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Ariane Web: Conseil d'État 442338, lecture du 12 avril 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:442338.20220412

Décision n° 442338
12 avril 2022
Conseil d'État

N° 442338
ECLI:FR:CECHR:2022:442338.20220412
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Edouard Solier, rapporteur
M. Frédéric Dieu, rapporteur public
SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats


Lecture du mardi 12 avril 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. C... O... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 9 août 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle " Le Port-Euromed " de l'unité départementale des Bouches-du-Rhône a autorisé la société Avenir Télécom à le licencier. Par un jugement n° 1608037 du 2 octobre 2018, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18MA04997 du 19 juin 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de M. O..., annulé ce jugement ainsi que la décision de l'inspecteur du travail.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 31 juillet 2020 et le 19 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Avenir Télécom et Me Douhaire, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Avenir Télécom, demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. O... ;

3°) de mettre à la charge de M. O..., la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;
- l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Solier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la société Avenir Télécom et de Me Douhaire et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de M. O... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une décision du 9 août 2016, l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle " Le Port-Euromed " de l'unité départementale des Bouches-du-Rhône a autorisé la société Avenir Télécom à licencier pour motif économique M. O..., employé dans cette société depuis 2009, en dernier lieu en qualité de responsable de point de vente, et salarié protégé. Par un jugement du 2 octobre 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. O... tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 9 août 2016. Par un arrêt du 19 juin 2020, contre lequel la société Avenir Télécom et Me Douhaire, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Avenir Télécom, se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement ainsi que la décision de l'inspecteur du travail.

2. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ". Aux termes de l'article L. 1233-4-1 du même code dans sa rédaction issue de la même loi, qui a été ultérieurement abrogé par l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail : " Lorsque l'entreprise ou le groupe dont l'entreprise fait partie comporte des établissements en dehors du territoire national, le salarié dont le licenciement est envisagé peut demander à l'employeur de recevoir des offres de reclassement dans ces établissements. Dans sa demande, il précise les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. L'employeur transmet les offres correspondantes au salarié ayant manifesté son intérêt. Ces offres sont écrites et précises. / Les modalités d'application du présent article, en particulier celles relatives à l'information du salarié sur la possibilité dont il bénéficie de demander des offres de reclassement hors du territoire national, sont précisées par décret ".

3. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation de recherche de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié sur le territoire national ainsi que, pour autant que l'article L. 1233-4-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 soit encore applicable, lorsque le salarié l'a demandé, hors du territoire national, d'une part, au sein de l'entreprise, d'autre part dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

4. Il en résulte que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, après avoir relevé, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, qu'il ressortait des pièces du dossier que M. O... avait entendu recevoir des offres de reclassement dans des établissements se situant hors du territoire national, que l'inspecteur du travail devait apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement de son employeur tant sur le territoire national qu'hors du territoire national.

5. Toutefois, lorsque le juge administratif est saisi d'un litige portant sur la légalité de la décision par laquelle l'autorité administrative a autorisé le licenciement d'un salarié protégé et qu'est contesté devant lui le bien-fondé de l'appréciation par laquelle l'autorité administrative a estimé que l'employeur avait satisfait à son obligation de recherche sérieuse de reclassement, il lui appartient de s'assurer, au vu de l'ensemble des pièces versées au dossier, que l'obligation légale de reclassement a, en l'espèce, été respectée, sans s'arrêter sur une erreur susceptible d'émailler, dans le détail de la motivation de la décision attaquée, une des étapes intermédiaires de l'analyse portée sur ce point par l'autorité administrative.

6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que la décision d'autorisation de licenciement attaquée était illégale, la cour administrative d'appel s'est bornée à relever qu'elle comportait, s'agissant du reclassement hors du territoire national, une mention inexacte, en ce qu'elle indiquait à tort que M. O... n'avait pas souhaité recevoir des offres de reclassement à l'étranger. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de contrôler, au vu de l'ensemble des pièces du dossier, si l'inspecteur du travail avait pu légalement estimer, pour accorder l'autorisation de licenciement en litige, que l'employeur avait, en l'espèce, satisfait à son obligation de recherche de reclassement sur le territoire national et hors du territoire national, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de leur pourvoi, la société Avenir Télécom et Me Douhaire sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.

8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Avenir Télécom et par Me Douhaire au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Avenir Télécom et de Me Douhaire qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 19 juin 2020 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Avenir Télécom et Me Douhaire, et par M. O... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Avenir Télécom, à Me Douhaire, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Avenir Télécom et à M. C... O....
Copie en sera adressée à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 mars 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme A... Q..., Mme G... P..., présidentes de chambre ; M. M... J..., Mme L... N..., Mme D... I..., M. E... K..., Mme Carine Chevrier, conseillers d'Etat et M. Edouard Solier, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 12 avril 2022.




Le président :
Signé : M. R... B...
Le rapporteur :
Signé : M. Edouard Solier
La secrétaire :
Signé : Mme F... H...




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