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Ariane Web: Conseil d'État 435984, lecture du 8 novembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:435984.20211108

Décision n° 435984
8 novembre 2021
Conseil d'État

N° 435984
ECLI:FR:CECHR:2021:435984.20211108
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Martin Guesdon, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; CABINET BRIARD ; CABINET ROUSSEAU ET TAPIE ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du lundi 8 novembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 435984, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 15 novembre 2019, 13 février et 15 septembre 2020 et 16 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Free demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision de l'Autorité de la concurrence n° 19-DCC-157 du 12 août 2019 relative à la création d'une entreprise commune par les sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision ;

2°) de mettre à la charge de l'Autorité de la concurrence la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 439527, par une requête et deux mémoires en réplique enregistrés les 13 mars et 15 septembre 2020 et 16 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Iliad demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par la présidente de l'Autorité de la concurrence sur sa demande tendant au retrait de la décision n°19-DCC-157 du 12 août 2019 relative à la création d'une entreprise commune par les sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision ;

2°) d'annuler la décision de l'Autorité de la concurrence n° 19-DCC-157 du 12 août 2019 relative à la création d'une entreprise commune par les sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision ;

3°) de mettre à la charge de l'Autorité de la concurrence la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle présente les mêmes moyens que sous la requête n° 435984 visée au 1°.

Par quatre mémoires en défense, enregistrés les 25 mai, 10 novembre et 4 décembre 2020 et 3 juin 2021, l'Autorité de la concurrence conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par trois mémoires en défense, enregistrés le 10 juin 2020 et les 21 et 25 janvier 2021, la société Métropole Télévision (M6) conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Iliad la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 25 juin et 11 décembre 2020, la société France Télévisions conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Iliad la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 1er juillet 2020 et 15 février 2021, la société Télévision Française 1 (TF1) conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Iliad la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par une intervention et un nouveau mémoire, enregistrés les 26 octobre 2020 et 9 avril 2021, la société Molotov demande que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête de la société Iliad et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Autorité de la concurrence la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle présente les mêmes moyens que sous la requête n° 435984 visée au 1°.

En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que la décision du Conseil d'Etat était susceptible d'être fondée sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce que la société Iliad n'a pas d'intérêt à agir, faute d'exercer directement une activité sur l'un des marchés concernés par l'opération.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 8 octobre 2021, la société Iliad soutient qu'elle a intérêt à agir à l'encontre de la décision de l'Autorité de la concurrence du 12 août 2019.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 11 octobre 2021, l'Autorité de la concurrence soutient que la société Iliad n'a pas intérêt à agir à l'encontre de la décision de l'Autorité de la concurrence du 12 août 2019.


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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Free, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société France Télévision, au cabinet Briard, avocat de la société Télévision Française 1, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Métropole Télévision, au cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Molotov, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Iliad ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 octobre 2021, présentée par la société France Télévisions sous les n° 435984 et 439527 ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 octobre 2021, présentée par la société Métropole Télévision sous les n° 435984 et 439527 ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 octobre 2021, présentée par l'Autorité de la concurrence sous les n° 435984 et 439527 ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 octobre 2021, présentée par la société TF1 sous le n° 435984 ;



Considérant ce qui suit :

1. Les sociétés France Télévisions, Métropole Télévision et Télévision Française 1 ont envisagé la création d'une entreprise commune dénommée Salto et ayant pour activité l'édition d'une offre de vidéo à la demande et la distribution, sur Internet, de services de télévision et de médias audiovisuels à la demande. La Commission européenne, à laquelle cette opération de concentration avait été notifiée, en a renvoyé l'examen à l'Autorité de la concurrence qui, par une décision du 12 août 2019, publiée le 17 septembre 2019, l'a autorisée sous réserve de l'exécution de plusieurs engagements pris par les parties à l'opération et visant à remédier aux effets anticoncurrentiels identifiés. La société Free, active sur le marché de la distribution, demande l'annulation de cette décision. La société Iliad, société mère de Free, demande également l'annulation de cette décision ainsi que l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par la présidente de l'Autorité de la concurrence sur sa demande en date du 15 novembre 2019 tendant au retrait de la décision du 12 août 2019. Il y a lieu de joindre les deux requêtes, dirigées contre la même décision, pour y statuer par une seule décision.

Sur la recevabilité de l'intervention de la société Molotov :

2. La société Molotov justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation des décisions attaquées. Par suite, l'intervention de la société Molotov est recevable.

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

3. En premier lieu, ni l'article L. 430-5 du code de commerce, ni aucune autre disposition ou principe n'imposent à l'Autorité de la concurrence de transmettre un projet de décision à un tiers à une opération de concentration, aux fins de le mettre en mesure de présenter ses observations. Par ailleurs, les engagements proposés par les sociétés mères de Salto n'imposent à Iliad et Free aucune obligation et ne les privent d'aucun droit. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d'un vice de procédure en ce que la dernière version des engagements des sociétés mères n'a pas été soumise à la consultation des tiers doit être écarté.

4. En deuxième lieu, l'Autorité de la concurrence, à laquelle une opération de concentration entrant dans le champ défini par les articles L. 430-1 et L. 430-2 du code de commerce a été notifiée, peut, en vertu des dispositions de l'article L. 430-5 du même code, soit autoriser l'opération en la subordonnant éventuellement à la réalisation effective d'engagements pris par les parties, soit, si elle estime qu'il existe un doute sérieux d'atteinte à la concurrence, engager un examen approfondi au terme duquel elle prend une décision qui peut être d'autorisation, le cas échéant assortie d'engagements, de prescriptions ou d'injonctions, ou d'interdiction, dans les conditions prévues aux articles L. 430-6 et L. 430-7 du même code. Ces dispositions offrent aux parties à l'opération de concentration la garantie qu'une opération ne peut être autorisée sous une condition autre que l'exécution d'engagements qu'elles ont elles-mêmes proposés ou ne peut être interdite qu'à l'issue d'un examen approfondi. Les tiers ne peuvent utilement critiquer la régularité du choix de cette Autorité de prendre une décision d'autorisation assortie d'engagements pris par les parties, sans recourir à un examen approfondi. Ils peuvent, en revanche, s'ils justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir et s'ils estiment que cette décision porte atteinte au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés qu'elle affecte, en contester le bien-fondé. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière au motif que l'Autorité de la concurrence n'a pas procédé à un examen approfondi de l'opération ne peut être accueilli.

