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Ariane Web: Conseil d'État 445872, lecture du 22 octobre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:445872.20211022

Décision n° 445872
22 octobre 2021
Conseil d'État

N° 445872
ECLI:FR:CECHR:2021:445872.20211022
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Mathieu Le Coq, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public


Lecture du vendredi 22 octobre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Mme R... H... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires dans la commune d'Aubusson (Creuse) et de déclarer inéligibles M. F... C... et Mme E... S... sur le fondement de l'article L. 118-4 du code électoral. Par un jugement n° 2000854 du 30 septembre 2020, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa protestation.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 1er novembre 2020 et le 1er octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme H... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de faire droit à sa protestation.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction qu'à l'issue du second tour des opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune d'Aubusson (Creuse) en vue de l'élection des membres du conseil municipal et des conseillers communautaires, la liste " Aubusson, naturellement " conduite par M. C..., maire sortant, a obtenu 546 voix, soit 41,33 % des suffrages exprimés, 17 sièges de conseillers municipaux et 10 sièges de conseillers communautaires, la liste " Rassembler pour Aubusson " conduite par M. B... a obtenu 505 voix, soit 38,22 % des suffrages exprimés, 4 sièges de conseillers municipaux et 2 sièges de conseillers communautaires et la liste " Tissons ensemble l'avenir d'Aubusson " conduite par Mme I..., a obtenu 270 voix, soit 20,43 % des suffrages exprimés, 2 sièges de conseillers municipaux et un siège de conseiller communautaire. Mme H..., électrice dans la commune, fait appel du jugement du 30 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa protestation tendant à l'annulation de ces opérations électorales et à ce que M. C... et sa colistière Mme S... soient déclarés inéligibles sur le fondement de l'article L. 118-4 du code électoral.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il résulte de la combinaison de l'article R. 773-1 du code de justice administrative et des articles R. 119 et R. 120 du code électoral que, par dérogation à l'article R. 611-1 du code de justice administrative, le tribunal administratif, juge de l'élection, n'est pas tenu de communiquer les mémoires en défense, non plus que les autres mémoires ultérieurement enregistrés, ou de procéder à la communication des pièces jointes aux saisines. Il appartient seulement au tribunal, une fois ces pièces enregistrées par son greffe, de les tenir à la disposition des parties de sorte que celles-ci puissent, si elles l'estiment utile, en prendre connaissance. Il ne résulte pas de l'instruction que Mme H..., ainsi qu'elle le soutient, se serait vu refuser le droit d'accéder aux pièces de la procédure par une consultation sur place au greffe du tribunal administratif.

3. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'avant la tenue de l'audience du tribunal administratif, le rapporteur public a porté à la connaissance des parties le sens des conclusions qu'il envisageait de prononcer dans les termes suivants : " Rejet au fond, admission de l'intervention de Mme I..., rejet de la protestation de Mme H... ". Ainsi, contrairement à ce que soutient cette dernière, les parties ont été mises à même de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public comptait proposer à la formation de jugement d'adopter.

4. En troisième lieu, si Mme H... soutient qu'en méconnaissance des prescriptions de l'article R. 119 du code électoral, sa protestation n'a été communiquée qu'à 13 des 23 conseillers municipaux élus, elle ne peut utilement invoquer une telle circonstance à l'appui de sa requête, dès lors qu'elle n'affecte pas le caractère contradictoire de la procédure à son égard.

5. En quatrième lieu, en ce qui concerne le " fonds d'urgence et de solidarité " mis en place par délibération du conseil municipal, destiné à financer des aides directes et indirectes en faveur du commerce local, le jugement attaqué relève que ce dispositif ne caractérise ni une méconnaissance des dispositions de l'article L. 52-1 du code électoral, ni une pression de nature à altérer la sincérité du scrutin, et qu'il n'appartient pas au juge de l'élection de se prononcer sur la légalité de la délibération. Il répond ainsi suffisamment aux griefs soulevés par Mme H... devant le tribunal administratif à raison de la mise en place de ce fonds. Le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation du jugement attaqué ne peut ainsi qu'être écarté.

6. En cinquième lieu, Mme H... n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait méconnu son office en n'ordonnant pas la production de pièces qu'elle estimait nécessaires pour étayer des griefs qu'elle n'avait pas soulevés dans le délai imparti pour formuler une protestation électorale.

Sur les griefs écartés comme irrecevables par les premiers juges :

7. Il résulte de l'instruction que Mme H... n'a pas soulevé devant le tribunal administratif, avant l'expiration du délai de protestation, de griefs relatifs à la validité de la candidature de M. C..., à la comptabilisation des voix et aux mentions figurant sur le registre des procurations. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont écarté ces trois griefs comme irrecevables, alors même que, en vue de les étayer, elle avait vainement sollicité l'accès à des documents auprès des services de l'Etat et de la commune d'Aubusson avant l'expiration du délai.

