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Ariane Web: Conseil d'État 455654, lecture du 31 août 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:455654.20210831

Décision n° 455654
31 août 2021
Conseil d'État

N° 455654
ECLI:FR:CEORD:2021:455654.20210831
Inédit au recueil Lebon



Lecture du mardi 31 août 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 17 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Alliance générale contre le racisme et le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF), l'association cultuelle Institut du Bon Pasteur, M. F... J..., l'association Amis de la Province de France de l'Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, M. D... I..., la communauté des Bénédictins de Sainte Madeleine du Barroux, M. H... G... d'Orth, l'association pour le soutien du sacerdoce catholique (OPUS SACEDOTALE), la communauté des Bénédictins de Notre-Dame de Triors, M. C... E..., la communauté des Bénédictins de Notre-Dame de Donezan et M. B... A..., demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution des 1° à 10° du II de l'article 47-1 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, modifié par le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

2°) d'enjoindre au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde de la liberté de religion et de la liberté de culte dans les services et établissements de santé, dans un délai de 24 heures ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Ils soutiennent que :
- ils justifient d'un intérêt à agir dès lors que, d'une part, certains ont le statut d'associations à caractère cultuel et, d'autre part, d'autres sont ministres du culte ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, le décret contesté est entré en vigueur le 7 août 2021, en deuxième lieu, en prévoyant une obligation pour les ministres du culte de présenter un " passe sanitaire " pour accéder aux services et établissements de santé, le décret a porté une atteinte disproportionnée à la liberté de religion et, en dernier lieu, cette obligation est de nature à empêcher que des malades, mourants ou accidentés puissent bénéficier des services du clergé y compris lorsque l'urgence justifie leur intervention ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de religion dès lors que, en premier lieu, les aumôniers dans les établissements de santé sont en nombre insuffisant, ce qui nécessite parfois de faire appel à des ministres du culte extérieurs, qui ne bénéficient pas tous d'un " passe sanitaire ", en second lieu, le décret a prévu que seule l'urgence liée à des soins vitaux permet d'écarter l'obligation de présentation d'un " passe sanitaire ", alors même qu'un patient dans le besoin pourrait solliciter en urgence l'assistance d'un aumônier, notamment dans les cas où son pronostic vital est engagé ;
- les dispositions contestées sont manifestement disproportionnées dès lors que, d'une part, il est interdit à un ministre du culte d'entrer dans les services et établissements de santé sans la présentation d'un " passe sanitaire ", alors même que des patients justifiant d'une urgence seront dispensés du " passe sanitaire " et, d'autre part, un professionnel de santé peut continuer à exercer sans avoir à présenter un " passe sanitaire " lorsqu'il justifie d'un certificat de contre-indication à la vaccination contre la covid-19.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;
- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;
- le code de justice administrative ;



1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 5223 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. L'AGRIF et 11 autres requérants demandent, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension des 1°) à 10°) du II de l'article 47-1, dans la rédaction que lui a donnée le décret 2021-1059 du 7 août 2021, du décret 2021-699 du 1er juin 2021, et qu'il soit enjoint au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour garantir la liberté de culte dans la mesure où les requérants estiment que ces dispositions y portent atteinte.

3. Les requérants estiment que l'exigence, résultant des dispositions qu'ils critiquent, de produire, pour accéder à différents lieux qu'elles énumèrent, un " passe sanitaire " établissant que son porteur a bénéficié d'une vaccination complète, ou peut produire un test récent attestant qu'il n'est pas porteur du virus du covid-19, ou bénéficie des autres circonstances donnant droit à la détention du passe sanitaire, empêche les différents ministres ou agents des cultes d'accomplir, auprès des personnes qui les réclament, les rites prescrits conformément à leurs croyances et porte ainsi une atteinte disproportionnée à la liberté de culte.

4. Toutefois, l'énoncé des divers moyens relatifs aux atteintes aux libertés, découlant de la liberté de conscience, qu'exposent les requérants, repose sur l'hypothèse que certains des ministres ou agents des cultes ne disposeraient pas encore ou ne pourraient disposer d'une vaccination complète. Dans la mesure où la production du " passe sanitaire " repose sur plusieurs alternatives à la vaccination, dont la seule allégation que certaines d'entre elles ne seraient pas aisément accessibles n'est assorti d'aucune donnée ou illustration pratique qui permettraient, comme le soutient la requête, de regarder comme impossible l'accès au " passe sanitaire " pour ces personnes, il ne peut être sérieusement soutenu que les dispositions critiquées, qui s'appliquent de manière générale à toute personne en rapport avec les lieux concernés, à raison du risque que la concentration de personnes vulnérables ou d'un nombre important de personnes fait courir aux personnes les fréquentant, porteraient une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par les requérants.

5. Dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres conditions auxquelles l'article L. 521 -2 subordonnent l'intervention du juge des référés, les conclusions des requérants ne peuvent qu'être rejetées, y compris en tant qu'ils demandent que l'Etat soit condamné au versement d'une somme d'argent, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative y faisant obstacle dès lors que l'Etat n'est pas la partie perdante.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l'Alliance générale contre le racisme et le respect de l'identité française et chrétienne et autres est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Alliance générale contre le racisme et le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF), premier requérant dénommé.