5. En troisième lieu, d'une part, la circonstance que certaines caractéristiques précises de l'offre de Salto aient été occultées dans la décision publiée n'est pas, eu égard à leur nombre restreint et à leur portée limitée, qui n'empêche ni les tiers ni le juge d'apprécier la portée et le bien-fondé de cette décision, de nature à l'entacher d'irrégularité. D'autre part, après avoir indiqué les principales caractéristiques des services offerts par Salto et justifié la délimitation des marchés pertinents, l'Autorité de la concurrence a précisément analysé les effets concurrentiels de l'opération sur chacun des marchés qu'elle a considérés, eu égard aux déclarations des parties et aux données dont elle disposait, comme étant affectés par l'opération, afin d'apprécier si les engagements proposés par les parties permettaient de remédier aux préoccupations de concurrence. Ce faisant, elle a suffisamment motivé sa décision au regard des exigences de l'article L. 430-5 du code de commerce.

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

En ce qui concerne l'existence d'une entreprise commune et les règles applicables au contrôle de l'opération de création de Salto :

6. Aux termes du II de l'article L. 430-1 du code de commerce: " La création d'une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome constitue une concentration au sens du présent article ".

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la société Salto devrait disposer des ressources suffisantes pour opérer de façon indépendante sur le marché, et notamment de tous les éléments structurels nécessaires au fonctionnement d'une société autonome, que ce soit sur le plan des ressources humaines, des ressources financières, ou de la responsabilité commerciale, et devrait accomplir toutes les fonctions d'une entité économique autonome, sans se limiter à distribuer ou à vendre des produits de ses sociétés mères. Dès lors, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, Salto constitue une entreprise commune dont la création relève du contrôle des concentrations.

8. Saisie d'une opération de concentration, il appartenait seulement à l'Autorité de la concurrence, à partir d'une analyse prospective tenant compte de l'ensemble des données pertinentes et se fondant sur un scénario économique plausible, de délimiter les marchés pertinents, qui englobent les produits ou services offerts par l'entreprise résultant de la concentration et ceux d'autres entreprises et considérés comme suffisamment substituables principalement du point de vue de la demande pour exercer sur elle une pression concurrentielle significative, de caractériser les effets anticoncurrentiels de l'opération sur ces marchés et d'apprécier si ces effets étaient de nature à porter atteinte au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés qu'elle affecte.

9. Il en résulte, en second lieu, que l'Autorité de la concurrence ne pouvait analyser les effets de cette opération au regard des règles générales du droit de la concurrence, et que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, il n'y avait pas lieu de mener cette analyse au regard des dispositions de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou de celles des articles L. 420-1 et L. 420-4 du code de commerce relatives à la répression des pratiques anticoncurrentielles.

En ce qui concerne la délimitation des marchés pertinents :

10. Aux termes du 3 de l'annexe 4-3 du livre IV de la partie réglementaire du code de commerce : " Un marché concerné se définit comme un marché pertinent, défini en termes de produits et en termes géographiques, sur lequel l'opération notifiée a une incidence directe ou indirecte. / Un marché pertinent de produits comprend tous les produits ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés. Des produits, sans être substituables au sens de la phrase précédente, peuvent être regardés comme relevant d'un même marché, dès lors qu'ils requièrent la même technologie pour leur fabrication et qu'ils font partie d'une gamme de produits de nature à caractériser ce marché ".

S'agissant des marchés aval de la distribution de services de télévision :

11. Les sociétés requérantes soutiennent que l'Autorité de la concurrence a commis des erreurs dans la définition des marchés aval de la distribution de services de télévision, sur lesquels se rencontrent les distributeurs de services de télévision et les téléspectateurs.

12. En premier lieu, les sociétés requérantes soutiennent que l'Autorité de la concurrence aurait dû retenir une segmentation plus fine des marchés avals de la distribution en fonction du type de contenus, ou à tout le moins identifier un marché spécifique de la distribution de films d'expression originale française (EOF). Il ressort des pièces du dossier qu'une telle segmentation, compte tenu des contraintes réglementaires en vigueur, est pertinente sur le marché amont de l'acquisition de droits, comme l'a constaté la décision attaquée, et que dès lors que la diffusion d'oeuvres audiovisuelles EOF, dont les films EOF, constitue un gage de bonnes performances d'audience, il était justifié, compte tenu de la position des sociétés mères de Salto sur ce marché d'acquisition des droits, d'analyser, comme l'a fait la décision attaquée, les risques de verrouillage au profit de Salto de l'accès à de tels contenus et la portée des engagements destinés à prévenir ce risque. En revanche, il n'est pas établi que, sur le marché aval de la distribution, une telle segmentation serait justifiée, dès lors que, sur ce marché, que ce soit pour les consommateurs ou pour les distributeurs, de tels contenus ne s'avèrent pas insuffisamment substituables aux autres contenus distribués. C'est donc sans erreur d'appréciation que l'Autorité de la concurrence a estimé qu'il n'était pas pertinent de procéder à une telle segmentation.

13. En deuxième lieu, les sociétés requérantes reprochent à la décision attaquée de n'avoir pas retenu un marché de la distribution au détail de la télévision gratuite. Toutefois, d'une part, c'est sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation que l'Autorité de la concurrence a pu estimer qu'eu égard à l'absence de relations commerciales entre les distributeurs et les consommateurs finaux de télévision gratuite, elle pouvait se borner, pour apprécier les effets de l'opération qui lui était soumise sur les marchés aval, à analyser ces effets dans le cadre du marché de la publicité et du marché de la vente de données, d'où provient l'essentiel des revenus des distributeurs de services de télévision gratuite. D'autre part, en vertu de l'article 4 du règlement du Conseil du 20 janvier 2004, l'Autorité de la concurrence à qui la Commission européenne avait renvoyé l'examen de l'opération, était tenue d'appliquer le droit national de la concurrence et pouvait, dès lors, s'écarter de la pratique décisionnelle de la Commission européenne.

