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Ariane Web: Conseil d'État 454440, lecture du 5 avril 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:454440.20220405

Décision n° 454440
5 avril 2022
Conseil d'État

N° 454440
ECLI:FR:CECHR:2022:454440.20220405
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Stéphanie Vera, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du mardi 5 avril 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 juillet 2021 et 28 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations " Union Française Contre les Nuisances des Aéronefs " (UFCNA), " Association de Défense Contre les Nuisances Aériennes " (ADVOCNAR), " Collectif Inter-associatif du Refus des Nuisances Aériennes " (CIRENA), " Opposition aux nuisances aériennes Seine-et-Marne Aisne " (ONASA), " Défense des Intérêts des Riverains de l'Aérodrome de Pontoise-Cormeilles " (DIRAP), " Association pour le Respect de l'Environnement et du Cadre de vie (AREC), " Mouvement National de Lutte pour l'Environnement 93 et Nord Est Parisien " (MNLE 93 Nord Est Parisien), " SOS Vallée de Montmorency ", " Défense des Riverains de l'Aéroport Paris-Orly " (DRAPO), " Alerte Nuisances Aériennes " (ANA), " OYE 349 ", " Association de Défense des Riverains de l'Aéroport de Bâle-Mulhouse " (ADRA), " Association Eysino- Haillanaise de Défense Contre les Nuisances de l'Aéroport " (AEHDCNA), " Collectif Contre les Nuisances Aériennes de l'Agglomération Toulousaine " (CCNAAT), " France Nature Environnement Ile-de-France " (FNE Ile-de-France), " Alternatiba Nantes ", " Association Contre l'Extension et les Nuisances de l'Aéroport Lyon-Saint-Exupéry " (ACENAS) et " Collectif Citoyen 06 " demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les décisions du Premier ministre et du Président de la République rejetant implicitement les 12 et 15 mai 2021 la demande des associations requérantes de mise en oeuvre du Règlement (UE) n° 598/2014 du Parlement Européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif à l'établissement de règles et de procédures concernant l'introduction de restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports de l'Union, dans le cadre d'une approche équilibrée, et abrogeant la directive 2002/30/CE, notamment en ce qu'il impose en son article 3 la désignation d'une autorité indépendante chargée de la procédure à suivre lors de l'adoption des restrictions d'exploitation, ainsi que de réexamen de la pertinence des cartes stratégiques de bruit des grands aéroports français ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre et aux ministres compétents d'ordonner la réalisation et la publication d'une étude d'approche équilibrée pouvant conduire à l'établissement de restrictions d'exploitation conforme à l'article 5 du Règlement (UE) N° 598/2014 pour l'ensemble des aéroports suivants : Lyon-Saint Exupéry, Marseille-Provence, Paris-Charles-de-Gaulle, Paris- Orly, Bordeaux-Mérignac, Nantes-Atlantique, Nice-Côte d'Azur et Toulouse-Blagnac ;

3°) d'enjoindre au Premier Ministre aux ministres compétents d'ordonner le réexamen de la pertinence des cartes stratégiques de bruit, conformément aux dispositions de l'article 7 de la Directive 2002/49/CE transposé à l'article L. 572-5 du Code de l'environnement, pour l'ensemble des aéroports suivants : Bâle-Mulhouse, Bordeaux-Mérignac, Lyon-Saint-Exupéry, Marseille-Provence, Paris-Charles de Gaulle, Paris-Le Bourget ainsi que la publication des cartes stratégiques de bruit des aéroports de Bâle-Mulhouse, Bordeaux-Mérignac, Lyon-Saint-Exupéry, Marseille-Provence, Nantes-Atlantique, Paris-Charles de Gaulle et Paris-Orly ;

4°) d'enjoindre au Premier ministre de désigner la ou les autorité(s) administrative(s) indépendante(s) en charge de la conduite des études d'approche équilibrée pouvant conduire à l'établissement de restrictions d'exploitation et conformément à l'article 3 du Règlement (UE) N° 598/2014 ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le règlement (UE) n° 598/2014 du Parlement Européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif à l'établissement de règles et de procédures concernant l'introduction de restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports de l'Union, dans le cadre d'une approche équilibrée, et abrogeant la directive 2002/30/CE ;
- la directive n°2002/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2002 relative à l'évaluation et à la gestion du bruit dans l'environnement ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n° 2008-680 du 9 juillet 2008 ;
- le code de justice administrative, notamment l'article R. 351-4 ;





Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la ministre de la transition écologique, et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 mars 2022, présentée par la ministre de la transition écologique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 mars 2022, présentée par les associations requérantes ;




Considérant ce qui suit :

