Conseil d'État
N° 454962
ECLI:FR:CECHR:2021:454962.20211005
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Didier Ribes, rapporteur
Mme Mireille Le Corre, rapporteur public
Lecture du mardi 5 octobre 2021
Vu la procédure suivante :
M. B... A..., à l'appui de sa demande tendant à ce que le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ordonne, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 28 mai 2021 prononçant la cessation de son état militaire consécutivement à un jugement du 7 janvier 2021 du tribunal correctionnel de Saverne, a produit un mémoire, enregistré le 7 juillet 2021 au greffe du tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 2104683 du 23 juillet 2021, enregistrée le 27 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1607 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 311-7 du code de justice militaire dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011.
Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise, M. A... soutient que l'article L. 311-7 du code de justice militaire, applicable au litige, méconnaît les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les principes d'égalité devant la loi et devant la justice protégés par l'article 6 de la même Déclaration.
Par un mémoire, enregistré le 25 août 2020, la ministre des armées soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et en particulier que la question ne présente pas un caractère sérieux.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61 1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la défense ;
- le code de justice militaire ;
- le code pénal ;
- la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 ;
- la décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 octobre 2021, présentée par M. A... ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 4132-1 du code de la défense : " Nul ne peut être militaire : / (...) / 2° S'il est privé de ses droits civiques ; / (...) ". En vertu de l'article L. 4139-14 du même code, " La cessation de l'état militaire intervient d'office dans les cas suivants : ... 2° A la perte du grade, dans les conditions prévues par le code de justice militaire ou à la suite de la perte de la nationalité française ".
3. D'autre part, l'article 131-26 du code pénal dispose que : " L'interdiction des droits civiques, civils et de famille porte sur : / 1° Le droit de vote ; / 2° L'éligibilité ; / (...) / L'interdiction du droit de vote ou l'inéligibilité prononcées en application du présent article emportent interdiction ou incapacité d'exercer une fonction publique ". Aux termes de l'article 131-26-2 du même code : " I. - Le prononcé de la peine complémentaire d'inéligibilité mentionnée au 2° de l'article 131-26 et à l'article 131-26-1 est obligatoire à l'encontre de toute personne coupable d'un délit mentionné au II du présent article ou d'un crime. / Cette condamnation est mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire prévu à l'article 775 du code de procédure pénale pendant toute la durée de l'inéligibilité. / II. - Les délits pour lesquels l'inéligibilité est obligatoirement prononcée sont les suivants : / (...) / III. - Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer la peine prévue par le présent article, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ".
4. Enfin, au sein du titre 1er du livre III du code de justice militaire consacré aux peines applicables par les juridictions des forces armées, l'article L. 311-3 prévoit que les juridictions des forces armées peuvent prononcer les peines militaires de la destitution et de la perte du grade. L'article L. 311-7 du même code, dans sa rédaction résultant de l'article 35 de la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, dispose que : " Toute condamnation à une peine d'interdiction des droits civiques ou d'interdiction d'exercer une fonction publique, prononcée par quelque juridiction que ce soit contre tout militaire, entraîne perte du grade. / Lorsque ce même militaire est commissionné, elle entraîne la révocation ".
5. En premier lieu, les principes constitutionnels de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne s'appliquent qu'aux peines et sanctions ayant le caractère d'une punition. Par l'article 35 de la loi du 13 décembre 2011, le législateur a supprimé la peine automatique de perte de grade en cas de condamnation pénale pour crimes et certains délits, la perte de grade n'intervenant que lorsque le militaire a fait l'objet d'une condamnation pénale le privant de ses droits civiques oui lui interdisant d'exercer une fonction publique. Les dispositions de l'article L. 311-7 du code de justice militaire, dans leur rédaction résultant de cette loi, se bornent ainsi à tirer les conséquences d'une telle condamnation pénale sur la qualité de militaire et sont dépourvues de caractère répressif. La circonstance que la perte de grade puisse, par ailleurs, être prononcée à titre de peine par une juridiction militaire est sans incidence sur la nature de cette mesure lorsqu'elle est prononcée en application des dispositions de l'article L. 311-7 du code de justice militaire dans leur rédaction résultant de la loi du 13 décembre 2011. Par suite, M. A... ne saurait utilement soutenir que ces dispositions méconnaissent les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines.
6. En second lieu, si le requérant soutient que l'article 131-26-2 du code pénal méconnaît les principes d'égalité devant la loi et devant la justice en ce que, d'une part, la liste des délits, énumérés à son II, pour lesquels l'inéligibilité est obligatoirement prononcée ne comprend pas des infractions dont la nature et la gravité justifient qu'elles y sont inscrites et, d'autre part, son III autorise à déroger au caractère automatique de la peine d'inéligibilité et par suite de la perte du grade, de tels griefs, qui ne sont pas dirigés contre l'article L. 311-7 du code de justice militaire, qui fait seul l'objet de la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif, sont inopérants. Au demeurant, l'article 131-26-2 du code pénal a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017.
7. Il résulte de ce qui précède, que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Strasbourg.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à la ministre des armées.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, au ministre de l'intérieur ainsi qu'au tribunal administratif de Strasbourg.
