Conseil d'État
N° 460891
ECLI:FR:CEORD:2022:460891.20220214
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH, avocats
Lecture du lundi 14 février 2022
Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 28 janvier, 7 et 8 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... C... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de l'article 1er du décret n° 2022-27 du 13 janvier 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle justifie d'un intérêt à agir dès lors qu'elle est assujettie à l'obligation de recevoir une dose de rappel pour conserver la validité de son passe sanitaire, transformé en passe vaccinal depuis le 24 janvier 2022 ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'absence de passe vaccinal la place dans l'impossibilité poursuivre son stage à l'hôpital dans le cadre de ses études de médecine ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- le décret est entaché d'incompétence, le pouvoir réglementaire ne pouvant modifier le dispositif du passe sanitaire qui porte atteinte à la liberté individuelle et relève du domaine de la loi ;
- l'extension de l'obligation de la dose de rappel aux personnes âgées de moins de soixante cinq ans est une mesure inadaptée, inutile et disproportionnée compte tenu de l'inefficacité des vaccins sur le variant Omicron, du fait que la dose de rappel n'empêche pas la transmission, que le rappel vaccinal entraîne un risque de surcharge du risque immunitaire, qu'il entraîne des évènements indésirables graves et que les personnes âgées de moins de quarante ans présentent un risque très faible ;
- le décret attaqué méconnaît le principe de sécurité juridique, les conditions à remplir pour détenir un " schéma vaccinal complet " permettant l'obtention du passe vaccinal évoluant de façon continue et imprévisible et variant en fonction du lieu de résidence du citoyen français ;
- il méconnaît le droit au respect au consentement libre et éclairé du patient en cas de participation à une expérimentation médicale garanti par le code de la santé publique, la déclaration d'Helsinki rédigée par l'Association médicale mondiale en 1964, le pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations-Unies, la déclaration de Manille de l'Organisation Mondiale de la Santé de 1981, la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 et les différent textes internat, les vaccins contre la Covid-19 ne bénéficiant que d'autorisations de mise sur le marché conditionnelles pour des essais cliniques ;
- il méconnaît le droit au respect de la vie privée garantie par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'injection d'une troisième dose de vaccin contre la Covid-19 n'empêchant pas de contracter le virus et entraînant des effets secondaires graves et des traitements plus efficaces existant sans effets indésirables graves ;
- les personnes ayant déclaré des effets indésirables d'intensité sévère ou grave à la suite de l'administration d'une deuxième dose de vaccins ne peuvent se voir délivrer de certificat de contre-indication à l'administration d'une troisième dose ;
- le décret contesté est illégal en ne prévoyant pas la possibilité de différer dans le temps l'administration de la dose de rappel en raison de la présence élevée d'anticorps dans le sang.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 4, 8 et 9 février 2022, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;
- la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine signée à Oviedo le 4 avril 1997 ;
- la directive 2001/20/CE du 4 avril 2001 et le règlement (UE) n° 536/2014 ;
- le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 ;
- le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 ;
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme C..., et d'autre part, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 février 2022, à 10 heures 30 :
- Me Prigent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme C... ;
- les représentants de Mme C... ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 9 février à 14 heures puis au 11 février à 10 heures ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Aux termes du A du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2001 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa rédaction applicable au litige : " A compter du 2 juin 2021 et jusqu'au 31 juillet 2022 inclus, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l'intérêt de la santé publique, aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 et si la situation sanitaire le justifie au regard de la circulation virale ou de ses conséquences sur le système de santé, appréciées en tenant compte des indicateurs sanitaires tels que le taux de vaccination, le taux de positivité des tests de dépistage, le taux d'incidence ou le taux de saturation des lits de réanimation : / 1° Imposer aux personnes âgées d'au moins douze ans souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou de l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution, ainsi qu'aux personnels intervenant dans les services de transport concernés, de présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 ; / 2° Subordonner à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 l'accès à certains lieux, établissements, services ou évènement ". Le J de ce même article dispose " Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination et permettant la délivrance d'un document pouvant être présenté dans les cas prévus au 2° du A du présent II (...) / Un décret détermine, après avis de la Haute Autorité de santé et du comité de scientifiques mentionné à l'article L. 3131-19 du code de la santé publique, les éléments permettant d'établir le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, le justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou le certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 ".