1. Par lettres en date du 9 mars 2021, les associations requérantes ont demandé au Président de la République et au Premier ministre, d'une part, d'enjoindre aux préfets compétents de faire réaliser et publier, dans les meilleurs délais, une étude d'approche équilibrée en application des dispositions du règlement (UE) n° 598/2014 relatif à l'établissement de règles et de procédures concernant l'introduction de restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports de l'Union, dans le cadre d'une approche équilibrée, et abrogeant la directive 2002/30/CE pour les aéroports de Lyon-Saint Exupéry, Marseille-Provence, Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly, Bordeaux-Mérignac, Nantes-Atlantique, Nice-Côte d'Azur et Toulouse-Blagnac, de réexaminer la pertinence des cartes stratégiques de bruit prévues à l'article L. 572-5 du code de l'environnement, pour les aéroports de Bâle-Mulhouse, Bordeaux-Mérignac, Lyon-Saint Exupéry, Marseille-Provence, Nice-Côte d'Azur, Paris-Charles de Gaulle, Paris-Orly, Paris-Le Bourget, et de publier les cartes stratégiques de bruit des aéroports de Toulouse-Blagnac et Nantes-Atlantique, enfin de désigner la ou les autorité(s) administrative(s) indépendante(s) prévue à l'article 3 du même règlement. Elles demandent l'annulation pour excès de pouvoir des refus implicites opposés à leurs demandes.

Sur le cadre juridique du litige :

2. L'article 3 du règlement (UE) n°598/2014 dispose que : " 1. Un État membre dans lequel est situé un aéroport visé à l'article 2, point 2), désigne une ou plusieurs autorités compétentes chargées de la procédure à suivre lors de l'adoption des restrictions d'exploitation. / 2. Les autorités compétentes sont indépendantes de toute organisation qui pourrait être concernée par des mesures liées au bruit. Cette indépendance peut être assurée par une séparation fonctionnelle (...) " Selon l'article 5 du même règlement " 1. Les États membres veillent à ce que les nuisances sonores dans chaque aéroport visé à l'article 2, point 2), soit évaluée conformément à la directive 2002/49/CE. / 2. Les États membres veillent à ce que soit adoptée l'approche équilibrée en ce qui concerne la gestion des nuisances sonores liées au trafic aérien dans les aéroports où un problème de bruit a été identifié (...) Les États membres veillent à ce que, lorsque des mesures sont prises en matière de bruit, l'association suivante des mesures envisageables soit examinée, en vue de déterminer la mesure ou la combinaison de mesures présentant le meilleur rapport coût-efficacité : a) l'effet prévisible d'une réduction à la source des nuisances sonores liées au trafic aérien; b) la planification et la gestion de l'utilisation des terrains ; c) des procédures opérationnelles de réduction du bruit ; d) des restrictions d'exploitation ne sont pas appliquées en première intention, mais seulement après examen des autres mesures de l'approche équilibrée. ". En outre, l'article R. 112-5 du code de l'urbanisme, pris pour la transposition de la directive n° 2002/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2002 relative à l'évaluation et à la gestion du bruit dans l'environnement prévoit que les " données, objectifs et mesures constitutifs des cartes de bruit et du plan de prévention du bruit dans l'environnement sont : / 1° Elaborés, soit à l'occasion de la révision du plan d'exposition au bruit, soit indépendamment de celle-ci dans les conditions prévues par les articles R. 572-9 à R. 572-11 du code de l'environnement ; / 2° Annexés au rapport de présentation du plan d'exposition au bruit de l'aérodrome ; / 3° Réexaminés en cas d'évolution significative des niveaux de bruit identifiés et, en tout état de cause, au moins tous les cinq ans ; / 4° Après leur réexamen et s'il y a lieu, actualisés selon l'une ou l'autre des procédures prévues pour leur établissement au 1°. ". Ces cartes de bruit, comme les plans de prévention du bruit dans l'environnement, sont arrêtées par le représentant de l'Etat dans le département conformément aux dispositions des articles R. 112-16 du code de l'urbanisme et R. 572-10 du code de l'environnement.

Sur le litige :

Sur les conclusions relatives à la réalisation et la publication d'une étude d'approche équilibrée et au réexamen de la pertinence des cartes stratégiques de bruit pour certains aéroports :

3. Les associations requérantes ont saisi le Président de la République et le Premier ministre de demandes tendant non à ce que ceux-ci prennent des mesures règlementaires éventuellement nécessaires à la bonne mise en oeuvre des dispositions citées ci-dessus du règlement (UE) n° 598/2014 ou des dispositions du code de l'environnement mais à ce que, pour les aéroports qu'elles ont mentionnés, soient adressées aux autorités administratives compétentes des instructions visant à ce que celles-ci prennent les mesures qu'appellent ces dispositions pour ces aéroports.

4. S'il est loisible à une autorité publique d'adresser à ses subordonnés des instructions visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit, elle n'est jamais tenue de le faire. Saisie par un tiers, elle n'est pas davantage tenue de répondre à la demande dont l'objet est de faire donner instruction aux autorités subordonnées d'appliquer les règles de droit à une situation déterminée, obligation à laquelle ces autorités sont en tout état de cause tenues.

