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Ariane Web: Conseil d'État 442036, lecture du 31 janvier 2022, ECLI:FR:CECHS:2022:442036.20220131

Décision n° 442036
31 janvier 2022
Conseil d'État

N° 442036
ECLI:FR:CECHS:2022:442036.20220131
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Catherine Moreau, rapporteur
M. Olivier Fuchs, rapporteur public


Lecture du lundi 31 janvier 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Société Nénuphar demande au Conseil d'Etat :

1°) de saisir la Cour européenne des droits de l'homme, sur le fondement de l'article 1er du protocole additionnel n° 16 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sur l'interprétation des articles 2, 16 et 17, 52 de la Charte des droits fondamentaux, de l'article 1er du protocole additionnel à la convention, de l'article 1er du protocole additionnel n° 12 et des articles 2, 5, 7 et 14 de la convention, d'une demande d'avis relative aux décrets et arrêtés pris dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et des décrets des 14, 16 et 17 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 14 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, complété par les arrêtés des 15 et 19 mars 2020 ;

3°) d'annuler le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020, modifié par le décret du 19 mars 2020, le décret n° 2020-264 du 17 mars 2020, le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020, le décret n° 2020-545 du 11 mai 2020, le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, le décret n° 2020-604 du 20 mai 2020 complétant le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020, le décret n° 2020-759 du 21 juin 2020 modifiant le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 et le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 ;

4°) d'enjoindre à l'Etat de prendre sans délai, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, les mesures suivantes :
- procéder à la réouverture administrative de son établissement ;
- si la réouverture n'est pas possible, de couvrir la marge bénéficiaire réalisée par son établissement à la même époque les années précédentes ;
- si une ouverture est possible mais insuffisamment rentable, de couvrir la marge bénéficiaire manquante due aux conditions restrictives imposées par la pandémie ;
- si aucune des mesures sollicitées n'est possible, de réexaminer sans délai sa situation et prendre une nouvelle décision à son égard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution et notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, son protocole additionnel et le protocole n° 16 ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;
- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-264 du 17 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-604 du 20 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-759 du 21 juin 2020 ;
- le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 ;
- l'arrêté du 14 mars 2020 du ministre de la santé et des solidarités ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés, à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, certains établissements recevant du public, dont les salles de danse relevant de la catégorie des établissements de type P définis en application de l'article R. 123-12 du code de construction et de l'habitation, ont été fermés au public. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Par un décret du 17 mars 2020, le Premier ministre a prévu que la violation des mesures instituées par le décret du 16 mars 2020 serait réprimée par une contravention de 4ème classe.

2. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020 puis, par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. Le 5° de l'article 2 de la loi du 23 mars 2020 a introduit dans la code de la santé publique un article L. 3131-15 permettant au Premier ministre, aux seules fins de garantir la santé publique, d'"°Ordonner la fermeture provisoire d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l'exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité ". Par un décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Un décret du 30 mars 2020 a fixé le champ d'application du fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences, économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, créé par une ordonnance du 25 mars 2020, ainsi que les conditions d'éligibilité et d'attribution des aides, leur montant et les conditions de fonctionnement et de gestion du fonds. Par un premier décret du 11 mai 2020, le Premier ministre a abrogé l'essentiel des mesures précédemment ordonnées par le décret du 23 mars 2020 et en a pris de nouvelles. Par un second décret du même jour, pris sur le fondement de la loi du 11 mai 2020 et abrogeant le précédent décret, le Premier ministre a prescrit les nouvelles mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Ce décret a été complété par un décret du 20 mai 2020. Par un décret du 31 mai 2020, abrogeant celui du 11 mai 2020, le Premier ministre a mis fin, à compter du 2 juin 2020, à une partie des mesures restrictives jusqu'alors en vigueur, puis par un décret du 21 juin 2020, le Premier ministre a modifié le décret du 31 mai 2020. Aux termes du I de l'article 45 du décret du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dans sa rédaction issue du décret du 21 juin 2020 : " Dans tous les départements, les établissements suivants recevant du public relevant du type P défini par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation ne peuvent accueillir de public : Salles de danse ".

