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Ariane Web: Conseil d'État 448610, lecture du 22 mars 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:448610.20220322

Décision n° 448610
22 mars 2022
Conseil d'État

N° 448610
ECLI:FR:CECHR:2022:448610.20220322
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Sophie-Caroline de Margerie, rapporteur
M. Philippe Ranquet, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH, avocats


Lecture du mardi 22 mars 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 448610, l'association Eglise Evangélique de Crossroads a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 10 avril 2018 du préfet de l'Ain déclarant cessibles au profit de la société publique locale (SPL) Territoire d'innovation les parcelles nécessaires à la zone d'aménagement concerté " Ferney-Genève Innovation ".

Par un jugement n° 1808840 du 9 octobre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19LY04504 du 12 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par l'association Eglise Evangélique de Crossroads contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 janvier et 12 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Eglise Evangélique de Crossroads demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 448619, les sociétés Financière Ferney, Investissements Fonciers et Participations (IFP) et Ferjac, Mmes D... C... et E... B... et A.... F... C..., G...C..., H... C... et I... B... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2016 du préfet de l'Ain déclarant d'utilité publique au profit de la communauté de communes du Pays de Gex ou de son concessionnaire, la société publique locale Territoire d'innovation, les acquisitions des parcelles nécessaires au projet de création de la zone d'aménagement concerté " Ferney-Genève Innovation " sur le territoire de la commune de Ferney-Voltaire et valant mise en compatibilité du plan local d'urbanisme de la commune de Ferney-Voltaire.

Par un jugement n° 1607196 du 9 octobre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 19LY04604 du 12 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Financière Ferney et autres contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 janvier et 12 avril 2021 et le 7 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Financière Ferney et autres demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;
- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'arrêt C-474/10 du 20 octobre 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'association Eglise évangélique de Crossroads et de la SAS Financière Ferney et autres, et à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la société publique locale Territoire d'innovation ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 février 2022, présentée par la SAS Financière Ferney et autres.



Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois visés ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Par une délibération du 20 novembre 2013, le conseil communautaire de la communauté de communes du Pays de Gex a créé sur le territoire de la commune de Ferney Voltaire la zone d'aménagement concertée (ZAC) " Ferney-Genève Innovation " à vocation d'habitation et d'activités, d'une superficie de 65 hectares, et approuvé le dossier de création de la ZAC. La réalisation de cet aménagement a été confiée à la société publique locale (SPL) Territoire d'innovation par un traité de concession du 27 mars 2014. Deux enquêtes conjointes, l'une préalable à la déclaration d'utilité publique, l'autre parcellaire, ont été organisées du 8 février 2016 au 18 mars 2016. Par un arrêté du 22 juillet 2016, le préfet de l'Ain a déclaré d'utilité publique au profit de la communauté de communes du Pays de Gex ou de son concessionnaire les acquisitions des parcelles nécessaires au projet de création de la ZAC " Ferney-Genève Innovation " sur le territoire de la commune de Ferney-Voltaire et valant mise en compatibilité du plan local d'urbanisme de la commune de Ferney-Voltaire. La commission d'enquête ayant émis un avis défavorable sur l'emprise du projet, le préfet a prescrit une nouvelle enquête parcellaire à l'issue de laquelle, par un arrêté du 10 avril 2018, il a déclaré cessibles au profit de la SPL Territoire d'innovation les parcelles nécessaires à la réalisation de la ZAC. Par deux jugements du 9 octobre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté les demandes, d'une part, de la société Financière Ferney et autres, d'autre part, de l'association Eglise Evangélique de Crossroads, propriétaires de parcelles incluses dans le périmètre du projet déclaré d'utilité publique, tendant à l'annulation, respectivement, de l'arrêté du 22 juillet 2016 et de l'arrêté du 10 avril 2018. L'association Eglise Evangélique de Crossroads et la société Financière Ferney et autres se pourvoient en cassation contre les arrêts du 12 novembre 2020 par lesquels la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté leurs appels formés contre ces jugements.

Sur la régularité des arrêts attaqués :

3. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique (...). / Mention y est faite que le rapporteur et le rapporteur public et, s'il y a lieu, les parties, leurs mandataires ou défenseurs (...) ont été entendus (...) ".