5. Il s'ensuit que les refus nés des demandes dont les associations requérantes ont saisi le Président de la République et le Premier ministre ne constituent pas des décisions susceptibles d'être déférées au juge de l'excès de pouvoir. Par suite leurs conclusions à fin d'annulation de ces refus, irrecevables, ne peuvent qu'être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction.

Sur les conclusions relatives à la désignation d'une autorité indépendante au sens de l'article 3 du règlement (UE) 598/2014 :

6. Il ressort des pièces du dossier qu'en application des dispositions de ce règlement, la France a désigné, par une note transmise en mars 2017 à la Commission européenne, la direction du transport aérien (sous-direction du développement durable) de la direction générale de l'aviation civile comme autorité responsable. Les associations requérantes doivent être regardées comme demandant l'annulation des refus du Président de la République et du Premier ministre opposés à leur demande d'abroger cette mesure règlementaire.

7. Si les dispositions du règlement (UE) n° 598/2014, notamment celles de son article 3 précité, ne prévoient pas que les États membres doivent constituer l'autorité chargée de la procédure à suivre lors de l'adoption des restrictions d'exploitation sous une forme juridique particulière et n'interdisent pas, par principe, que ses fonctions soient assumées par une direction relevant d'un ministère, elles imposent en revanche que des garanties soient apportées quant à l'indépendance de cette autorité, notamment vis-à-vis de toute organisation qui interviendrait dans l'exploitation de l'aéroport, le transport aérien ou la fourniture de services de navigation aérienne, ou qui représenterait les intérêts de ces branches d'activités ainsi que ceux des riverains de l'aéroport.

8. Or, de telles garanties ne ressortent, s'agissant de la direction du transport aérien (sous-direction du développement durable) de la direction générale de l'aviation civile, ni des pièces du dossier ni du décret du 9 juillet 2008 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Au contraire, il résulte de l'article 6 de ce décret, que la tutelle de l'établissement public international Aéroport de Bâle-Mulhouse est assurée, pour la France, par cette direction. Par suite, la désignation de la direction du transport aérien comme autorité chargée de la procédure à suivre lors de l'adoption des restrictions d'exploitation méconnaît les dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 598/2014.

9. Il résulte de ce qui précède que les associations requérantes sont fondées à demander l'annulation des décisions refusant d'abroger la décision de mars 2017 par laquelle la direction du transport aérien de la direction générale de l'aviation civile a été désignée comme autorité au titre de ces dispositions.

10. L'annulation de ces refus implique nécessairement que le Premier ministre prenne les dispositions réglementaires nécessaires en vue de la désignation d'une autorité bénéficiant des garanties rappelées au point 7.

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre au Premier ministre de les prendre dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 100 euros à verser à chacune des associations requérantes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge des associations qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : Les décisions implicites du Président de la République et du Premier ministre refusant d'abroger la décision de mars 2017 par laquelle la direction du transport aérien de la direction générale de l'aviation civile a été désignée comme autorité au titre de l'article 3 du règlement (UE) n° 598/2014 sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre les dispositions réglementaires nécessaires en vue de la désignation d'une autorité bénéficiant des garanties requises par les dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 598/2014, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera aux associations " Union Française Contre les Nuisances des Aéronefs " (UFCNA), " Association de Défense Contre les Nuisances Aériennes " (ADVOCNAR), " Collectif Inter-associatif du Refus des Nuisances Aériennes " (CIRENA), " Opposition aux nuisances aériennes Seine-et-Marne Aisne " (ONASA), " Défense des Intérêts des Riverains de l'Aérodrome de Pontoise-Cormeilles " (DIRAP), " Association pour le Respect de l'Environnement et du Cadre de vie (AREC), " Mouvement National de Lutte pour l'Environnement 93 et Nord Est Parisien " (MNLE 93 Nord Est Parisien), " SOS Vallée de Montmorency ", " Défense des Riverains de l'Aéroport Paris-Orly " (DRAPO), " Alerte Nuisances Aériennes " (ANA), " OYE 349 ", " Association de Défense des Riverains de l'Aéroport de Bâle-Mulhouse " (ADRA), " Association Eysino- Haillanaise de Défense Contre les Nuisances de l'Aéroport " (AEHDCNA), " Collectif Contre les Nuisances Aériennes de l'Agglomération Toulousaine " (CCNAAT), " France Nature Environnement Ile-de-France " (FNE Ile-de-France), " Alternatiba Nantes ", " Association Contre l'Extension et les Nuisances de l'Aéroport Lyon-Saint-Exupéry " (ACENAS) et " Collectif Citoyen 06 " la somme de 100 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête, ainsi que les conclusions présentées par la ministre de la transition écologique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'Union française contre les nuisances des aéronefs, première dénommée, au Président de la République, au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique et à l'autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires.



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