3. Le législateur a ensuite, par la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence, autorisé le Premier ministre à prendre à compter du 11 juillet 2020, et jusqu'au 30 octobre 2020 inclus, diverses mesures dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19. Le Premier ministre peut notamment, dans ce cadre, ordonner la fermeture provisoire d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion lorsqu'ils accueillent des activités qui, par leur nature même, ne permettent pas de garantir la mise en oeuvre des mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus ou lorsqu'ils se situent dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus. En application de ces dispositions, le décret du 10 juillet 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé, a maintenu, au I de son article 45, la fermeture des salles de danse.

4. La société Nénuphar demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêté du 14 mars 2020 du ministre de la santé et des solidarité et les décrets des 16, 17, 23 et 30 mars, 11, 20 et 31 mai, 21 juin et 10 juillet 2020 et d'enjoindre à l'Etat d'autoriser sans délai la réouverture au public de l'établissement qu'elle exploite et, à défaut, de couvrir ses pertes de bénéfice dues à la fermeture depuis le 14 mars 2020, ou, à titre subsidiaire, de saisir la Cour européenne des droits de l'homme d'une demande d'avis, sur le fondement du protocole additionnel n° 16 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, portant sur l'interprétation des articles 2, 16 et 17, 52 de la Charte des droits fondamentaux, de l'article 1er du protocole additionnel à la convention, de l'article 1er du protocole additionnel n°12 et des articles 2, 5, 7 et 14 de la convention au regard des décrets et arrêtés pris dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Sur la compétence du Premier Ministre :

5. D'une part, le Premier ministre peut, en vertu de ses pouvoirs propres, édicter des mesures de police applicables à l'ensemble du territoire, en particulier en cas d'épidémie, comme celle liée à la diffusion du virus SARS-COV2 à la date des décisions attaquées. En outre, aux termes de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué : " En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ". Les mesures prises par le Premier ministre ou par le ministre de la santé sur ces fondements, qui peuvent limiter l'exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d'aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d'exercer une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent. Il s'ensuit que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté du 14 mars 2020 et les décrets des 16 mars et 17 mars 2020 auraient été pris par une autorité incompétente, sans qu'ait d'incidence la circonstance que le régime de l'état d'urgence sanitaire, sur lequel ne se fondent pas ces trois textes, ait été inséré dans le code de la santé publique par une loi qui leur est postérieure. En outre, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir de ce que des mesures équivalentes à celles qui ont été édictées par l'arrêté du 14 mars et le décret du 16 mars auraient pu être adoptées sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ou des articles 16 et 36 de la Constitution.

6. En second lieu, la société Nénuphar n'est pas fondée à soutenir qu'en prenant les dispositions de l'article 2 du décret du 11 mai 2020 et l'article 4 du décret du 31 mai 2020, modifié par le décret du 21 juin 2020, qui prévoient les critères permettant de classer les départements et collectivités en zones verte ou orange, le Premier ministre serait resté en-deçà de sa compétence en ne fixant pas ces critères de manière exhaustive, dès lors que le classement des départements et collectivités dans chacune des zones figurait en annexe à chacun des décrets des 11 et 31 mai 2020.

Sur la base légale des textes attaqués et sur l'objectif à valeur constitutionnelle de prévisibilité et d'intelligibilité de la loi et le principe de légalité des délits et des peines :

7.D'une part, la loi du 23 mars 2020 a été publiée au Journal officiel du 24 mars 2020 et est entrée en vigueur dès sa publication, de même que le décret du 23 mars 2020 pris en application de cette loi et dont l'article d'exécution prévoyait son entrée en vigueur immédiate en application de l'article 1er du code civil. Il en est de même des décrets n° 2020-545 et n° 2020-548 du 11 mai 2020 pris pour l'application de la loi du 11 mai 2020 qui ont été publiés au Journal officiel du 12 mai 2020 et sont entrés en vigueur immédiatement. Par suite, la société Nénuphar n'est pas fondée à soutenir que les décrets des 23 mars et 11 mai 2020 étaient dépourvus de base légale.

