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Ariane Web: Conseil d'État 455532, lecture du 1 septembre 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:455532.20210901

Décision n° 455532
1 septembre 2021
Conseil d'État

N° 455532
ECLI:FR:CEORD:2021:455532.20210901
Inédit au recueil Lebon



Lecture du mercredi 1 septembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n°455532, par une requête enregistrée le 13 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Le cercle droit et liberté, M. F... AI..., Mme P... AX..., M. AP... M..., Mme B... AQ..., Mme O... N..., M. AG... AN..., M. I... AN..., Mme AO... AN..., M. Q... AZ..., M. AD... AZ..., M. C... BA..., Mme Z... AS..., M. AE... AT..., Mme AR... AB..., Mme AJ... R..., Mme E... G..., Mme T... AV..., M. L... H..., Mme AM... S..., Mme E... G..., M. Y... AH..., Mme AY... V..., Mme U... W..., M. AK... A..., Mme K... AW..., M. AA... AL..., Mme AU... X..., Mme J... AC..., Mme AO... D... et Mme AF... AB... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Les requérants soutiennent que :
- l'urgence résulte de l'entrée en vigueur du décret le 10 août 2021 ;
- le décret contesté et la loi dont il fait application méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, son article 14, l'article 4 de son 7ème protocole additionnel et l'article 1er de son 12ème protocole additionnel en ce que l'instauration d'un passe sanitaire crée une obligation vaccinale pour toute la population qui est injustifiée, discriminatoire et susceptible de donner lieu à plusieurs sanctions pour le même fait ;
- le décret contesté impose aux personnes non vaccinées des sanctions pénales qui méconnaissent le principe de nécessité des peines ;
- le décret introduit des restrictions aux libertés qui sont disproportionnées au risques encourus et renonce illégalement à des mesures alternatives qui seraient tout aussi efficaces ;
- l'introduction d'une vaccination obligatoire méconnaît, faute de prévoir un délai d'adaptation suffisant, le principe de sécurité juridique et celui de confiance légitime.

Par un mémoire, enregistré le 30 août 2021, les requérants demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du premier alinéa du D du paragraphe II de l'article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021.

Ils soutiennent que ces dispositions méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines résultant de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.



2° Sous le n° 455533, par une requête enregistrée le 13 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les mêmes requérants demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.



Ils reprennent les mêmes moyens que ceux soulevés sous le n° 455532.

Par un mémoire, enregistré le 30 août 2021, les requérants soulèvent la même question prioritaire de constitutionnalité que sous le n° 455532.


Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ses 4ème et 12ème protocoles additionnels ;
- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Aux termes de l'article L. 52l-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des· référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l'association Le cercle droit et liberté et trente-et-un autres requérants demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, de suspendre l'exécution du décret du 7 août 2021 modifiant le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. Aux termes du premier alinéa du D du paragraphe II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, dans sa rédaction issue de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " La méconnaissance des obligations instituées en application des 1°et 2° du A du présent II est sanctionnée dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article L. 3136-1 du code de la santé publique réprimant le fait, pour toute personne, de se rendre dans un établissement recevant du public en méconnaissance d'une mesure édictée sur le fondement du 5° du I de l'article L. 3131-15 du même code ".

5. Le décret attaqué étant pris pour l'application des dispositions du 2° du A du II de la loi du 31 mai 2021, les dispositions législatives contestées, citées ci-dessus, fixent ainsi les peines encourues en cas de méconnaissance des obligations fixées par ce décret. Si les requérants allèguent que ces peines méconnaissent, en raison de leur sévérité, le principe de nécessité des peines qui résulte de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, cette circonstance est sans incidence sur la légalité des obligations dont elles ont pour objet de sanctionner la méconnaissance. Il en résulte que le premier alinéa du D du paragraphe II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de la crise sanitaire ne peut être regardé comme applicable au litige, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionalité soulevée, dans ses deux requêtes, par l'association Le cercle droit et liberté et autres.

Sur les autres moyens des requêtes :

6. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, les dispositions de l'article 1er de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, qui modifient les dispositions de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de la crise sanitaire en prévoyant que le Premier ministre peut subordonner l'accès du public à certains lieux, établissements, services ou événements où se déroulent certaines activités, à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19, n'instaurent ni obligation de soin ni obligation de vaccination.

7. Par suite, en se bornant à soutenir qu'en raison de ce qu'elles instaurent une obligation vaccinale, ces dispositions législatives, sur le fondement desquelles est pris le décret contesté, sont incompatibles avec les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, de son article 14, de l'article 4 de son 7ème protocole additionnel et de l'article 1er de son 12ème protocole additionnel, les requérants soulèvent des moyens qui ne sont ni de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de ce décret, ni de nature à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

8. Pour le même motif, les moyens tirés de ce qu'en instaurant, selon eux, une telle obligation vaccinale de l'ensemble de la population dans un délai trop court, le décret contesté méconnaîtrait le principe de sécurité juridique et le principe de confiance légitime ne sont manifestement, en tout état de cause, ni de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de ce décret, ni de nature à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

9. Enfin, la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de la crise sanitaire ayant, ainsi qu'il a été dit, elle-même prévu la faculté de subordonner l'accès à certains lieux ou événements à certaines obligations, ainsi que les sanctions pénales susceptibles d'être infligées en cas de méconnaissance de ces mêmes obligations, les requérants ne sauraient utilement soutenir que le décret contesté est illégal en ce que l'imposition de telles restrictions porterait atteinte aux libertés fondamentales ou méconnaîtrait le principe de nécessité des peines.

10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence prévue par les dispositions citées au point 1, les requêtes de l'association Le cercle droit et libertés et autres doivent être rejetées, y compris, par voie de conséquence, leurs conclusions présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du même code.



O R D O N N E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieur de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionalité soulevée par l'association Le cercle droit et liberté et autres.
Article 2 : Les requêtes de l'association Le cercle droit et libertés et autres sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Le cercle droit et libertés, représentant unique désigné.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé.