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Ariane Web: Conseil d'État 453653, lecture du 20 octobre 2021, ECLI:FR:CECHS:2021:453653.20211020

Décision n° 453653
20 octobre 2021
Conseil d'État

N° 453653
ECLI:FR:CECHS:2021:453653.20211020
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre
M. Alexis Goin, rapporteur
Mme Mireille Le Corre, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats


Lecture du mercredi 20 octobre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La Société aménagement gestion publique (SAGEP) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation du marché public de la commune du Pradet ayant pour objet un mandat public de maîtrise d'ouvrage pour la démolition et la reconstruction du groupe scolaire Marcel-Pagnol.

Par une ordonnance n° 2101146 du 31 mai 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a fait droit à cette demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 15 juin, 30 juin, 8 juillet et 1er et 6 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune du Pradet demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, de rejeter la demande de la SAGEP ;

3°) de mettre à la charge de la SAGEP la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la commande publique ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la commune du Pradet et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la Société aménagement gestion publique ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, le 18 février 2021, la commune du Pradet a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert ayant pour objet l'attribution d'un mandat public de maîtrise d'ouvrage en vue de la réfection du groupe scolaire Marcel-Pagnol. Le 16 avril 2021, la Société aménagement gestion publique (SAGEP) a été informée du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société Var aménagement développement (VAD). La commune du Pradet se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 31 mai 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a annulé la procédure en cause.

2. Contrairement à ce que soutient la SAGEP, il ne ressort ni de la délibération du 27 septembre 2021 du conseil municipal du Pradet, ni, en tout état de cause, d'un article de presse, que la commune du Pradet aurait entièrement renoncé à conclure le contrat pour des motifs autres que la suspension prononcée par l'ordonnance attaquée. Il y a, par suite, toujours lieu de statuer sur le pourvoi de la commune du Pradet, qui n'a pas perdu son objet.

3. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique./ (...)/ Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ".

4. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ". Aux termes de l'article R. 522-8 du même code : " L'instruction est close à l'issue de l'audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens. Dans ce dernier cas, les productions complémentaires déposées après l'audience et avant la clôture de l'instruction peuvent être adressées directement aux autres parties, sous réserve, pour la partie qui y procède, d'apporter au juge la preuve de ses diligences ".

5. Les décisions prises par le juge des référés sur le fondement de l'article L. 551-1 précitées sont rendues à la suite d'une procédure particulière qui, tout en étant adaptée à la nature des demandes et à la nécessité d'assurer une décision rapide, doit garantir le caractère contradictoire de l'instruction. Il résulte des dispositions citées au point 4 que, lorsqu'il décide de communiquer, après la clôture de l'instruction, un mémoire qui a été produit par les parties avant ou après celle-ci, le juge des référés doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction. Il lui appartient, en pareil cas, sauf à fixer une nouvelle audience, d'informer les parties de la date et, le cas échéant, de l'heure à laquelle l'instruction sera close. Il ne saurait, en toute hypothèse, rendre son ordonnance tant que l'instruction est en cours sans entacher la procédure d'irrégularité.

6. Il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que, le 28 avril 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a informé les parties de ce que l'affaire serait dispensée d'audience en application de l'article 3 de l'ordonnance du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre administratif et de ce que l'instruction serait close le 17 mai à midi. Par courrier du 17 mai 2021, le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 24 mai à midi. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu'en communiquant, le 24 mai 2021 à 15 heures 31 soit postérieurement à la clôture de l'instruction, le mémoire produit le 21 mai 2021 par la SAGEP, le juge des référés doit être regardé comme ayant rouvert cette instruction. En rendant son ordonnance le 31 mai 2021 sans avoir clos l'instruction ainsi rouverte, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon l'a entachée d'irrégularité. Cette ordonnance doit par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, être annulée.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Si la SAGEP soutient en premier lieu qu'elle n'est pas en mesure de comprendre les motifs du rejet de son offre, faute de disposer de motifs détaillés et des notes affectées à chacun des sous-critères pour son offre et celle de l'attributaire, il résulte de l'instruction que la commune du Pradet lui a communiqué ces informations par courrier du 5 mai 2021. Le moyen ne peut par suite qu'être écarté.