14. En troisième lieu, les requérantes soutiennent que l'Autorité de la concurrence aurait dû segmenter le marché de la distribution de la télévision payante en fonction de la plateforme de distribution des chaînes, et distinguer un marché spécifique de la distribution de télévision payante par l'intermédiaire d'Internet, en diffusion dite " over-the-top " (OTT). Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que les offres de télévision payante " OTT " exercent une pression concurrentielle croissante sur les offres de télévision payante distribuées selon des modes de diffusion classiques. D'autre part, l'allégation selon laquelle la substituabilité entre ces différentes offres serait imparfaite au point de justifier une telle délimitation n'est ni confirmée par les résultats des tests de marché menés par l'Autorité de la concurrence, ni suffisamment étayée par les requérantes. Par suite, le moyen tiré de ce que l'Autorité de la concurrence aurait commis une erreur d'appréciation en ne retenant pas l'existence d'un marché de la distribution de télévision payante sur Internet dite " over-the-top " doit être écarté.

15. En dernier lieu, la perméabilité croissante entre la télévision linéaire et non linéaire, qui a conduit l'Autorité de la concurrence à laisser ouverte la question du maintien d'une segmentation entre la distribution de l'une et de l'autre, en analysant les effets de l'opération dans les deux configurations, accroît la substituabilité des offres respectivement concernées, et il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier des résultats des tests de marché menés par l'Autorité de la concurrence, qu'une offre de fourniture agrégeant contenus linéaires, contenus non linéaires et services associés serait, dans ce contexte de perméabilité croissante, insuffisamment substituable aux autres offres au point de justifier la délimitation d'un marché spécifique. Par suite, le moyen tiré de ce que l'Autorité de la concurrence aurait dû distinguer un marché de la fourniture agrégée de contenus linéaires et non linéaires et de services associés audiovisuels doit être écarté.

S'agissant des marchés relatifs à l'activité de commercialisation de données :

16. L'Autorité de la concurrence a laissé ouverte la question de savoir si l'activité de Salto relative à la commercialisation de données de consommation de ses contenus audiovisuels devait être analysée dans le cadre d'un marché global des services de vente de données ou dans le cadre d'un marché spécifique de la commercialisation de données relatives à la consommation audiovisuelle, après avoir constaté que les conclusions de l'analyse concurrentielle demeuraient inchangées que l'on retienne l'un ou l'autre.

17. Les sociétés requérantes soutiennent que l'Autorité de la concurrence aurait dû procéder à une délimitation plus fine des marchés pertinents, et retenir l'existence d'un marché de la commercialisation des données relatives à la consommation de contenus linéaires et non linéaires associés aux chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT) en clair, voire l'existence de marchés de la commercialisation de données propres à chaque chaîne de télévision. Toutefois, quand bien même les données de consommation des contenus proposés par les chaînes de la TNT en clair constituent, compte tenu de l'audience de celles-ci, une part significative de l'ensemble des données relatives à la consommation audiovisuelle, et quand bien même les sociétés mères disposeront, par le biais de Salto, de données sur la consommation de ces contenus par les abonnés de Salto, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces données ne seraient pas substituables entre elles ou aux autres données relatives à la consommation audiovisuelle recueillies par des tiers. C'est donc sans erreur d'appréciation que l'Autorité de la concurrence s'en est tenue, dans la délimitation des marchés pertinents susceptibles d'être retenus pour procéder à l'analyse des effets de l'opération, au marché global de la vente de données et au marché spécifique de la vente de données de consommation audiovisuelle, sans segmenter davantage ce dernier.

En ce qui concerne l'analyse concurrentielle :

S'agissant de l'absence d'analyse de la contribution de l'opération au progrès économique :

18. Aux termes de l'article L. 430-6 du code de commerce : " Lorsqu'une opération de concentration fait l'objet, en application du dernier alinéa du III de l'article L. 430-5, d'un examen approfondi, l'Autorité de la concurrence examine si elle est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante ou par création ou renforcement d'une puissance d'achat qui place les fournisseurs en situation de dépendance économique. Elle apprécie si l'opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ".

19. Il résulte des dispositions de l'article L. 430-6 du code de commerce que l'analyse de l'éventuelle contribution de l'opération au progrès économique, qui a pour seul objet de compenser les atteintes à la concurrence qui ne pourraient être évitées, ne saurait intervenir que lorsque l'opération a fait l'objet d'un examen approfondi. En l'espèce, la première phase d'examen de l'opération ayant conduit l'Autorité de la concurrence à constater l'absence d'atteinte à la concurrence sous réserve de la réalisation effective des engagements pris par les parties, et à autoriser l'opération sans engager un examen approfondi, les sociétés ne peuvent utilement soutenir que l'Autorité de la concurrence aurait dû procéder à une telle analyse.

S'agissant de la prise en compte du périmètre de l'activité de Salto et de son évolution prévisible :

20. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les parties ont affirmé à l'Autorité de la concurrence que Salto avait uniquement " vocation à acquérir des droits de diffusion de films de plus de 36 mois, c'est-à-dire à l'issue du premier cycle d'exploitation en télévision payante et en clair prévu par la chronologie des médias ". C'est sans erreur d'appréciation ni erreur de droit que l'Autorité de la concurrence, se fondant sur une analyse prospective du secteur, a estimé, d'une part, que la réglementation relative à la chronologie des médias, telle que révisée en 2019, encadrait durablement la diffusion de tels films et, d'autre part, qu'au regard des caractéristiques de cette réglementation, et des contraintes de financement qu'elle impose pour permettre la diffusion de films de moins de 36 mois, et compte tenu du modèle économique de Salto, rien ne conduisait à remettre en cause sur ce point les indications des parties, dont la méconnaissance, les exposerait au demeurant aux sanctions prévues par le III de l'article L. 430-8 du code de commerce.

21. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le plan d'affaires de Salto ne prévoyait pas " l'exploitation de contenus sportifs dont la consommation se fait davantage en direct, i.e. via le linéaire et non via un service de SVoD ". C'est sans erreur d'appréciation ni erreur de droit que l'Autorité de la concurrence, se fondant sur une analyse prospective du secteur, a estimé qu'aucun élément sérieux ne conduisait à remettre en cause cette indication, compte tenu du coût très élevé, hors de portée des moyens de Salto, des droits pour les sports ou les événements les plus porteurs, d'une part, et du peu d'intérêt pour Salto, eu égard à la cible de consommateurs visés, d'acquérir des droits pour des sports ou des événements " de niche ", d'autre part.

22. Dans ces conditions, c'est également sans erreur d'appréciation que l'Autorité de la concurrence a estimé que les marchés de l'acquisition des droits sportifs et des films de cinéma [EOF] récents n'étaient pas affectés par l'opération. Dès lors, le moyen tiré de ce qu'elle aurait commis une erreur de droit ou d'appréciation en ne prenant pas en compte l'ensemble du périmètre d'activité de Salto dans l'analyse concurrentielle doit être écarté.

S'agissant des droits sportifs :

23. En vertu du point 182 des lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations : " Un marché concerné est considéré comme affecté si (...) une entreprise concernée au moins exerce des activités sur ce marché et une autre de ces entreprises ou groupes exerce des activités sur un marché situé en amont, en aval ou connexe, qu'il y ait ou non des relations de fournisseur à client entre ces entreprises, dès lors que, sur l'un ou l'autre de ces marchés, l'ensemble de ces entreprises ou groupes atteignent 25 % ou plus en parts de marché ".

24. Les sociétés requérantes soutiennent que l'Autorité de la concurrence aurait dû examiner les effets verticaux découlant de la position forte des sociétés mères de Salto, en amont, sur le marché de l'acquisition de droits sportifs, et de la présence de Salto, en aval, sur le marché de la distribution de services de télévision. Il ressort toutefois des pièces du dossier, tout d'abord, que les sociétés mères ne détenaient, prises ensemble, plus de 25% des parts de marché, sur le marché amont de l'acquisition de droits, que sur le marché de l'achat de droits pour une diffusion sur des services de télévision payante et gratuite des " autres compétitions de football " (à savoir les compétitions de football autres que la Ligue 1, les championnats étrangers de football les plus attractifs et les compétitions régulières de football qui se déroulent toute l'année et qui impliquent des équipes françaises), ensuite que, sur ce segment, outre qu'il ne s'agissait ni d'un produit critique pour Salto, ni d'un débouché essentiel pour les sociétés mères, la puissance des acheteurs concurrents des mères limitait les risques de verrouillage, enfin que l'Autorité de la concurrence a estimé que ce risque de verrouillage était suffisamment limité par les engagements E11 à E14, excluant que Salto bénéficie d'une exclusivité de diffusion des chaînes en clair des sociétés mères et imposant à celles-ci d'offrir cet accès à des distributeurs tiers dans des conditions non discriminatoires, et qui portaient sur l'ensemble des contenus de ces chaînes, y compris les contenus sportifs. Dans ces conditions, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'Autorité de la concurrence aurait commis une erreur d'appréciation ou une erreur de droit en omettant d'analyser suffisamment les effets de l'opération sur les marchés des droits sportifs.

S'agissant de la commercialisation de données :

25. Les sociétés requérantes soutiennent que l'Autorité de la concurrence aurait dû demander aux sociétés mères de Salto, qui n'avaient initialement identifié que le marché des services de vente de données et communiqué leurs parts sur ce premier marché, de lui préciser également les parts qu'elles détenaient sur le marché de la commercialisation de données relatives à la consommation audiovisuelle. En vertu de l'article L. 430-3 du code de commerce, il incombe aux parties à une opération de concentration de transmettre à l'Autorité de la concurrence l'ensemble des éléments mentionnés à l'annexe 4-3 du livre IV de la partie réglementaire du code de commerce, notamment une " définition de chaque marché concerné ainsi qu'une description précise des arguments ayant conduit à la délimitation proposée et, pour chaque marché concerné ", la part de marché des entreprises concernées et des groupes auxquels elles appartiennent ainsi que la part de marché des principaux opérateurs concurrents. Toutefois, en l'espèce, c'est sans erreur d'appréciation que l'Autorité de la concurrence a estimé qu'à supposer qu'il faille distinguer un marché spécifique de la commercialisation de données relatives à la consommation audiovisuelle, la présence des sociétés mères de Salto y serait nécessairement marginale faute pour elles de pouvoir accéder directement aux données de consommation de leurs produits respectifs, dès lors que, s'agissant de la télévision diffusée par voie hertzienne, ces données ne sont accessibles que par le biais de dispositifs de suivi gérés par des tiers, et que, s'agissant de la télévision diffusée par internet, si les sociétés mères peuvent directement recueillir ces données s'agissant des contenus distribués sur les plateformes qu'elles ont développées, l'essentiel de cette diffusion, et le recueil des données correspondantes, demeure effectué par des tiers. Au regard de ce constat, c'est sans erreur de droit que l'Autorité de la concurrence a pu se dispenser de demander aux sociétés mères de lui communiquer leurs parts sur le marché en question.

S'agissant des autres erreurs invoquées :

26. En premier lieu, le moyen tiré de ce que l'Autorité de la concurrence n'aurait pas analysé les effets, sur le marché aval de la distribution de services de télévision, de la position forte détenue par les sociétés mères de Salto sur le marché amont de l'acquisition de droits de diffusion de contenus audiovisuels manque en fait, la décision attaquée analysant précisément ces effets et les remèdes proposés.

27. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 11 à 15 que les sociétés requérantes ne sauraient utilement soutenir que l'analyse des effets de l'opération a nécessairement été viciée par le fait que l'Autorité n'a pas analysé ces effets sur le marché de la télévision gratuite, d'une part, ou par le fait qu'elle a omis de définir un marché aval de distribution des contenus audiovisuels EOF, d'autre part.

En ce qui concerne les engagements :

28. Lorsque lui est notifiée une opération de concentration dont la réalisation est soumise à son autorisation, il incombe à l'Autorité de la concurrence d'user des pouvoirs d'interdiction, d'injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements pris devant elle par les parties, qui lui sont conférés par les articles L. 430-6 et suivants du code de commerce, à proportion de ce qu'exige le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération. Les engagements qu'elle accepte doivent être suffisamment certains et mesurables pour garantir que les effets anticoncurrentiels qu'ils ont pour finalité de prévenir ne seront pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche.

29. S'il est soutenu que les engagements pris par les sociétés mères sont insuffisants pour prévenir les effets anticoncurrentiels identifiés au motif qu'ils seraient uniquement comportementaux et que des engagements structurels auraient été plus efficaces, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, dès lors qu'il appartient seulement à l'Autorité de la concurrence, pour apprécier si un engagement est pertinent et suffisant, de rechercher s'il est de nature à remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération projetée et à maintenir ainsi une concurrence suffisante, et s'il est suffisamment certain et mesurable.

S'agissant de la prévention des risques de coordination :

30. Afin de prévenir les différents risques de coordination entre les sociétés mères de Salto susceptibles d'accroître la transparence sur les marchés de l'acquisition de contenus audiovisuels d'expression originale française et sur les marchés de l'édition et de la commercialisation de chaînes de télévision, les sociétés mères ont pris des engagements relatifs au fonctionnement et à l'organisation interne de l'entreprise commune, valables pour sa durée de vie. En premier lieu, les représentants des sociétés mères au sein des organes de gouvernance sont tenus par un accord de confidentialité et ne peuvent pas occuper de fonctions en lien direct avec l'acquisition de droits ou la distribution de services audiovisuels de l'une des sociétés mères. Lorsque des sujets relatifs à ce type d'activités au sein de Salto sont inscrits à l'ordre du jour du conseil de surveillance, le mandataire chargé d'assurer le suivi des engagements assiste aux discussions y afférant. En deuxième lieu, les collaborateurs de Salto ne peuvent parallèlement collaborer avec l'une des sociétés mères ou en être mandataires sociaux tandis que ceux qui ont antérieurement eu pour fonction, au sein des sociétés mères, la négociation des contrats d'acquisition ou de distribution de chaînes sont tenus à un accord de confidentialité. Les personnes signataires de ces accords de confidentialité s'engagent à prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher un accès non autorisé d'un tiers ou d'un collaborateur de Salto aux informations considérées comme confidentielles, permettant ainsi de protéger le contenu des informations susceptibles d'être échangées. Les sociétés mères ont toutefois prévu qu'un nombre limité de leurs collaborateurs puisse participer, jusqu'au 31 décembre 2019, à la création et au lancement de Salto, sans être actifs dans les domaines de l'acquisition de droits et de la distribution. En troisième lieu, les engagements prévoient que Salto dispose de ses propres locaux, de sa propre structure informatique et de ses propres services juridiques, comptables et financiers. Enfin, les sociétés mères se sont engagées à ce que les informations accessibles à leurs représentants au conseil de surveillance de Salto soient agrégées et relèvent uniquement de ce qui est strictement nécessaire à l'adoption des décisions relevant de la compétence du conseil de surveillance.

31. Les engagements E1 à E4 rappelés au point précédent prévoient ainsi, d'une part, s'agissant des collaborateurs de Salto, qu'ils ne peuvent être en même temps collaborateurs ou mandataires sociaux d'une des sociétés mères de Salto, et que ceux qui ont antérieurement eu pour fonction, au sein des sociétés mères, la négociation des contrats d'acquisition ou de distribution de chaînes sont tenus à un strict accord de confidentialité. Ils prévoient, d'autre part, que les représentants des sociétés mères au sein du conseil de surveillance de Salto ne peuvent exercer de fonctions en lien direct avec l'acquisition de droits ou la distribution de services audiovisuels de l'une des sociétés mères, qu'ils sont tenus par un strict engagement de confidentialité, qu'ils n'accèdent qu'à des informations agrégées et strictement nécessaires à l'adoption des décisions relevant de la compétence du conseil de surveillance, et que le mandataire chargé du suivi des engagements assiste aux discussions du conseil lorsqu'elle portent sur ces sujets. Ces engagements permettent ainsi, pour toute la durée de vie de Salto et dès sa création, de limiter strictement la possibilité pour les sociétés mères d'échanger des informations sensibles relatives à l'acquisition de droits de diffusion et à la distribution de services audiovisuels par le biais de leurs représentants au sein du conseil de surveillance ou de leurs anciens collaborateurs recrutés par Salto. La circonstance que le président directeur général du groupe TF1 préside le conseil de surveillance de Salto, que l'ancienne directrice des services de vidéo à la demande du groupe France Télévision occupe les fonctions de secrétaire générale de Salto et qu'un ancien membre du comité exécutif de Métropole Télévision soit directeur opérationnel de Salto n'est pas de nature, au regard des accords de confidentialité dont la méconnaissance est constitutive d'une faute professionnelle et des autres garanties encadrant les échanges d'informations sensibles au sein du conseil de surveillance, à remettre en cause l'appréciation portée par l'Autorité de la concurrence. En outre, les personnes signataires de ces accords de confidentialité s'engagent à prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher un accès non autorisé d'un tiers ou d'un collaborateur de Salto aux informations considérées comme confidentielles, permettant ainsi de protéger le contenu des informations susceptibles d'être échangées et de porter atteinte à la concurrence. L'efficacité de ces engagements pour prévenir le risque de coordination entre sociétés mères de Salto sur les marchés de l'édition et de la commercialisation de chaînes de télévision est par ailleurs renforcée par le mécanisme institué par l'engagement E14 pour la détermination de la rémunération due par Salto aux sociétés mères à raison de la distribution de leurs chaînes de la TNT et services associés.