3. Le 1° de l'article 1er du décret n° 2022-27 du 13 janvier 2022 a modifié l'article 2-2 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire pour prévoir que le schéma vaccinal des personnes âgées de plus de dix-huit ans et de moins de soixante-cinq ans ne serait regardé comme complet qu'à la condition d'avoir reçu une dose complémentaire d'un vaccin à acide ribonucléique (ARN) messager au plus tard sept mois suivant l'injection de la dernière dose. Mme B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice, d'ordonner la suspension de l'exécution de ces dispositions.
En ce qui concerne les moyens de légalité externe :
4. Il résulte des dispositions citées au point 2 que le Premier ministre est compétent pour déterminer par décret les éléments permettant d'établir le justificatif de statut vaccinal. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées auraient été prises par une autorité incompétente ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à leur légalité.
En ce qui concerne les moyens de légalité interne :
5. En premier lieu, Mme B... fait valoir que l'application d'une dose de rappel pour les personnes âgées de moins de soixante-cinq ans serait une mesure inadaptée, inutile et disproportionnée. La requérante produit différentes études et articles de presse qui montreraient que les vaccins actuellement utilisés en France n'ont qu'une efficacité partielle sur le variant Omicron, que la dose de rappel n'empêche pas la transmission de la Covid-19, que les rappels de vaccin pourraient avoir des effets sur le système immunitaire, que les injections de rappel entraîneraient des évènement indésirables graves et que le risque de décès et de complications serait très faible pour les personnes plus jeunes. Le conseil scientifique a toutefois relevé, dans son avis du 13 janvier 2022 rendu sur le projet de décret, " que la situation sanitaire et vaccinale actuelle est caractérisée par les points suivants : / - Une baisse significative, après 3-4 mois, de l'efficacité de la vaccination (2 doses) pour la prévention des formes sévères et graves, y compris chez les plus jeunes. / - La vague liée au variant Delta a été remplacée, fin décembre 2021, très majoritairement par le variant Omicron. / - On observe une explosion du nombre de nouvelles contaminations liées au variant Omicron depuis fin décembre 2021, avec un pic de contamination qui devrait être atteint à court terme, avec une hétérogénéité régionale. / - Le variant Omicron a un niveau de transmission très élevé, mais avec un degré de gravité plus faible que le variant Delta. - Le retentissement sur le système de soins va être important jusqu'à au moins début mars 2022, avec un niveau élevé d'occupation des lits de soins intensifs et d'hospitalisations conventionnelles conduisant à des déprogrammations de patients non-COVID. L'immense majorité des patients hospitalisés en réanimation sont des personnes non-vaccinées ou n'ayant pas reçu la 3ème dose/rappel, y compris chez les 18-65 ans. / - L'efficacité confirmée de la 3ème dose/rappel pour à nouveau protéger à plus de 90% contre la survenue de formes sévères et graves associées au variant Omicron. L'efficacité, à un niveau moindre, de la protection contre la transmission qui est cependant en partie conservée ". De la même manière, la Haute autorité de santé a recommandé, dans un avis du 23 décembre 2021, qu'un rappel puisse être réalisé à partir de trois mois après la primovaccination. Il résulte également de l'instruction, et notamment des données publiées par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques que le nombre d'évènements liés au Covid-19 est nettement plus important pour les non-vaccinés que pour les vaccinés à taille de population comparable et que les hospitalisations et entrées en soins critiques montrent l'existence d'un risque pour les personnes de moins de soixante-cinq ans, y compris quand elles ont moins de quarante ans. Si une enquête de pharmacovigilance sur les effets de la dose de rappel du vaccin Pfizer-BioNTech réalisée par les centres régionaux de pharmacovigilance de Bordeaux, Marseille, Strasbourg et Toulouse a relevé 716 évènements indésirables graves pour la période allant jusqu'au 3 janvier 2022, ces évènements concernent majoritairement des personnes de 65 ans ou plus et doivent être mis en rapport avec les 16 836 541 troisièmes injections de ce vaccin mentionnés par ce même rapport. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que l'extension de l'obligation de la dose de rappel aux personnes âgées de moins de soixante-cinq ans est une mesure inadaptée, inutile et disproportionnée au regard de l'objectif de protection de la santé publique et que le décret aurait dû retenir d'autres mesures ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.
