : a) Les activités de loisirs ; b) Les activités de restauration commerciale ou de débit de boissons, à l'exception de la restauration collective, de la vente à emporter de plats préparés et de la restauration professionnelle routière et ferroviaire ; c) Les foires, séminaires et salons professionnels ; d) Sauf en cas d'urgence, les services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, pour les seules personnes accompagnant ou rendant visite aux personnes accueillies dans ces services et établissements ainsi que pour celles qui y sont accueillies pour des soins programmés. La personne qui justifie remplir les conditions prévues au présent 2° ne peut se voir imposer d'autres restrictions d'accès liées à l'épidémie de covid-19 pour rendre visite à une personne accueillie et ne peut se voir refuser l'accès à ces services et établissements que pour des motifs tirés des règles de fonctionnement et de sécurité de l'établissement ou du service, y compris de sécurité sanitaire ; e) Les déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux au sein de l'un des territoires mentionnés au 1° du présent A, sauf en cas d'urgence faisant obstacle à l'obtention du justificatif requis ; f) Sur décision motivée du représentant de l'Etat dans le département, lorsque leurs caractéristiques et la gravité des risques de contamination le justifient, les grands magasins et centres commerciaux, au-delà d'un seuil défini par décret, et dans des conditions garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi, le cas échéant, qu'aux moyens de transport. / Cette réglementation est rendue applicable au public et, à compter du 30 août 2021, aux personnes qui interviennent dans ces lieux, établissements, services ou évènements lorsque la gravité des risques de contamination en lien avec l'exercice des activités qui y sont pratiquées le justifie, au regard notamment de la densité de population observée ou prévue ".
8. Le décret contesté du 7 août 2021 précise la liste des lieux et établissements concernés. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, cette liste définit de façon suffisamment précise et sans équivoque, notamment pour les établissements accueillant du public, les lieux entrant dans le champ du " passe sanitaire ". Le choix de ces lieux, qui correspondent aux endroits présentant un risque de contamination accru à raison tant de la promiscuité des personnes présentes que des interactions sociales qui s'y déroulent, ne comporte ni incohérence, ni disproportion de nature à porter atteinte à une liberté fondamentale. Il en va de même de l'inclusion dans ces lieux d'espaces extérieurs à raison du degré de contamination du variant Delta qui peut se propager à l'extérieur entre des personnes trop proches.
9. Par ailleurs, dès lors qu'il n'est pas contesté que les risques de contamination à la covid-19 sont considérablement réduits lorsqu'une personne est vaccinée, est rétablie d'une infection au virus ou présente un test de dépistage négatif, en soumettant les personnes, y compris les ministres du culte, rendant visite aux personnes accueillies ou hébergées par des établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux, à la présentation d'un " passe sanitaire ", la loi du 31 mai 2021 modifiée ainsi que le décret contesté n'apportent pas d'atteinte au respect de la vie privée ni à la liberté de culte garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la présentation de ce document étant au demeurant limitée dans le temps et exigée par la lutte contre l'épidémie de covid-19 pour des établissements présentant des risques particuliers au regard de la vulnérabilité du public qu'ils accueillent.
10. Enfin, eu égard à la nature des lieux et établissements concernés par l'obligation de présenter un " passe sanitaire ", la loi du 31 mai 2021 modifiée pouvait, sans porter atteinte au respect de la vie privée, ni à la liberté de culte garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne prévoir de dérogation en cas d'urgence que pour l'accès aux services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux ainsi qu'aux transports publics interrégionaux.