8. D'autre part, l'article 1er du décret du 16 mars 2020 a énuméré les cinq motifs, auxquels le décret du 19 mars 2020 qui l'a modifié en a ajouté trois, permettant de déroger à l'interdiction de déplacement de toute personne hors de son domicile, et le décret du 17 mars 2020 a prévu que la violation des interdictions de se déplacer hors de son domicile définies à l'article 1er du décret du 16 mars 2020, la méconnaissance de l'obligation prévue au même article de se munir du document justifiant le déplacement autorisé, ainsi que la violation des mesures restrictives prises en application de l'article 2 du même décret lorsque les circonstances l'exigent, sont punies de l'amende prévue pour les contraventions de 4ème classe. Si le décret du 17 mars 2020 n'a pas été modifié postérieurement à l'entrée en vigueur du décret du 23 mars 2020 qui a abrogé le décret du 16 mars 2020, la loi du 23 mars 2020 a complété l'article
L. 3136-1 du code de la santé publique pour prévoir que : " La violation des autres interdictions ou obligations édictées en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Cette contravention peut faire l'objet de la procédure de l'amende forfaitaire prévue à l'article 529 du code de procédure pénale. Si cette violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l'amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe ". Les contraventions infligées à compter du 24 mars 2020 pour sanctionner la méconnaissance des mesures imposées par le décret du 23 mars 2020 sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique trouvaient donc leur base légale dans l'article L. 3136-1 du code de la santé publique créé par la loi du 23 mars 2020, et non plus dans le décret du 17 mars 2020.

9. En deuxième lieu, la circonstance que les textes attaqués ont fait l'objet de nombreuses modifications liées à l'évolution de l'épidémie et des connaissances scientifiques relatives au nouveau coronavirus et qu'ils aient donné lieu à une importante communication du gouvernement visant à en préciser la teneur est, par elle-même, sans incidence sur leur légalité, à la date de leur adoption, et ne révèle pas davantage une méconnaissance du principe de sécurité juridique.

10. En troisième lieu, si la société Nénuphar soutient que les dispositions de l'article 3 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, qui interdisent tout déplacement d'une personne la conduisant à la fois à sortir d'un périmètre défini par un rayon de 100 km de son lieu de résidence et à sortir du département dans lequel ce dernier est situé pouvaient donner lieu à des interprétations divergentes, elle ne précise pas en quoi ces dispositions manqueraient de clarté. La circonstance que l'annexe 1 de ce décret indique que les masques doivent être portés systématiquement par tous dès lors que les règles de distanciation physique ne peuvent être garanties alors que son article 5 précise que l'obligation de porter un masque dans les transports publics s'applique aux personnes de 11 ans et plus ne révèle pas l'existence d'une contradiction susceptible de porter atteinte à l'intelligibilité de ce décret. Enfin, les critères énumérés à l'article 2 du même décret, ainsi qu'à l'article 2 du décret du 31 mai 2020 pour déterminer le classement des départements et collectivités en zones rouge, verte ou orange sont suffisamment précis. A supposer que l'annexe 1 du décret du 10 juillet 2020, auquel renvoie l'article 1er de ce décret, qui définit les gestes dit " barrières " qui doivent être observés pour se prémunir de la contamination par le virus soit dépourvue de valeur normative, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de ce décret. L'article préliminaire du même décret qui précise comment sont identifiés dans la suite de ce texte les articles applicables dans les territoires dans lesquels l'état d'urgence sanitaire est maintenu se borne à faire application des dispositions de l'article 2 de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire qui a maintenu la Guyane et Mayotte en état d'urgence sanitaire. Enfin, les dispositions de ce décret qui envisagent de nouvelles fermetures d'établissements si certains départements se trouvaient à nouveau en état d'urgence sont fondées sur les dispositions du II de l'article 2 de la loi du 9 juillet 2020 aux termes desquelles : " Dans les circonscriptions territoriales autres que celles mentionnées au I du présent article, l'état d'urgence sanitaire peut être déclaré dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 3131-13 du code de la santé publique, lorsque l'évolution locale de la situation sanitaire met en péril la santé de la population ".