4. Il ne ressort d'aucune des mentions des minutes des arrêts attaqués que le rapporteur public a été entendu lors de l'audience à laquelle ont été portées les requêtes de l'association Eglise Evangélique de Crossroads et de la société Financière Ferney et autres. Ainsi, ces arrêts ne font pas la preuve que la procédure à l'issue de laquelle ils ont été prononcés a été régulière. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, l'association Eglise Evangélique de Crossroads et la société Financière Ferney et autres sont fondés à en demander l'annulation.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler les affaires au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la légalité, invoquée par voie d'action et par voie d'exception, de l'arrêté du 22 juillet 2016 par lequel le préfet de l'Ain a déclaré d'utilité publique l'acquisition des terrains nécessaires à la réalisation de la ZAC " Ferney-Genève Innovation " :

6. En premier lieu, l'illégalité frappant la délibération créant une zone d'aménagement concerté ne saurait être utilement invoquée, par la voie de l'exception, à l'encontre de la contestation de la déclaration d'utilité publique des travaux nécessaires à l'aménagement de cette zone. Il s'ensuit que l'illégalité qui entacherait la délibération du 20 novembre 2013 du conseil communautaire du Pays de Gex approuvant la création de la ZAC " Ferney-Genève Innovation " est en tout état de cause sans incidence sur la légalité de l'arrêté du préfet de l'Ain déclarant d'utilité publique le projet d'acquisition par la communauté de communes ou son concessionnaire de terrains nécessaires à la réalisation de cette ZAC.

7. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation. À cet effet, les États membres désignent les autorités à consulter, d'une manière générale ou au cas par cas. (...) ". L'article L. 122-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition des articles 2 et 6 de cette directive, dispose, dans sa rédaction applicable en l'espèce, que : " I. Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact. (...) / III. Dans le cas d'un projet relevant des catégories d'opérations soumises à étude d'impact, le dossier présentant le projet, comprenant l'étude d'impact et la demande d'autorisation, est transmis pour avis à l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement. (...). / IV.- La décision de l'autorité compétente qui autorise le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage à réaliser le projet prend en considération l'étude d'impact, l'avis de l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement et le résultat de la consultation du public (...) ". En vertu du III de l'article R. 122-6 du même code, dans sa version issue du décret du 29 décembre 2011 portant réforme des études d'impact des projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagement, applicable au litige, l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement mentionnée à l'article L. 122-1, lorsqu'elle n'est ni le ministre chargé de l'environnement, dans les cas prévus au I de cet article, ni la formation compétente du Conseil général de l'environnement et du développement durable, dans les cas prévus au II de ce même article, est le préfet de la région sur le territoire de laquelle le projet de travaux, d'ouvrage ou d'aménagement doit être réalisé.

8. L'article 6 de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 précitée a pour objet de garantir qu'une autorité compétente et objective en matière d'environnement soit en mesure de rendre un avis sur l'évaluation environnementale des projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences. Eu égard à l'interprétation de l'article 6 de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement donnée par la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt rendu le 20 octobre 2011 dans l'affaire C 474/10, il résulte clairement des dispositions de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour autoriser un projet soit en même temps chargée de mener la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce que l'entité administrative concernée dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée en donnant un avis objectif sur le projet concerné.

9. Lorsque le projet est autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région, l'avis rendu sur le projet par le préfet de région en tant qu'autorité environnementale doit, en principe, être regardé comme ayant été émis par une autorité disposant d'une autonomie réelle répondant aux exigences de l'article 6 de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011, sauf dans le cas où c'est le même service qui a, à la fois, instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis de l'autorité environnementale.

10. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la région Rhône-Alpes, également préfet du Rhône, est, par application du III de l'article R. 122-6 du code de l'environnement, l'auteur de l'avis rendu le 22 mai 2015 en qualité d'autorité environnementale, qui a été préparé et formalisé par les services de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Rhône-Alpes. La déclaration d'utilité publique a, quant à elle, été prise par le préfet de l'Ain, après avoir été instruite par les services de la direction des relations avec les collectivités locales de la préfecture de l'Ain. Dans ces conditions, l'avis ainsi émis par le préfet de région doit être regardé comme ayant été rendu par une autorité disposant d'une autonomie réelle répondant aux exigences de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011, la circonstance que la DREAL de Rhône-Alpes ait par ailleurs instruit la demande de dérogation aux interdictions d'atteinte aux espèces animales non domestiques et de leurs habitats, prévue au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, étant sans incidence à cet égard, dès lors qu'il s'agit d'une procédure distincte de celle de la déclaration d'utilité publique.

11. En troisième lieu, l'article R. 122-5 du code de l'environnement définit le contenu de l'étude d'impact qui est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

12. Contrairement à ce que soutient l'association Eglise Evangélique de Crossroads, il ressort des pièces du dossier que l'étude d'impact réalisée en 2015 et présentée dans le cadre du dossier de déclaration d'utilité publique était complète et suffisamment précise sur les incidences et les mesures environnementales au regard des caractéristiques d'ensemble du projet de ZAC telles qu'elles étaient connues à la date de l'enquête publique, y compris les modalités envisagées pour la création d'un réseau de chauffage. Le préambule de l'étude d'impact précise notamment que les études de faisabilité du réseau de chaleur réalisées par le cabinet Armstein et Wahlert sont au nombre des études spécifiques dont les résultats sont repris dans le dossier. Le résumé non technique et la présentation du projet indiquent qu'il vise notamment " à développer des bâtiments performants énergétiquement et desservis par un réseau de chauffage prioritairement alimenté par des énergies renouvelables ". L'étude d'impact cite la limitation du recours aux énergies fossiles pour le chauffage parmi les enjeux environnementaux du projet. Elle comporte un diagnostic de la densité des besoins de chaleur et de froid des différentes zones, une analyse des sources d'approvisionnement renouvelables disponibles localement, en particulier de la géothermie sur nappes et de la géothermie sur sondes verticales, et l'évaluation de trois scénarios d'approvisionnement, avec l'indication de ce que les choix en la matière ne seront définitivement arrêtés qu'une fois précisés certains éléments de programmation et de phasage des constructions. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact doit être écarté.

13. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 311-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable : " Les zones d'aménagement concerté sont les zones à l'intérieur desquelles une collectivité publique ou un établissement public y ayant vocation décide d'intervenir pour réaliser ou faire réaliser l'aménagement et l'équipement des terrains, notamment de ceux que cette collectivité ou cet établissement a acquis ou acquerra en vue de les céder ou de les concéder ultérieurement à des utilisateurs publics ou privés. / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 112-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages, l'expropriant adresse au préfet du département où l'opération doit être réalisée, pour qu'il soit soumis à l'enquête, un dossier comprenant au moins : / 1° Une notice explicative ; / 2° Le plan de situation ; / 3° Le plan général des travaux ; / 4° Les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ; / 5° L'appréciation sommaire des dépenses (...). ". Il résulte de ces dispositions que, dans le cas de la création d'une zone d'aménagement concerté, l'appréciation sommaire des dépenses doit inclure les dépenses nécessaires à l'aménagement et à l'équipement des terrains et, le cas échéant, le coût de leur acquisition. En revanche, les dépenses relatives aux ouvrages qui seront ultérieurement construits dans le périmètre de la zone n'ont pas à être incluses. N'ont pas non plus à être incluses les recettes attendues de la vente future des terrains et de l'opération d'expropriation.

14. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la circonstance que l'appréciation sommaire des dépenses figurant dans le dossier soumis à enquête publique ne comportait pas d'indication concernant les recettes attendues, ni les modalités prévisionnelles de financement de l'opération, qui figuraient au dossier de réalisation de la ZAC en vertu de l'article R. 311-7 du code de l'urbanisme, n'est pas de nature à la rendre incomplète. D'autre part, les calculs effectués par un expert à la demande de la société Financière Ferney et autres et produits par ces requérants ne sont pas de nature à établir le caractère manifestement sous-évalué de l'appréciation des coûts du projet. Enfin, contrairement à ce qui est soutenu par l'association Eglise Evangélique de Crossroads, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que l'estimation du coût des travaux, équipements publics et ouvrages présentée dans l'appréciation sommaire des dépenses n'inclurait pas le coût des réseaux de chauffage et de climatisation, ou que les coûts du projet seraient manifestement sous-évalués.