32. Il résulte de ce qui précède qu'en estimant que les engagements E1 à E4, dont la pertinence et l'efficacité doivent être appréciées globalement et en prenant en compte l'ensemble des autres engagements, suffisaient à prévenir les risques de coordination identifiés, l'Autorité de la concurrence n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation.

S'agissant de la prévention des effets anticoncurrentiels identifiés sur les marchés de l'acquisition des droits de diffusion :

Quant aux engagements E5 et E6 relatifs aux achats couplés entre droits linéaires et droits non linéaires par les mères :

33. Afin de prévenir les risques anticoncurrentiels résultant de l'impossibilité, pour les ayants droit de contenus audiovisuels et cinématographiques EOF et de programmes de flux, de s'opposer à une stratégie d'achat groupé des droits de diffusion linéaire et non linéaire pour un même contenu mise en oeuvre par les sociétés mères qui priverait ces ayants droit d'une valorisation adéquate de leurs droits de diffusion non linéaire, les sociétés mères se sont engagées, d'une part, par l'engagement E5, à ne réaliser de tels achats couplés que dans l'hypothèse où les droits de diffusion non linéaire sont acquis pour une période incluse dans celle des droits de diffusion linéaire et, d'autre part, par l'engagement E6, à signer des contrats séparés pour chacun de ces deux types de droits.

34. C'est sans erreur d'appréciation que l'Autorité de la concurrence a estimé, d'une part, qu'il aurait été disproportionné d'étendre l'engagement E5 en excluant les achats groupés y compris lorsque les droits de diffusion non linéaire et linéaire d'un même contenu portent sur la même période, dès lors que, compte tenu de la pratique d'achats " tous droits " développée par l'ensemble des plateformes pour s'assurer une exclusivité provisoire sur certains contenus, une telle extension aurait empêché les mères de s'adapter à une pratique du marché préexistante à l'opération, et qu'elle a estimé, d'autre part, que tel que formulé, cet engagement assurait aux tiers un accès aisé aux contenus en question passé la période couverte par les droits de diffusion linéaire, et que, combiné avec l'engagement E6, permettant d'assurer aux ayants-droits une valorisation distincte des droits de diffusion linéaire et des droits de diffusion non linéaire, cet engagement prévenait de façon suffisamment efficace le risque découlant de l'effet de levier que la position très forte des mères sur le marché de l'acquisition de droits de diffusion linéaire de contenus EOF leur permettrait d'exercer pour l'acquisition de droits de diffusion non linéaire de tels contenus.

Quant aux engagements E7 et E8 relatifs aux achats de droits non linéaires par Salto auprès des sociétés mères :

35. Les sociétés mères se sont engagées, d'une part, à ce que les oeuvres audiovisuelles EOF et les programmes de flux acquis auprès des sociétés mères par Salto en exclusivité ne représentent pas plus de 40% du volume horaire total proposé par la nouvelle entité pour ces deux types de contenus et, d'autre part, à ce que les oeuvres cinématographiques EOF acquises en exclusivité auprès d'elles par Salto ne représentent pas plus de 25% de ce type d'oeuvres proposées par Salto et 25% des dépenses totales de l'entité consacrées à ce type d'oeuvres.

36. C'est sans erreur d'appréciation que l'Autorité de la concurrence a estimé que, eu égard au montant significativement bas de ces plafonds, et quand bien même cette limitation est moins stricte pour les oeuvres audiovisuelles EOF et les programmes de flux, d'autant qu'elle n'est exprimée qu'en pourcentage du volume horaire total, et non en pourcentage des dépenses consacrées à ce type de contenus, ces engagements limitaient la proportion des contenus en question susceptible d'être réservée à Salto de façon suffisamment stricte, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, pour prévenir les risques d'une dégradation de la situation concurrentielle sur le marché des droits de diffusion de ces contenus.

Quant aux engagements E9 et E10 relatifs à la levée de clauses de " holdback " et l'exercice d'un droit de préemption et de priorité :

37. Pour prévenir les effets anticoncurrentiels tenant au verrouillage, par les sociétés mères, de l'accès aux droits de diffusion non linéaire de contenus audiovisuels et cinématographiques EOF et des programmes de flux par l'exercice, au bénéfice de Salto, de clauses dites de " holdback " par lesquelles l'ayant-droit s'engage à ne pas commercialiser des droits non linéaires d'un programme auprès d'un tiers autre que l'éditeur pendant une période déterminée et de clauses de priorité et de préemption, les sociétés mères se sont engagées à renoncer à la clause de leur protocole d'accord qui les conduisait à lever les clauses de " holdback " sur simple demande de Salto et à son profit exclusif. Par ailleurs, l'engagement E9c limite les droits de diffusion non linéaire acquis en exclusivité par Salto à la suite de la levée, par les sociétés mères et au bénéfice exclusif de Salto, de clauses de " holdback ". Ces quotas sont fixés à 50 % du volume horaire total soumis à une telle clause s'agissant des oeuvres audiovisuelles EOF et des programmes de flux et à 50 % du nombre total d'oeuvres cinématographiques EOF soumises à une clause de " holdback " de chacune des sociétés mères s'agissant de ce type de contenus. Enfin, l'engagement E10 empêche Salto d'exercer directement un droit de priorité et de préemption figurant dans un contrat de préachat ou de coproduction conclu par les sociétés mères.