11. En dernier lieu, si les motifs limitativement énumérés permettant de déroger à l'interdiction de déplacement définie par le décret du 16 mars 2020 ont été complétés et explicités par le décret du 23 mars 2020, alors que la méconnaissance des interdictions prévues par ces textes était passible de sanctions pénales, il ne s'ensuit pas que leur formulation initiale n'ait pas été suffisamment claire et précise au regard des exigences du principe de légalité des délits et des peines. Par ailleurs, à supposer que des sanctions aient pu être prononcées sur le fondement d'une interprétation inexacte des dérogations mentionnées au point 6, les requérants ne sauraient utilement s'en prévaloir à l'appui de leur requête dirigée contre ces décrets.

12. Il s'ensuit que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les décrets qu'elle attaque et l'arrêté du 14 mars 2020 seraient dépourvus de base légale, méconnaitraient l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité du droit, le principe de sécurité juridique et celui de légalité des délits et des peines.

Sur les autres moyens :

13. L'article 1er du décret du 10 juillet 2020 prescrit, afin de ralentir la propagation du virus, que, notamment, les mesures d'hygiène et de distanciation physique d'au moins un mètre entre deux personnes, dites " barrières ", continuent d'être observées " en tout lieu et en toute circonstance " et précise notamment que ceux des " rassemblements, réunions, activités, accueils et déplacements " qui ne sont pas interdits doivent être organisés en veillant au strict respect de ces mesures.

14. Il subordonne ainsi, par son article 40, l'ouverture des restaurants et débits de boissons (établissements recevant du public de type N, EF et OA) au respect de strictes conditions d'organisation et de fonctionnement, et notamment à celles que les personnes accueillies aient une place assise, qu'une même table ne puisse réunir plus de dix personnes, qu'une distance d'un mètre soit garantie entre les tables et que portent un masque tant les membres du personnel de l'établissement que les clients dès lors qu'ils quittent leur place assise pour se déplacer au sein de l'établissement. De même, le III de son article 45 impose que les salles de spectacles offrent uniquement des places assises à leurs spectateurs et qu'une distance minimale d'un siège soit garantie entre les personnes ou les groupes de personnes venant ensemble.

15. Le maintien, en vertu en dernier lieu du I de l'article 45 du décret du 10 juillet 2020, de la fermeture des établissements de type P, " salles de danse ", où de telles recommandations sont pratiquement inapplicables, répond à la recommandation émise par le Haut conseil de la santé publique dans un avis publié le 1er juin 2020 au sujet des " mesures barrières et de distanciation physique dans les espaces culturels ", selon lequel " Les discothèques et les festivals accueillant de très nombreux spectateurs ne peuvent respecter les recommandations du HCSP relatives à cette période de déconfinement et de reprise d'activité ".

16. La circonstance, invoquée par la requérante que certains bars laisseraient leur clientèle danser en méconnaissance des conditions, rappelées ci-dessus, auxquelles est subordonnée leur ouverture ou que des soirées dansantes à caractère commercial seraient organisées dans des lieux n'ayant pas cette destination, en méconnaissance de la réglementation applicable, ne saurait être utilement invoquée pour soutenir que la mesure contestée serait incohérente et méconnaîtrait le principe d'égalité.

17. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du I de l'article 45 du 10 juillet 2020, dont la durée maximale de validité est fixée par l'article 1er de la loi du 9 juillet 2020 sur le fondement de laquelle il a été pris, méconnaîtraient le droit de propriété, la liberté d'entreprendre, le principe de non-discrimination ou l'article 1er de la loi du 9 juillet 2020, ni qu'elles seraient disproportionnée au regard de l'objectif de protection de la santé publique poursuivi.

18. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'adresser une demande d'avis consultatif à la Cour européenne des droits de l'homme sur le fondement du protocole n°16 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que les conclusions à fin d'annulation de la société Nénuphar doivent être rejetées. Il en va de même, par conséquent, de ses conclusions à fin d'injonction et de celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Les requête de la société Nénuphar est rejetée.
Article : La présente décision sera notifiée à la société Nénuphar, au ministre des solidarités et de la santé et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 janvier 2022 où siégeaient : M. Fabien Raynaud, président de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 31 janvier 2022.


Le président :
Signé : M. Fabien Raynaud
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme B... A...