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Ariane Web: Conseil d'État 458273, lecture du 12 novembre 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:458273.20211112

Décision n° 458273
12 novembre 2021
Conseil d'État

N° 458273
ECLI:FR:CEORD:2021:458273.20211112
Inédit au recueil Lebon



Lecture du vendredi 12 novembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée Free et la société anonyme Iliad demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision de l'Autorité de la concurrence de procéder à l'instruction de l'affaire n° 21-104 " Projet d'acquisition par Bouygues de Métropole Télévision ", se traduisant notamment par l'envoi qui leur a été fait, le 29 septembre 2021, du questionnaire " Test de marché - distributeurs de contenus audiovisuels ", et de tout autre questionnaire qu'elle serait susceptible d'adresser dans le cadre de cette instruction ;

2°) de mettre à la charge de l'Autorité de la concurrence la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elles soutiennent que :
- le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître de leur requête ;
- l'existence de la décision d'engager l'instruction de l'opération de concentration en cause est révélée par l'envoi des questionnaires " test de marché " à divers opérateurs, dont elles font partie ;
- elles justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, la décision contestée crée intrinsèquement une situation d'urgence en ce que, d'une part, elle a été prise par l'Autorité de la concurrence sans que le projet de concentration lui ait été officiellement notifié, ce qui expose de façon durable le marché à une situation d'incertitude ainsi qu'à une baisse de l'intensité de la concurrence, d'autre part, les mesures d'instruction prises par cette autorité à peine de sanction interviennent sans base légale et, en deuxième lieu, la décision contestée, en ce qu'elle repose sur une analyse faussée du champ de l'examen, ne prenant pas en compte la réalité de l'opération, risque d'altérer durablement et significativement la concurrence sur les marchés concernés ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- la décision contestée est entachée d'un vice de procédure en ce que l'Autorité de la concurrence s'est saisie du dossier et a entamé son instruction sans en être officiellement saisie, l'opération ne lui ayant pas été formellement notifiée ;
- l'instruction menée par cette autorité au titre de la phase de " pré-notification ", en dehors tant du cadre procédural résultant des dispositions des articles L. 430-3 et R. 430-2 du code de commerce imposant une notification que de celui des paragraphes 191 et suivants de ses propres lignes directrices organisant cette phase de " pré-notification ", à un stade où un doute demeure sur sa compétence et où elle ne saurait lancer des tests de marché, constitue un détournement de procédure ;
- dès lors que la structure de l'opération telle qu'envisagée par les parties conduit à l'exercice d'un contrôle conjoint de la nouvelle entité par le groupe Bouygues et le groupe Bertelsmann, par le biais de RTL Group, l'Autorité de la concurrence ne pouvait prendre l'initiative d'engager l'instruction de cette opération, qui était susceptible de relever de la compétence de la Commission européenne et devait préalablement faire l'objet, en vertu du paragraphe 4 de l'article 2 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, d'une analyse des effets coordonnés entre les sociétés mères.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Les sociétés Free et Iliad demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision de l'Autorité de la concurrence de procéder à l'instruction du dossier n° 21-104 " Projet d'acquisition par Bouygues de Métropole Télévision ", se traduisant notamment par l'envoi qui leur a été fait, le 29 septembre 2021, du questionnaire " Test de marché - distributeurs de contenus audiovisuels ", et de tout autre questionnaire qu'elle serait susceptible d'adresser dans le cadre de cette instruction. Elles font valoir que cette opération n'a pas encore fait l'objet de la notification à l'Autorité de la concurrence prévue à l'article L. 430-3 du code de commerce et que la décision de cette autorité, révélée par l'envoi qui leur a été fait le 29 septembre 2021, d'en engager l'instruction, se traduisant par la réalisation de questionnaires de " test de marché ", dans le cadre de la phase de " pré-notification " organisée par ses lignes directrices, est entachée d'illégalité.

3. En vertu du premier alinéa de l'article L. 430-3 du code de commerce : " L'opération de concentration doit être notifiée à l'Autorité de la concurrence avant sa réalisation. La notification peut intervenir dès que la ou les parties concernées sont en mesure de présenter un projet suffisamment abouti pour permettre l'instruction du dossier et notamment lorsqu'elles son conclu un accord de principe, signé une lettre d'intention ou dès l'annonce d'une offre publique ". Le premier alinéa de l'article L. 430-4 de ce code précise que, sous réserve des dérogations mentionnées au même article : " La réalisation effective d'une opération de concentration ne peut intervenir qu'après l'accord de l'Autorité de la concurrence ou, lorsqu'il a évoqué l'affaire dans les conditions prévues à l'article L. 430-7-1, celui du ministre chargé de l'économie ". Le I de l'article L. 430-5 du même code prévoit que : " L'Autorité de la concurrence se prononce sur l'opération de concentration dans un délai de vingt-cinq jours ouvrés à compter de la date de réception de la notification complète ". Les lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations organisent, en leurs points 191 à 200, une phase de " pré-notification ", proposée aux entreprises qui souhaitent présenter le projet qu'elles vont notifier afin d'échanger avec le service des concentrations pour compléter leur dossier de notification et être en mesure de présenter un dossier susceptible de recevoir l'accusé de réception prévu par l'article R. 430-2 du code de commerce au jour de son dépôt. Le point 200 de ces lignes directrices précise que : " L'ensemble de la phase de pré-notification est strictement confidentiel : elle ne donne lieu ni à publicité sur le site Internet de l'Autorité, ni à des contacts avec des tiers. Néanmoins, sous réserve de l'accord préalable de la partie notifiante, une consultation de marché (test de marché) peut être effectuée afin de réunir des informations plus précises sans attendre la notification et de contribuer ainsi à minimiser le risque d'incomplétude de la notification ou à anticiper d'éventuels problèmes de concurrence ".

4. Il résulte de ces dispositions que les mesures en litige, prises par l'Autorité de la concurrence au titre de la phase de " pré-notification " de l'opération que les entreprises concernées entendent ensuite lui notifier, ne sont qu'un élément de la procédure destinée à permettre à cette autorité de se prononcer sur l'opération de concentration en cause. Elles revêtent, dès lors, un caractère préparatoire et ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ni, par suite, d'une demande de suspension sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.

5. Les conclusions des sociétés Free et Iliad présentées au titre de l'article L. 521-1 du code de justice administrative sont ainsi manifestement irrecevables. Il y a lieu de les rejeter par application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, de même que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la société Free et la société Iliad est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société par actions simplifiée Free, première dénommée, pour les deux requérantes.
Copie en sera adressée à l'Autorité de la concurrence.
Fait à Paris, le 12 novembre 2021
Signé : Gaëlle Dumortier