6. En deuxième lieu, Mme B... a fait valoir à l'audience que l'imposition d'une dose de rappel aurait des effets excessifs pour les personnes ayant déclaré des effets indésirables d'intensité sévère ou grave à la suite de la primovaccination et que ces personnes ne peuvent se voir délivrer de certificat de contre-indication à l'administration d'une troisième dose. Il résulte toutefois de l'annexe II au décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire que, parmi les cas de contre-indications faisant obstacle à la vaccination contre la Covid-19, figurent les recommandations établies après une concertation médicale pluridisciplinaire de ne pas effectuer une dose supplémentaire de vaccins suite à la survenue d'un effet indésirable grave ou sévère attribué à une précédente dose de vaccin signalé au système de pharmacovigilance. La circonstance que le décret donne des exemples de tels effets et que des formulaires pour l'établissement du certificat médical de contre-indication à la vaccination Covid-19 ne mentionnent cette contre-indication que pour la seconde dose de vaccin ne saurait faire obstacle à ce que le médecin généraliste ou spécialiste puisse établir un certificat de contre-indication à l'administration d'une dose de rappel quels que soient les effets indésirables d'intensité grave ou sévère intervenus à la suite de l'injection des deux premières doses. Dans ces conditions, le moyen soulevé n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.
7. En troisième lieu, la circonstance que la définition du schéma vaccinal complet fasse l'objet de modifications liées à l'évolution de l'épidémie et des connaissances scientifiques relatives au nouveau coronavirus et que des vaccins différents seraient mis à disposition sur le territoire est sans incidence sur la légalité des dispositions contestées. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret contesté méconnaîtrait le principe de sécurité juridique n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.
8. En quatrième lieu, il est constant que les vaccins contre la Covid-19 utilisés en France ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché par l'Agence européenne du médicament. Si l'autorisation est conditionnelle, il ne s'ensuit pas pour autant que la vaccination obligatoire aurait le caractère d'une expérimentation médicale ou d'un essai clinique, lesquels au surplus obéissent à d'autres fins. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret contesté méconnaîtrait les principes de consentement auxquels sont subordonnés de tels expérimentations et essais, notamment et en tout état de cause ceux de la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine signée à Oviedo le 4 avril 1997, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.
9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens de ces stipulations, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter. Compte tenu de ce qui été dit aux points 5 et 6, le moyen tiré de ce que le rapport entre le bénéfice attendu de l'administration d'une troisième dose et les risques ou effets indésirables qu'elle peut présenter entraînerait une méconnaissance du droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'apparaît pas, en tout état de cause et en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.
10. Il résulte de toute ce qui précède que la requête de Mme B... doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... C... et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Fait à Paris, le 14 février 2022
Signé : Mathieu Herondart
N° 460891
ECLI:FR:CEORD:2022:460891.20220214
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH, avocats
Lecture du lundi 14 février 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 28 janvier, 7 et 8 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... C... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de l'article 1er du décret n° 2022-27 du 13 janvier 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle justifie d'un intérêt à agir dès lors qu'elle est assujettie à l'obligation de recevoir une dose de rappel pour conserver la validité de son passe sanitaire, transformé en passe vaccinal depuis le 24 janvier 2022 ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'absence de passe vaccinal la place dans l'impossibilité poursuivre son stage à l'hôpital dans le cadre de ses études de médecine ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- le décret est entaché d'incompétence, le pouvoir réglementaire ne pouvant modifier le dispositif du passe sanitaire qui porte atteinte à la liberté individuelle et relève du domaine de la loi ;
- l'extension de l'obligation de la dose de rappel aux personnes âgées de moins de soixante cinq ans est une mesure inadaptée, inutile et disproportionnée compte tenu de l'inefficacité des vaccins sur le variant Omicron, du fait que la dose de rappel n'empêche pas la transmission, que le rappel vaccinal entraîne un risque de surcharge du risque immunitaire, qu'il entraîne des évènements indésirables graves et que les personnes âgées de moins de quarante ans présentent un risque très faible ;
- le décret attaqué méconnaît le principe de sécurité juridique, les conditions à remplir pour détenir un " schéma vaccinal complet " permettant l'obtention du passe vaccinal évoluant de façon continue et imprévisible et variant en fonction du lieu de résidence du citoyen français ;
- il méconnaît le droit au respect au consentement libre et éclairé du patient en cas de participation à une expérimentation médicale garanti par le code de la santé publique, la déclaration d'Helsinki rédigée par l'Association médicale mondiale en 1964, le pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations-Unies, la déclaration de Manille de l'Organisation Mondiale de la Santé de 1981, la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 et les différent textes internat, les vaccins contre la Covid-19 ne bénéficiant que d'autorisations de mise sur le marché conditionnelles pour des essais cliniques ;