9. En deuxième lieu, le pouvoir adjudicateur peut, sans méconnaître le principe d'égalité entre les candidats ni les obligations de publicité et de mise en concurrence, choisir une méthode de notation qui, s'agissant de l'évaluation au titre d'un critère, permet une différenciation des notes attribuées aux candidats, notamment par l'attribution automatique de la note maximale au candidat ayant présenté la meilleure offre. Aux termes de l'article 16 du règlement de consultation régissant la procédure en cause : " l'offre technique ayant obtenu le plus grand nombre de points se verra attribuer la note maximale de 70 affectée au critère. Les autres offres techniques sont notées de la façon suivante : 70 × (points candidat évalué / points candidat ayant obtenu le plus grand nombre de points). Soit une note N1 de 70 maximum ". Contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte pas de l'instruction que le pouvoir adjudicateur aurait fait une application viciée de cette méthode, ni qu'il aurait dénaturé l'offre de la société VAD. Si la SAGEP relève que l'attribution à cette société de la note maximale pour chacun des sous-critères du critère technique est " inédite " et qu'une offre ne saurait être à ce point " parfaite ", il n'entre pas dans l'office du juge du référé précontractuel de se prononcer sur les mérites respectifs des candidatures. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que la méthode de notation du critère technique et sa pondération à 70 % de la note finale aurait pour effet de neutraliser le critère du prix.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 2113-10 du code de la commande publique : " Les marchés sont passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestations distinctes (...) ". La procédure de passation en cause concernait un mandat de maîtrise d'ouvrage tel que prévu à l'article L. 2422-5 du même code, lequel a, aux termes de l'article L. 2422-6 de ce code : " pour objet de confier au mandataire l'exercice, parmi les attributions mentionnées à l'article L. 2421-1, de tout ou partie des attributions suivantes :/ 1° La définition des conditions administratives et techniques selon lesquelles l'ouvrage sera étudié et exécuté ;/ 2° La préparation, la passation, la signature, après approbation du choix de l'attributaire, du marché public de maîtrise d'oeuvre ainsi que le suivi de son exécution ;/ 3° L'approbation des études d'avant-projet et des études de projet du maître d'oeuvre ;/ 4° La préparation, la passation, la signature, après approbation du choix des attributaires, des marchés publics de travaux, ainsi que le suivi de leur exécution ;/ 5° Le versement de la rémunération du maître d'oeuvre et le paiement des marchés publics de travaux ;/ 6° La réception de l'ouvrage ". La seule circonstance que l'article 15 du règlement de consultation prévoie que l'équipe candidate " devra comprendre les compétences suivantes:/ (...) - ingénierie de l'économie de la construction " ne saurait caractériser l'existence d'une prestation distincte au sens de l'article L. 2113-10 précité. Le moyen tiré de ce que ces dispositions auraient été méconnues, faute pour le marché en litige d'avoir été alloti, ne peut par suite qu'être écarté.


11. En quatrième lieu, le principe d'impartialité, principe général du droit, s'impose au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative. Sa méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Ni la circonstance que le maire du Pradet, au demeurant également administrateur de la SAGEP, ait antérieurement siégé au conseil d'administration de la société VAD en qualité de représentant de la métropole de Toulon, ni celle qu'il a, lors du conseil d'administration de la SAGEP tenu le 12 mai 2021, critiqué l'introduction de la présente demande en référé pour le retard qu'elle causerait à l'opération envisagée par la commune, ne sont, à elles seules, susceptibles de faire naître en l'espèce un doute légitime sur l'impartialité du pouvoir adjudicateur.

12. En cinquième lieu, le moyen tiré de ce que l'offre de la société VAD aurait dû être écartée comme anormalement basse n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Si la SAGEP soutient que son offre " extrêmement compétitive " aurait dû obtenir la note maximale au titre du critère du prix, il n'entre pas, ainsi qu'il a été dit au point 9, dans l'office du juge du référé précontractuel de se prononcer sur les mérites respectifs des candidatures.

13. En sixième et dernier lieu, la circonstance qu'il aurait été porté atteinte au secret des affaires par la communication, dans le cadre de l'instance de référé, du dossier de candidature de la requérante et d'informations sur les mérites respectifs des offres est par elle-même sans incidence sur la régularité de la procédure de passation en litige.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la demande de la SAGEP doit être rejetée, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAGEP une somme de 2 000 euros à verser à la commune du Pradet au titre des mêmes dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 31 mai 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon est annulée.
Article 2 : La requête de la Société aménagement gestion publique est rejetée.
Article 3 : La Société aménagement gestion publique versera la somme de 2 000 euros à la commune du Pradet en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune du Pradet et à la Société aménagement gestion publique.
Copie en sera adressée à la société Var aménagement développement.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 octobre 2021 où siégeaient : M. Gilles Pellissier, assesseur, présidant ; M. Mathieu Herondart, conseiller d'Etat et M. Alexis Goin, auditeur-rapporteur.

Rendu le 20 octobre 2021.


Le président :
Signé : M. Gilles Pellissier

Le rapporteur :
Signé : M. Alexis Goin

La secrétaire :
Signé : Mme A... B...