N° 454962
ECLI:FR:CECHR:2021:454962.20211005
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Didier Ribes, rapporteur
Mme Mireille Le Corre, rapporteur public
Lecture du mardi 5 octobre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. B... A..., à l'appui de sa demande tendant à ce que le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ordonne, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 28 mai 2021 prononçant la cessation de son état militaire consécutivement à un jugement du 7 janvier 2021 du tribunal correctionnel de Saverne, a produit un mémoire, enregistré le 7 juillet 2021 au greffe du tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 2104683 du 23 juillet 2021, enregistrée le 27 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1607 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 311-7 du code de justice militaire dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011.
Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise, M. A... soutient que l'article L. 311-7 du code de justice militaire, applicable au litige, méconnaît les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les principes d'égalité devant la loi et devant la justice protégés par l'article 6 de la même Déclaration.
Par un mémoire, enregistré le 25 août 2020, la ministre des armées soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et en particulier que la question ne présente pas un caractère sérieux.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61 1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la défense ;
- le code de justice militaire ;
- le code pénal ;
- la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 ;
- la décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 octobre 2021, présentée par M. A... ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 4132-1 du code de la défense : " Nul ne peut être militaire : / (...) / 2° S'il est privé de ses droits civiques ; / (...) ". En vertu de l'article L. 4139-14 du même code, " La cessation de l'état militaire intervient d'office dans les cas suivants : ... 2° A la perte du grade, dans les conditions prévues par le code de justice militaire ou à la suite de la perte de la nationalité française ".
3. D'autre part, l'article 131-26 du code pénal dispose que : " L'interdiction des droits civiques, civils et de famille porte sur : / 1° Le droit de vote ; / 2° L'éligibilité ; / (...) / L'interdiction du droit de vote ou l'inéligibilité prononcées en application du présent article emportent interdiction ou incapacité d'exercer une fonction publique ". Aux termes de l'article 131-26-2 du même code : " I. - Le prononcé de la peine complémentaire d'inéligibilité mentionnée au 2° de l'article 131-26 et à l'article 131-26-1 est obligatoire à l'encontre de toute personne coupable d'un délit mentionné au II du présent article ou d'un crime. / Cette condamnation est mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire prévu à l'article 775 du code de procédure pénale pendant toute la durée de l'inéligibilité. / II. - Les délits pour lesquels l'inéligibilité est obligatoirement prononcée sont les suivants : / (...) / III. - Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer la peine prévue par le présent article, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ".
4. Enfin, au sein du titre 1er du livre III du code de justice militaire consacré aux peines applicables par les juridictions des forces armées, l'article L. 311-3 prévoit que les juridictions des forces armées peuvent prononcer les peines militaires de la destitution et de la perte du grade. L'article L. 311-7 du même code, dans sa rédaction résultant de l'article 35 de la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, dispose que : " Toute condamnation à une peine d'interdiction des droits civiques ou d'interdiction d'exercer une fonction publique, prononcée par quelque juridiction que ce soit contre tout militaire, entraîne perte du grade. / Lorsque ce même militaire est commissionné, elle entraîne la révocation ".
5. En premier lieu, les principes constitutionnels de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne s'appliquent qu'aux peines et sanctions ayant le caractère d'une punition. Par l'article 35 de la loi du 13 décembre 2011, le législateur a supprimé la peine automatique de perte de grade en cas de condamnation pénale pour crimes et certains délits, la perte de grade n'intervenant que lorsque le militaire a fait l'objet d'une condamnation pénale le privant de ses droits civiques oui lui interdisant d'exercer une fonction publique. Les dispositions de l'article L. 311-7 du code de justice militaire, dans leur rédaction résultant de cette loi, se bornent ainsi à tirer les conséquences d'une telle condamnation pénale sur la qualité de militaire et sont dépourvues de caractère répressif. La circonstance que la perte de grade puisse, par ailleurs, être prononcée à titre de peine par une juridiction militaire est sans incidence sur la nature de cette mesure lorsqu'elle est prononcée en application des dispositions de l'article L. 311-7 du code de justice militaire dans leur rédaction résultant de la loi du 13 décembre 2011. Par suite, M. A... ne saurait utilement soutenir que ces dispositions méconnaissent les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines.
6. En second lieu, si le requérant soutient que l'article 131-26-2 du code pénal méconnaît les principes d'égalité devant la loi et devant la justice en ce que, d'une part, la liste des délits, énumérés à son II, pour lesquels l'inéligibilité est obligatoirement prononcée ne comprend pas des infractions dont la nature et la gravité justifient qu'elles y sont inscrites et, d'autre part, son III autorise à déroger au caractère automatique de la peine d'inéligibilité et par suite de la perte du grade, de tels griefs, qui ne sont pas dirigés contre l'article L. 311-7 du code de justice militaire, qui fait seul l'objet de la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif, sont inopérants. Au demeurant, l'article 131-26-2 du code pénal a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017.
7. Il résulte de ce qui précède, que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Strasbourg.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à la ministre des armées.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, au ministre de l'intérieur ainsi qu'au tribunal administratif de Strasbourg.