Sur les autres griefs :

8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 228 du code électoral : " (...) Sont éligibles au conseil municipal tous les électeurs de la commune et les citoyens inscrits au rôle des contributions directes ou justifiant qu'ils devaient y être inscrits au 1er janvier de l'année de l'élection (...) ". Il résulte de ces dispositions que sont notamment éligibles les personnes qui remplissent effectivement la condition de domicile exigée par l'article L. 11 du code électoral. S'il n'appartient pas au juge de l'élection d'apprécier si un électeur inscrit sur les listes électorales remplit effectivement la condition de domicile exigée par ces dispositions, il lui incombe de rechercher si des manoeuvres dans l'établissement de la liste électorale ont altéré la sincérité du scrutin. Toutefois, Mme H..., en se bornant à mettre en cause l'éligibilité de différents candidats au motif qu'ils ne résideraient pas à Aubusson, n'établit ni même n'allègue l'existence d'une manoeuvre affectant l'établissement de la liste électorale.

9. En deuxième lieu, si Mme H... fait grief à M. C..., ainsi qu'à Mme S..., candidate en quatrième position sur la liste " Aubusson, naturellement ", d'avoir diffusé sur le compte Facebook de cette liste l'appel suivant : " procurations, (...) nous pouvons porter votre voix, contactez-nous ", les termes de cette publication ne sauraient établir que leurs auteurs se seraient faussement présentés comme ayant qualité pour dresser des actes de procuration en méconnaissance des dispositions de l'article R. 72 du code électoral.

10. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que, par délibération du 4 juin 2020, le conseil municipal d'Aubusson a créé un " fonds d'urgence et de solidarité ", destiné à financer des aides directes et indirectes en faveur du commerce local, qui ont notamment pris la forme de la distribution à chaque habitant de la commune d'Aubusson d'un bon d'achat d'une valeur unitaire de 10 euros. Cette action entendait contribuer à relancer et sauvegarder les commerces de proximité sur le territoire de la commune après les mesures de fermeture administrative décidées pour faire face à la propagation de l'épidémie de covid-19 et ne pouvait, par suite, avoir lieu à une autre période. Les propos par lesquels le maire sortant a présenté son intention de présenter cette proposition de délibération, repris par la presse, présentent un caractère informatif, ne font pas allusion au scrutin à venir et sont exempts de polémique électorale. S'il est regrettable que cette action ait également été le sujet d'une vidéo publiée sur le compte Facebook de la liste " Aubusson, naturellement ", les termes employés dans cette vidéo, saluant une décision prise à l'unanimité par le conseil municipal, sont également exempts de polémique. Dans ces conditions, Mme H... n'est pas fondée à soutenir que l'action en cause et la communication dont elle a été accompagnée constitueraient des pressions sur les électeurs de nature à altérer la sincérité du scrutin ou une campagne de promotion des réalisations de la collectivité interdite par les dispositions de l'article L. 52-1 du code électoral.

11. En quatrième lieu, ne constitue pas davantage une méconnaissance de ces dispositions le fait, pour la liste " Aubusson, naturellement ", d'avoir publié sur son compte Facebook une série de vidéos mettant en scène le maire sortant et valorisant son bilan, dès lors qu'il n'est ni établi ni même allégué que ces publications auraient bénéficié d'une quelconque contribution de la commune.

12. En cinquième lieu, si Mme H... soutient que la diffusion de deux tracts a été de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin, il résulte de l'instruction et il n'est pas sérieusement contesté, d'une part, que toute diffusion massive du premier tract au contenu injurieux pour un candidat, éparpillé sur la voie publique, a été empêchée sur décision du maire sortant qui a fait procéder immédiatement au nettoyage des espaces publics et, d'autre part, que le second tract, diffusé l'avant-veille du scrutin, ne contenait aucun élément nouveau de polémique électorale.

13. Enfin, il résulte de l'instruction que si la copie du procès-verbal du bureau centralisateur finalement communiquée à Mme H... mentionne un nombre de voix comptabilisées pour chaque liste dans chaque bureau qui est incohérent avec le total des voix par liste, le total est exact si l'on tient compte des corrections apportées sur le procès-verbal au crayon à papier, qui correspondent exactement aux nombre de voix recueillies par chaque liste figurant sur le procès-verbal de chaque bureau de vote. Dès lors, et en tout état de cause, le grief relatif à la comptabilisation des voix est infondé, comme a pu le juger le tribunal administratif en réponse à l'intervention de Mme I....

14. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par M. C..., tirée de la tardiveté de la protestation, Mme H... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa protestation, ainsi que ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 118-4 du code électoral, à l'appui desquels ne vient aucun grief fondé.

15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme H... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme R... H..., à M. F... C..., Mme N... I... et M. K... B..., premiers dénommés pour leurs colistiers, et au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 1er octobre 2021 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. P... G..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. M... Q..., M. O... J..., M. Hervé Cassagnabère, conseillers d'Etat et M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 22 octobre 2021.




Le Président :
Signé : M. T... D...
Le rapporteur :
Signé : M. Mathieu Le Coq
La secrétaire :
Signé : Mme A... L...




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