S'agissant du certificat de rétablissement :
11. Aux termes des dispositions de l'article 2-2 du décret du 1er juin 2021, dans sa rédaction issue du décret contesté, qui définissent le certificat de rétablissement, définition qui, contrairement à ce que soutiennent les requérants, a, en tout état de cause, été soumise à la consultation de la Haute Autorité de la santé qui a rendu son avis le 6 août 2021, ce certificat implique la présentation " d'un document mentionnant un résultat positif à un examen de dépistage RT-PCR ou à un test antigénique réalisé plus de onze jours et moins de B... mois auparavant. Ce certificat n'est valable que pour une durée de B... mois à compter de la date de réalisation de l'examen ou du test mentionnés à la phrase précédente ". Il résulte des explications des représentants du ministre des solidarités et de la santé lors de l'audience que la réalisation d'un test sérologique mesurant le taux d'anticorps d'une personne ne permet pas d'attester de son protection contre une infection de la covid-19. Le comité des scientifiques, dans son avis du 3 mai 2021, se prononçant sur l'immunité induite par une infection au covid-19, a estimé qu'il convenait de retenir une infection de moins de B... mois. Par suite, en exigeant un résultat positif à un examen de dépistage RT-PCR ou à un test antigénique réalisé plus de onze jours et moins de B... mois auparavant, à l'exclusion de tout autre test sérologique ou certificat médical, le décret contesté, qui n'a, en tout état de cause, pas méconnu la loi du 5 août 2021, n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés d'aller et venir, au respect de la vie privée et familiale, au droit de disposer de son corps et au droit à l'intégrité physique.
S'agissant des contrôles de la détention d'un " passe sanitaire " :
12. Ainsi que l'a relevé le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, le contrôle du " passe sanitaire " imposé par le législateur pour l'accès à certains lieux ou établissements, ne peut être réalisé que par les forces de l'ordre ou les exploitants de ces lieux ou établissements. Par ailleurs, la présentation de ces documents est réalisée sous une forme ne permettant pas d'en connaître la nature et ne s'accompagne d'une présentation de documents d'identité que lorsque ceux-ci sont exigés par les forces de l'ordre. Alors même que le " passe sanitaire " comporte l'identité de la personne concernée, sa présentation, eu égard à la nature des lieux où elle est obligatoire qui ne concernent pas l'accès aux biens de première nécessité, ne saurait être regardée comme une atteinte disproportionné au respect de la vie privée garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. Enfin, si certaines discriminations peuvent, eu égard aux motifs qui les inspirent ou aux effets qu'elles produisent sur l'exercice d'une telle liberté, constituer des atteintes à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la méconnaissance du principe d'égalité ne révèle pas, par elle-même, une atteinte de cette nature. En tout état de cause, en l'espèce, l'obligation de présentation d'un " passe sanitaire " pour accéder à certains lieux, dès lors que ce dernier n'est pas limité au seul certificat de vaccination, ne crée aucune discrimination entre les personnes vaccinées et non vaccinées qui serait contraire au principe d'égalité et au règlement 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021 relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l'acceptation de certificats COVID-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement (certificat COVID numérique de l'UE) afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de covid-19.
En ce qui concerne l'obligation vaccinale imposée à certaines professions :

S'agissant du statut des vaccins autorisés en France :
14. Il est constant que les vaccins contre la covid-19 administrés en France ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché conditionnelle de l'Agence européenne du médicament, qui procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées et certifiées. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, ils ne sauraient dès lors être regardés comme des médicaments expérimentaux au sens de l'article L. 5121-1-1 du code de la santé publique. Est par suite inopérant le moyen tiré de ce qu'en imposant une vaccination par des médicaments expérimentaux, la loi du 5 août 2021 et le décret contesté méconnaîtraient la directive 2001/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l'application de bonnes pratiques cliniques dans la conduite d'essais cliniques de médicaments à usage humain et porteraient atteinte au droit à l'intégrité physique, à la dignité de la personne humaine, au droit à la sécurité et à la vie et au droit de disposer de son corps garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ainsi qu'aux articles 5,16 et 26 de la convention d'Oviedo pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine.