15. En cinquième lieu, il résulte des dispositions combinées des articles L. 123-15 et R. 123-19 du code de l'environnement que, si elles n'imposent pas au commissaire-enquêteur ou à la commission d'enquête de répondre à chacune des observations présentées lors de l'enquête publique, elles l'obligent à indiquer, au moins sommairement, en donnant son avis personnel, les raisons qui déterminent le sens de cet avis. Il ressort des pièces du dossier que la commission d'enquête a énuméré et résumé dans son rapport cent vingt-cinq observations recueillies au cours de l'enquête publique, dont celles de la société Financière Ferney et autres relatives à l'appréciation faite par le projet des besoins en logement, à ses objectifs de création d'emplois et à son caractère transfrontalier. Par suite, le rapport de la commission d'enquête n'a pas méconnu les exigences des articles L. 123-15 et R. 123-19 du code de l'environnement.

16. En sixième lieu, il appartient au juge, lorsqu'il se prononce sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu'elle répond à une finalité d'intérêt général, que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs au regard de l'intérêt qu'elle présente. Il lui appartient également, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, de s'assurer, au titre du contrôle sur la nécessité de l'expropriation, que l'inclusion d'une parcelle déterminée dans le périmètre d'expropriation n'est pas sans rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique.

17. Premièrement, il ressort des pièces du dossier que le projet d'aménagement de la zone d'aménagement concerté " Ferney-Genève Innovation " s'inscrit dans le cadre du projet de développement de la zone frontalière d'activités à vocation économique et d'habitat dénommée " projet stratégique de développement Ferney Voltaire Grand Saconnex ". Dans ce cadre, la réalisation d'un nouveau quartier de logements et d'activités répond à l'objectif d'intérêt général de rééquilibrage des programmes de logements et d'activités entre la commune suisse du Grand-Saconnex et la commune de Ferney-Voltaire, en favorisant la mixité sociale et le développement économique par la création de logements sociaux et de nouveaux espaces à vocation d'activités et en contribuant à la limitation des trajets domicile-travail.

18. Deuxièmement, si la société Financière Ferney et autres font valoir qu'ils avaient sur les parcelles dont ils sont propriétaires un projet d'aménagement foncier compatible avec les documents d'urbanisme et présentant de fortes convergences avec les objectifs poursuivis par la ZAC, de sorte que l'opération d'aménagement projetée par la communauté de communes pouvait être réalisée sans expropriation, il ne ressort pas des pièces du dossier que leur projet permettait d'atteindre des objectifs équivalents à ceux poursuivis par la communauté de communes à travers l'opération d'aménagement déclarée d'utilité publique. Il n'en ressort pas non plus que l'inclusion de leurs parcelles ainsi que de celles détenues par l'association Eglise Evangélique de Crossroads dans le périmètre d'expropriation serait sans rapport avec cette opération.

19. Troisièmement, d'une part, les seules circonstances que le projet ait donné lieu à une demande de dérogation aux interdictions d'atteinte aux espèces animales non domestiques et à leurs habitats et que l'avis de l'autorité environnementale sur le projet de champ de sondes géométriques verticales ait souligné l'intérêt de comparer les impacts de ce dispositif innovant avec d'autres dispositifs de desserte en énergie, ne suffisent pas à caractériser des incidences environnementales excessives. Les conséquences sur l'activité agricole, alors qu'il ressort de la délibération du 23 juin 2016 du conseil communautaire que des mesures compensatoires ont été prévues pour les limiter, et les inconvénients d'ordre social tenant à l'absence, alléguée par l'association Eglise Evangélique de Crossroads, de prise en considération de son action sociale et de maintien d'un lieu de culte existant, ne sont pas non plus excessifs eu égard à l'intérêt que présente ce projet.

20. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie qui résulterait de la remise en cause du projet immobilier dont se prévalent la société Financière Ferney et autres, à la supposer établie, serait excessive au regard de l'intérêt public que présente l'opération.