38. Les sociétés requérantes soutiennent que l'engagement E9c est insuffisant en ce que les seuils de contenus audiovisuels fixés sont trop élevés. Toutefois, s'il ressort des pièces du dossier que les contenus EOF sont particulièrement attractifs pour les éditeurs de services de télévision linéaire et non linéaire et que la pratique contractuelle des clauses de " holdback " est amenée à se développer, les quotas mentionnés au point précédent permettent aux concurrents de la nouvelle entité de formuler des demandes de levée de clauses de " holdback " sur une quantité non négligeable de contenus EOF et de programmes de flux et d'acquérir ainsi des droits de diffusion non linéaire de ces contenus dans des conditions garantissant le maintien d'une concurrence suffisante sur le marché.

39. Il résulte de ce qui précède que l'Autorité de la concurrence n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation en estimant que les engagements décrits ci-dessus, dont la pertinence et l'efficacité doivent être appréciées globalement, étaient de nature à prévenir les effets anticoncurrentiels identifiés sur les marchés de l'acquisition de droit de diffusion de contenus audiovisuels.

S'agissant de la prévention des effets anticoncurrentiels identifiés sur les marchés de l'édition et de la commercialisation des chaines de télévision :

40. Compte tenu de la position des sociétés mères sur les marchés de l'édition et de la commercialisation de chaînes, notamment celui des chaînes de la TNT en clair qui constituent des intrants indispensables pour les distributeurs, l'Autorité de la concurrence a, d'une part, identifié un risque de coordination horizontale en estimant que l'opération était de nature à générer une transparence durable sur ces marchés, d'un point de vue technique et tarifaire, pouvant conduire à une harmonisation des conditions de distribution. D'autre part, elle a considéré que les sociétés mères de Salto avaient la capacité de et l'incitation à verrouiller l'accès de leurs chaînes de la TNT en clair et des services et fonctionnalités associés aux distributeurs tiers et que cette stratégie, coordonnée ou non, était de nature à générer des effets anticoncurrentiels sur le marché de la distribution de télévision payante, au bénéfice de Salto. Afin de prévenir ces effets, les sociétés mères ont pris plusieurs séries d'engagements. En premier lieu, les engagements E1 à E4 relatifs au fonctionnement et à l'organisation interne de Salto visent à limiter les échanges d'information susceptibles de favoriser la coordination, d'une part, entre les sociétés mères et, d'autre part, entre les sociétés mères et Salto. En second lieu, les engagements E11 à E14 visent à prévenir plus directement le risque d'éviction des distributeurs tiers. Ainsi, les sociétés mères se sont engagées à ne pas conclure d'exclusivité de distribution des chaînes de la TNT en clair et de leurs services et fonctionnalités associés avec Salto et à proposer à tout distributeur tiers qui en ferait la demande la distribution de ces chaînes et services et fonctionnalités associés à des conditions techniques, commerciales et financières transparentes, objectives et non discriminatoires. Enfin, il est prévu que la rémunération due par Salto aux sociétés mères soit déterminée, chaque année et sous le contrôle du mandataire, à partir d'une proposition formulée par chaque société mère à deux experts indépendants agréés par l'Autorité de la concurrence, qui ont accès aux contrats de distribution en cours entre les sociétés mères et les distributeurs tiers. Ces experts agrègent les rémunérations des sociétés mères afin que Salto ne puisse pas connaître le montant individualisé de ces rémunérations. La rémunération due par Salto à chaque société mère correspond, en l'absence de divergence significative, à la moyenne de la rémunération estimée par les deux experts.

41. En premier lieu, il est soutenu que ces engagements sont insuffisants en ce qu'ils ne prévoient pas que les sociétés mères sont tenues de proposer de manière dissociée, d'une part, la distribution de leurs chaines de la TNT et, d'autre part, les fonctionnalités et services associés à ces chaines, voire de proposer une offre ainsi dissociée chaîne par chaîne. Les sociétés requérantes ainsi que la société Molotov invoquent, à ce titre, des difficultés rencontrées dans leurs négociations des contrats de distribution au motif que les sociétés mères proposeraient une seule offre groupant la reprise des chaînes et les services associés et, s'agissant de Métropole Télévision, conditionnerait la distribution de ses chaînes de la TNT en clair à leur inclusion dans une offre de distribution payante. Il ressort néanmoins des pièces du dossier que les sociétés mères ont proposé aux distributeurs, dès 2016, à l'occasion du renouvellement de certains contrats de distribution, une rémunération globale pour la diffusion de l'intégralité de leurs services, cette pratique répondant à une volonté de davantage monétiser les fonctionnalités et services associés aux chaînes. Ainsi, le développement de telles offres groupées, ou l'apparition de telles conditions, et les difficultés susceptibles d'en résulter pour certains distributeurs, préexistent à l'opération soumise au contrôle de l'Autorité de la concurrence. Dès lors qu'il incombe seulement à celle-ci, dans le cadre de ce contrôle, de veiller au maintien d'une concurrence suffisante, mais non de subordonner son accord à des engagements permettant de restaurer un niveau de concurrence supérieur à celui existant avant l'opération, c'est sans erreur d'appréciation qu'elle a estimé qu'il serait disproportionné d'imposer aux sociétés mères de proposer les offres dissociées réclamées par les sociétés requérantes. Si celles-ci soutiennent que, du fait de la création de Salto, l'incitation à proposer des offres groupées sera aggravée, il résulte des termes mêmes de la décision attaquée et de l'engagement E13 adopté que les sociétés mères ont l'obligation de proposer la distribution de leurs chaînes et services associés à des conditions techniques, commerciales et financières transparentes, objectives et non discriminatoires, ce qui, tout d'abord exclut, si Salto bénéficie d'offres dissociées, qu'elles soient refusées, sans raison objective et non discriminatoire, à ses concurrents, ensuite n'impose aucunement aux mères, si Salto acquiert des droits groupés, de ne proposer que des offres groupées à d'autres distributeurs.

42. En deuxième lieu, alors que les engagements excluent explicitement la possibilité d'une discrimination tarifaire, les garanties encadrant le mécanisme de détermination de la rémunération due par Salto aux sociétés mères ainsi que les autres engagements cités au point 40 permettent la prise en compte, dans la conclusion de contrats de distribution avec les tiers, d'éléments de différenciation, sans que l'opération conduise à une harmonisation à la hausse des rémunérations dues par les tiers.

43. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 40, les sociétés mères se sont engagées à proposer aux distributeurs tiers une offre de distribution à des conditions techniques non discriminatoires. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes et la société Molotov, cet engagement prévient efficacement le risque d'une dégradation des conditions techniques de distribution proposées aux distributeurs tiers par rapport à celles proposées à Salto. La circonstance, postérieure à la décision attaquée, que deux des sociétés mères refusent, en dépit de cet engagement, de mettre à disposition de Free leurs contenus en lecture dans l'interface développée par la société, si elle est susceptible de constituer un manquement à cet engagement, et, à supposer ce manquement établi, à justifier une sanction de l'Autorité de la concurrence, ne saurait en revanche affecter la légalité de la décision, qui s'apprécie à la date à laquelle elle a été rendue.

44. En quatrième lieu, d'une part, si la décision attaquée ne fixe aucune date limite pour la conclusion de contrats de distribution entre les sociétés mères et les distributeurs, l'obligation qui leur incombe de proposer la distribution de leurs chaînes et services associés à des conditions techniques, commerciales et financières transparentes, objectives et non discriminatoires est entrée en vigueur dès la notification de cette décision et impliquait ainsi l'ouverture, sans délai, de négociations. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que les engagements, dont la réalisation fait l'objet d'une surveillance par un mandataire indépendant, sont, contrairement à ce qui est soutenu, suffisamment contrôlables. Enfin, si les sociétés requérantes soutiennent que les engagements présentent un caractère potestatif en raison de l'absence de délai raisonnable de mise en oeuvre et qu'ils doivent, par conséquent, être regardés comme nuls en vertu de l'article 1304-2 du code civil, les engagements annexés à une décision d'autorisation de concentration prise sur le fondement de l'article L. 430-5 du code de commerce ne revêtent pas, en tout état de cause, le caractère d'une convention de droit privé. Au demeurant, l'engagement E13 ne saurait, contrairement à ce qui est soutenu, être qualifié de potestatif, dès lors qu'il impose aux sociétés mères de proposer aux distributeurs en faisant la demande, dans un délai raisonnable, la distribution de leurs chaînes de la TNT en clair et de leurs services et fonctionnalités associés, à des conditions techniques, commerciales et financières, transparentes, objectives et non discriminatoires.

45. Il résulte de ce qui précède que l'Autorité de la concurrence n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation en estimant que les engagements décrits ci-dessus, dont la pertinence et l'efficacité doivent être appréciées globalement, étaient de nature à prévenir les effets anticoncurrentiels identifiés sur les marchés de l'édition et de la commercialisation des chaines de télévision. Les sociétés requérantes ne sont pas davantage fondées à soutenir que ces engagements ne seraient pas suffisamment certains et mesurables.

S'agissant de la prévention des effets congloméraux sur le marché de la distribution de services de télévision payante linéaire :

46. Afin de lever tout doute sérieux quant aux éventuels effets congloméraux de l'opération sur le marché de la distribution de télévision payante linéaire qui résulteraient d'une promotion croisée au bénéfice de Salto et du fort pouvoir de prescription des chaînes linéaires des sociétés mères, ces dernières se sont notamment engagées à s'interdire " la promotion croisée de la plateforme Salto sur les chaînes de la TNT en clair des trois groupes ".

47. D'une part, si les sociétés requérantes soutiennent que cet engagement aurait dû être étendu à la promotion croisée de la plateforme Salto sur les plateformes des trois sociétés mères, c'est sans erreur d'appréciation, eu égard au pouvoir de prescription limité de ces plateformes, comparé à celui des chaînes elles-mêmes, que l'Autorité de la concurrence a pu estimer que cet engagement pouvait être limité à ces chaînes.

48. D'autre part, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, cet engagement est énoncé de façon suffisamment précise, et la seule circonstance qu'il ne serait pas, en pratique, respecté, est, comme il a été dit au point 43 sans incidence sur la légalité de la décision elle-même.

49. Dans ces conditions, s'il est soutenu qu'au-delà des engagements comportementaux analysés ci-dessus, seules des mesures structurelles tendant à la réduction du périmètre d'activité de Salto, comme l'impossibilité, pour l'entreprise commune, de distribuer les chaînes de la TNT en clair, permettraient le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés concernés, de telles mesures n'étaient pas nécessaires pour prévenir les risques identifiés par l'Autorité.

50. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par l'Autorité de la concurrence, que la société Free et la société Iliad ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision de l'Autorité de la concurrence du 12 août 2019. La société Iliad n'est pas plus fondée à demander l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par la présidente de l'Autorité de la concurrence sur sa demande tendant au retrait de cette même décision.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

51. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Autorité de la concurrence, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. La société Molotov, intervenante en demande, n'étant pas partie à la présente instance, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que l'Autorité de la concurrence lui verse la somme qu'elle demande à ce titre. La société Free et la société Iliad verseront chacune la somme globale de 3 000 euros à la société Métropole Télévision, à la société France Télévisions et à la société Télévision Française 1 au titre de ces mêmes dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la société Molotov est admise.
Article 2 : Les requêtes des sociétés Free et Iliad sont rejetées.
Article 3 : La société Free et la société Iliad verseront chacune la somme globale de 3 000 euros à la société Métropole Télévision, à la société France Télévisions et à la société Télévision Française 1.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Molotov au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Free, à la société Iliad, à la société Molotov, à la société Métropole Télévision, à la société France Télévisions à la société Télévision Française 1 et à l'Autorité de la concurrence.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 octobre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, Présidant ; M. I... C..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. G... K..., M. H... E..., M. D... J..., M. B... L..., M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Martin Guesdon, auditeur-rapporteur.

Rendu le 8 novembre 2021.
Le Président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Martin Guesdon
La secrétaire :
Signé : Mme A... F...


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