- il méconnaît le droit au respect de la vie privée garantie par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'injection d'une troisième dose de vaccin contre la Covid-19 n'empêchant pas de contracter le virus et entraînant des effets secondaires graves et des traitements plus efficaces existant sans effets indésirables graves ;
- les personnes ayant déclaré des effets indésirables d'intensité sévère ou grave à la suite de l'administration d'une deuxième dose de vaccins ne peuvent se voir délivrer de certificat de contre-indication à l'administration d'une troisième dose ;
- le décret contesté est illégal en ne prévoyant pas la possibilité de différer dans le temps l'administration de la dose de rappel en raison de la présence élevée d'anticorps dans le sang.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 4, 8 et 9 février 2022, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;
- la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine signée à Oviedo le 4 avril 1997 ;
- la directive 2001/20/CE du 4 avril 2001 et le règlement (UE) n° 536/2014 ;
- le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 ;
- le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 ;
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme C..., et d'autre part, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 février 2022, à 10 heures 30 :
- Me Prigent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme C... ;
- les représentants de Mme C... ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 9 février à 14 heures puis au 11 février à 10 heures ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Aux termes du A du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2001 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa rédaction applicable au litige : " A compter du 2 juin 2021 et jusqu'au 31 juillet 2022 inclus, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l'intérêt de la santé publique, aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 et si la situation sanitaire le justifie au regard de la circulation virale ou de ses conséquences sur le système de santé, appréciées en tenant compte des indicateurs sanitaires tels que le taux de vaccination, le taux de positivité des tests de dépistage, le taux d'incidence ou le taux de saturation des lits de réanimation : / 1° Imposer aux personnes âgées d'au moins douze ans souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou de l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution, ainsi qu'aux personnels intervenant dans les services de transport concernés, de présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 ; / 2° Subordonner à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 l'accès à certains lieux, établissements, services ou évènement ". Le J de ce même article dispose " Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination et permettant la délivrance d'un document pouvant être présenté dans les cas prévus au 2° du A du présent II (...) / Un décret détermine, après avis de la Haute Autorité de santé et du comité de scientifiques mentionné à l'article L. 3131-19 du code de la santé publique, les éléments permettant d'établir le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, le justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou le certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 ".
3. Le 1° de l'article 1er du décret n° 2022-27 du 13 janvier 2022 a modifié l'article 2-2 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire pour prévoir que le schéma vaccinal des personnes âgées de plus de dix-huit ans et de moins de soixante-cinq ans ne serait regardé comme complet qu'à la condition d'avoir reçu une dose complémentaire d'un vaccin à acide ribonucléique (ARN) messager au plus tard sept mois suivant l'injection de la dernière dose. Mme B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice, d'ordonner la suspension de l'exécution de ces dispositions.
En ce qui concerne les moyens de légalité externe :
4. Il résulte des dispositions citées au point 2 que le Premier ministre est compétent pour déterminer par décret les éléments permettant d'établir le justificatif de statut vaccinal. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées auraient été prises par une autorité incompétente ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à leur légalité.
En ce qui concerne les moyens de légalité interne :
5. En premier lieu, Mme B... fait valoir que l'application d'une dose de rappel pour les personnes âgées de moins de soixante-cinq ans serait une mesure inadaptée, inutile et disproportionnée. La requérante produit différentes études et articles de presse qui montreraient que les vaccins actuellement utilisés en France n'ont qu'une efficacité partielle sur le variant Omicron, que la dose de rappel n'empêche pas la transmission de la Covid-19, que les rappels de vaccin pourraient avoir des effets sur le système immunitaire, que les injections de rappel entraîneraient des évènement indésirables graves et que le risque de décès et de complications serait très faible pour les personnes plus jeunes. Le conseil scientifique a toutefois relevé, dans son avis du 13 janvier 2022 rendu sur le projet de décret, " que la situation sanitaire et vaccinale actuelle est caractérisée par les points suivants : / - Une baisse significative, après 3-4 mois, de l'efficacité de la vaccination (2 doses) pour la prévention des formes sévères et graves, y compris chez les plus jeunes. / - La vague liée au variant Delta a été remplacée, fin décembre 2021, très majoritairement par le variant Omicron. / - On observe une explosion du nombre de nouvelles contaminations liées au variant Omicron depuis fin décembre 2021, avec un pic de contamination qui devrait être atteint à court terme, avec une