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Décision n° 452187
29 octobre 2021
Conseil d'État

N° 452187
ECLI:FR:CECHS:2021:452187.20211029
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre
M. Géraud Sajust de Bergues, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH, avocats


Lecture du vendredi 29 octobre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. W... H... O..., Mme X... H... O..., épouse M..., Mme B... N..., épouse U..., M. P... R..., M. Q... R..., M. S... R..., Mme F... N... épouse C..., Mme D... C..., M. J... C..., M. I... C... et M. E... C... ont demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 10 novembre 2016 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a refusé de les autoriser à résilier partiellement le bail rural consenti à la société Pépinières G... sur les parcelles cadastrées section AW n° 150, 151 et 152 situées à Bayonne, ainsi que l'arrêté du 22 février 2017 par lequel la même autorité a refusé de retirer l'arrêté du 10 novembre 2016. Par un jugement n° 1700794 du 31 octobre 2018, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° BX00030 du 2 mars 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté leur appel contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 mai et 3 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. H... O... et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 3 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. H... O... et autres demandent au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 411-32 du code rural et de la pêche maritime.

Par un mémoire, enregistré le 6 septembre 2021, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et en particulier que la question ne présente pas un caractère sérieux.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de M. H... O... et autres ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 411-32 du code rural et de la pêche maritime : " Le propriétaire peut, à tout moment, résilier le bail sur des parcelles dont la destination agricole peut être changée et qui sont situées en zone urbaine en application d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu. / En l'absence d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu, ou, lorsque existe un plan local d'urbanisme, en dehors des zones urbaines mentionnées à l'alinéa précédent, le droit de résiliation ne peut être exercé sur des parcelles en vue d'un changement de leur destination agricole qu'avec l'autorisation de l'autorité administrative. / (...) ".

4. Les requérants soutiennent qu'en adoptant les dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 411-32 du code rural et de la pêche maritime, le législateur, faute de prévoir les conditions dans lesquelles l'autorité administrative autorise ou refuse la résiliation d'un bail rural en vue d'un changement de destination agricole des parcelles, aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant le droit de propriété et la liberté contractuelle.

5. D'une part, aux termes de l'article 34 de la Constitution : " La loi détermine les principes fondamentaux : / (...) / - du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ; / (...) ". D'autre part, il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et à la liberté contractuelle, qui découle de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

6. En vertu des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 411-32 du code rural et de la pêche maritime, lorsque des parcelles mises à bail sont situées en dehors d'une zone urbaine en application d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou en l'absence de tels documents, le propriétaire ne peut résilier le bail agricole afin de changer la destination des parcelles qu'après avoir obtenu l'autorisation de l'autorité administrative. Il résulte d'une jurisprudence constante qu'il appartient à cette autorité, saisie d'une demande d'autorisation de résiliation d'un bail sur le fondement de ces dispositions, de s'assurer, sous le contrôle du juge administratif, d'une part, que la parcelle en cause peut, au regard de la règlementation en vigueur et des caractéristiques du projet, faire l'objet de la modification de destination souhaitée par le bailleur et, d'autre part, que la résiliation ne porte pas une atteinte excessive à la situation du preneur. Au regard de cette interprétation constante, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions contestées manifesteraient, de la part du législateur, une méconnaissance de l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant le droit de propriété et la liberté contractuelle.

7. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens du pourvoi :

8. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent, M. H... O... et autres soutiennent que la cour administrative d'appel de Bordeaux :
- a commis une erreur de droit en faisant application de dispositions législatives contraires à la Constitution ;
- a commis une erreur de droit en exerçant seulement un contrôle d'erreur manifeste d'appréciation sur la légalité de l'arrêté du 10 novembre 2016 ;
- a commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en jugeant que l'arrêté du 10 novembre 2016 avait constaté que la résiliation du bail porterait une atteinte excessive à la situation du preneur ;
- a dénaturé les pièces du dossier en jugeant, d'une part, que la résiliation porterait une atteinte manifeste aux intérêts agronomiques de l'exploitation agricole et, d'autre part, qu'elle porterait une atteinte manifeste à ses intérêts économiques et patrimoniaux ;
- a dénaturé les pièces du dossier en écartant les solutions alternatives qu'ils proposaient à la pépinière pour compenser la perte des parcelles faisant l'objet de la résiliation.

9. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. H... O... et autres.
Article 2 : Le pourvoi de M. H... O... et autres n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. W... H... O..., premier dénommé, pour l'ensemble des requérants.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à l'EARL Pépinières G..., à Mme K... V... G... et à M. A... G....
Délibéré à l'issue de la séance du 21 octobre 2021 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, conseiller d'Etat, présidant ; M. Christian Fournier, conseiller d'Etat et M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat-rapporteur


Rendu le 29 octobre 2021.




Le Président :
Signé : M. Stéphane Verclytte
Le rapporteur :
Signé : M. Géraud Sajust de Bergues

La secrétaire :
Signé : Mme L... T...