21. Enfin, si les requérants font valoir, au titre des inconvénients que comporterait l'opération contestée, que la délibération du 20 novembre 2013 approuvant la création de la ZAC " Ferney-Genève Innovation " pour la réalisation de laquelle la déclaration d'utilité publique a été prise a elle-même été prise par une autorité incompétente, une communauté de communes ne pouvant conduire un projet d'aménagement transfrontalier sans méconnaître l'article L. 5214-6 du code général des collectivités territoriales, et que cette illégalité est de nature à remettre en cause l'utilité publique de l'opération, d'une part, il ressort des pièces du dossier que la création de la ZAC " Ferney-Genève Innovation " relève des compétences attribuées à la communauté de communes du Pays de Gex par l'arrêté du 31 mai 1995 du préfet de l'Ain dans sa version alors applicable, d'autre part, la seule circonstance qu'une ZAC s'inscrive dans le cadre d'un projet plus vaste n'a pas pour effet de lui retirer son caractère de ZAC d'intérêt communautaire.

22. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le projet serait dépourvu d'utilité publique.

23. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué par la société financière Ferney et autres n'est pas établi.

Sur la légalité de l'arrêté du 10 avril 2018 par lequel le préfet de l'Ain a déclaré cessibles pour cause d'utilité publique au profit de la SPL Territoire d'innovation les terrains situés dans le périmètre de la ZAC " Ferney-Genève Innovation " :

24. Aux termes de l'article R. 131-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " A l'expiration du délai fixé par l'arrêté prévu à l'article R. 131-4, les registres d'enquête sont clos et signés par le maire et transmis dans les vingt-quatre heures, avec le dossier d'enquête, au commissaire enquêteur ou au président de la commission d'enquête. / Le commissaire enquêteur ou le président de la commission d'enquête donne son avis sur l'emprise des ouvrages projetés, dans le délai prévu par le même arrêté, et dresse le procès-verbal de l'opération après avoir entendu toutes les personnes susceptibles de l'éclairer (...) ".

25. Il ressort des pièces du dossier que, dans son avis rendu à la suite de l'enquête parcellaire menée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages identifiés, le commissaire enquêteur a indiqué que " les limites des emprises qui figurent sur le plan parcellaire étaient fidèles aux terrains nécessaires à la réalisation du projet malgré l'imprécision du plan ". Contrairement à ce que soutient l'association Eglise Evangélique de Crossroads, il doit ainsi être regardé comme ayant donné un avis favorable sur l'emprise des ouvrages en cause. Le moyen tiré de ce que l'arrêté de cessibilité attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière ne peut donc qu'être écarté.

26. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Eglise Evangélique de Crossroads et la société Financière Ferney et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, qui sont suffisamment motivés, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes d'annulation de l'arrêté du 22 juillet 2016 par lequel le préfet de l'Ain a déclaré d'utilité publique l'acquisition des terrains nécessaires à la réalisation de la ZAC " Ferney-Genève Innovation " et de l'arrêté du 10 avril 2018 par lequel le préfet de l'Ain a déclaré cessibles pour cause d'utilité publique au profit de la SPL Territoire d'innovation les terrains situés dans le périmètre de la ZAC " Ferney-Genève Innovation ".

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par l'association Eglise Evangélique de Crossroads et par la société Financière Ferney et autres. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Eglise Evangélique de Crossroads et de la société Financière Ferney et autres la somme de 3 000 euros chacun à verser à la société publique locale (SPL) Territoire d'innovation au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Les arrêts de la cour administrative de Lyon du 12 novembre 2020 sont annulés.
Article 2 : Les requêtes présentées par l'association Eglise Evangélique de Crossroads et par la société Financière Ferney et autres sont rejetées.
Article 3 : L'association Eglise Evangélique de Crossroads et la société Financière Ferney et autres verseront à la société publique locale (SPL) Territoire d'innovation la somme de 3 000 euros chacune au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Eglise Evangélique de Crossroads, à la société Financière Ferney, première requérante dénommée sous le n° 448619, à la société publique locale Territoire d'innovation et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.


Voir aussi