hétérogénéité régionale. / - Le variant Omicron a un niveau de transmission très élevé, mais avec un degré de gravité plus faible que le variant Delta. - Le retentissement sur le système de soins va être important jusqu'à au moins début mars 2022, avec un niveau élevé d'occupation des lits de soins intensifs et d'hospitalisations conventionnelles conduisant à des déprogrammations de patients non-COVID. L'immense majorité des patients hospitalisés en réanimation sont des personnes non-vaccinées ou n'ayant pas reçu la 3ème dose/rappel, y compris chez les 18-65 ans. / - L'efficacité confirmée de la 3ème dose/rappel pour à nouveau protéger à plus de 90% contre la survenue de formes sévères et graves associées au variant Omicron. L'efficacité, à un niveau moindre, de la protection contre la transmission qui est cependant en partie conservée ". De la même manière, la Haute autorité de santé a recommandé, dans un avis du 23 décembre 2021, qu'un rappel puisse être réalisé à partir de trois mois après la primovaccination. Il résulte également de l'instruction, et notamment des données publiées par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques que le nombre d'évènements liés au Covid-19 est nettement plus important pour les non-vaccinés que pour les vaccinés à taille de population comparable et que les hospitalisations et entrées en soins critiques montrent l'existence d'un risque pour les personnes de moins de soixante-cinq ans, y compris quand elles ont moins de quarante ans. Si une enquête de pharmacovigilance sur les effets de la dose de rappel du vaccin Pfizer-BioNTech réalisée par les centres régionaux de pharmacovigilance de Bordeaux, Marseille, Strasbourg et Toulouse a relevé 716 évènements indésirables graves pour la période allant jusqu'au 3 janvier 2022, ces évènements concernent majoritairement des personnes de 65 ans ou plus et doivent être mis en rapport avec les 16 836 541 troisièmes injections de ce vaccin mentionnés par ce même rapport. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que l'extension de l'obligation de la dose de rappel aux personnes âgées de moins de soixante-cinq ans est une mesure inadaptée, inutile et disproportionnée au regard de l'objectif de protection de la santé publique et que le décret aurait dû retenir d'autres mesures ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.
6. En deuxième lieu, Mme B... a fait valoir à l'audience que l'imposition d'une dose de rappel aurait des effets excessifs pour les personnes ayant déclaré des effets indésirables d'intensité sévère ou grave à la suite de la primovaccination et que ces personnes ne peuvent se voir délivrer de certificat de contre-indication à l'administration d'une troisième dose. Il résulte toutefois de l'annexe II au décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire que, parmi les cas de contre-indications faisant obstacle à la vaccination contre la Covid-19, figurent les recommandations établies après une concertation médicale pluridisciplinaire de ne pas effectuer une dose supplémentaire de vaccins suite à la survenue d'un effet indésirable grave ou sévère attribué à une précédente dose de vaccin signalé au système de pharmacovigilance. La circonstance que le décret donne des exemples de tels effets et que des formulaires pour l'établissement du certificat médical de contre-indication à la vaccination Covid-19 ne mentionnent cette contre-indication que pour la seconde dose de vaccin ne saurait faire obstacle à ce que le médecin généraliste ou spécialiste puisse établir un certificat de contre-indication à l'administration d'une dose de rappel quels que soient les effets indésirables d'intensité grave ou sévère intervenus à la suite de l'injection des deux premières doses. Dans ces conditions, le moyen soulevé n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.
7. En troisième lieu, la circonstance que la définition du schéma vaccinal complet fasse l'objet de modifications liées à l'évolution de l'épidémie et des connaissances scientifiques relatives au nouveau coronavirus et que des vaccins différents seraient mis à disposition sur le territoire est sans incidence sur la légalité des dispositions contestées. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret contesté méconnaîtrait le principe de sécurité juridique n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.
8. En quatrième lieu, il est constant que les vaccins contre la Covid-19 utilisés en France ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché par l'Agence européenne du médicament. Si l'autorisation est conditionnelle, il ne s'ensuit pas pour autant que la vaccination obligatoire aurait le caractère d'une expérimentation médicale ou d'un essai clinique, lesquels au surplus obéissent à d'autres fins. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret contesté méconnaîtrait les principes de consentement auxquels sont subordonnés de tels expérimentations et essais, notamment et en tout état de cause ceux de la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine signée à Oviedo le 4 avril 1997, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.
9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens de ces stipulations, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter. Compte tenu de ce qui été dit aux points 5 et 6, le moyen tiré de ce que le rapport entre le bénéfice attendu de l'administration d'une troisième dose et les risques ou effets indésirables qu'elle peut présenter entraînerait une méconnaissance du droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'apparaît pas, en tout état de cause et en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.
10. Il résulte de toute ce qui précède que la requête de Mme B... doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... C... et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Fait à Paris, le 14 février 2022
Signé : Mathieu Herondart