S'agissant du champ d'application de l'obligation vaccinale :
15. Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

16. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 a défini le champ de l'obligation de vaccination contre la covid-19 en retenant, notamment, un critère géographique pour y inclure les personnes exerçant leur activité dans un certain nombre d'établissements, principalement les établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux, ainsi qu'un critère professionnel pour y inclure les professionnels de santé. Il ressort des explications données à l'audience par les représentants du ministre des solidarités et de la santé que le législateur a ainsi entendu à la fois protéger les personnes accueillies par ces établissements qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la covid-19 et éviter la propagation du virus par les professionnels de la santé dans l'exercice de leur activité qui, par nature, peut les conduire à soigner des personnes vulnérables ou ayant de telles personnes dans leur entourage. Le fait que l'obligation de vaccination concerne aussi des personnels qui ne sont pas en contact direct avec les malades est sans incidence dès lors qu'ils entretiennent nécessairement, eu égard à leur lieu de travail, des interactions avec des professionnels de santé en contact avec ces derniers. Il en va de même de l'inclusion dans le champ de l'obligation vaccinale des établissements destinés à l'accueil des personnes âgées et handicapées, alors même qu'ils n'ont pas le caractère d'établissements sociaux ou médico-sociaux, eu égard à la fragilité particulière de leurs occupants. Il s'ensuit que, eu égard à la gravité de l'épidémie que connaît le territoire, et alors même qu'aucune dérogation personnelle à l'obligation de vaccination n'est prévue en dehors des cas de contre-indication, le champ de cette obligation ne saurait être regardé comme incohérent et disproportionné au regard de l'objectif de santé publique poursuivi. Le champ d'application de la vaccination obligatoire ne porte dès lors pas d'atteinte grave et manifestement illégale aux droits et libertés garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
S'agissant de la prescription médicale des vaccins :
17. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le décret contesté ne déroge pas à l'obligation de prescription médicale pour la vaccination contre la covid-19 dès lors que, d'une part, lorsque la vaccination a lieu dans un centre dédié, elle est soumise à un questionnaire médical contrôlé individuellement par un médecin qui reçoit chaque personne souhaitant se faire vacciner, et que, d'autre part, lorsqu'elle a lieu en pharmacie, le pharmacien fait partie des professionnels de santé habilités à prescrire un tel acte.
S'agissant de la liste des contre-indications à la vaccination :
18. L'annexe 2 du décret contesté fixe la liste limitative des contre-indications médicales faisant obstacle à la vaccination contre la covid-19. Les requérants ne sauraient soutenir que cette liste est trop limitée alors qu'elle a fait l'objet de l'avis de la Haute Autorité de santé du 4 août 2021 et qu'ils ne contestent pas qu'elle repose sur des éléments objectifs. Par ailleurs, eu égard à la gravité de la situation sanitaire et dès lors que l'article 12 de la loi du 5 août 2021 a renvoyé au pouvoir réglementaire la détermination des conditions de vaccination de la covid-19 pour les personnes soumises à l'obligation de vaccination, le pouvoir réglementaire a pu, sans porter d'atteinte excessive à une liberté fondamentale et notamment à la liberté de conscience des médecins, fixer la liste des contre-indications médicales sans la laisser à l'appréciation de chaque médecin.
19. Enfin, si les requérants critiquent l'entrée en vigueur immédiate des dispositions en litige, leur argumentation au regard du principe de confiance légitime est inopérante dès lors que ce principe, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit communautaire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Par ailleurs, eu égard à la dégradation rapide de la situation épidémiologique après le mois de mai 2021 à raison de la propagation sur le territoire du variant Delta qui exigeait une réponse rapide, l'entrée en vigueur immédiate du décret ne saurait méconnaître, en tout état de cause, le principe de sécurité juridique.

20. Il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est de nature à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale portée aux libertés fondamentales. Leurs conclusions tendant à la suspension de l'exécution du décret du 7 août 2021 ainsi que leurs conclusions subsidiaires ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse aux requérants et, en tout état de cause, à Mmes V..., L... et S..., qui n'ont pas, en qualité d'intervenantes, la qualité de partie dans la présente instance, la somme qu'ils demandent à ce titre.



O R D O N N E :
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Article 1er : Il est donné acte du désistement des conclusions de Mme K....
Article 2 : L'intervention de Mme V..., Mme L... et Mme S... est admise.
Article 3 : La requête de M. Y... et autres est rejetée.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mmes V..., L... et S... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. G... Y..., représentant unique, pour l'ensemble des requérants, à Mme W... V..., première dénommée pour l'ensemble des intervenantes, au ministre des solidarités et de la santé et au Premier ministre.