Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 455943, lecture du 14 avril 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:455943.20220414

Décision n° 455943
14 avril 2022
Conseil d'État

N° 455943
ECLI:FR:CECHR:2022:455943.20220414
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
Mme Ophélie Champeaux, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
sarl CABINET BRIARD, avocats


Lecture du jeudi 14 avril 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme O... D... M... a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2008. Par un jugement n° 1506596 du 30 janvier 2018, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18LY01137 du 12 mars 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de Mme D... M..., constaté un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement intervenu en cours d'instance, puis annulé le jugement du tribunal administratif et prononcé la décharge des impositions contestées.

Par une décision n° 440307 du 11 décembre 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé les articles 2, 3 et 4 de cet arrêt et renvoyé l'affaire à la même cour.

Par un arrêt n° 20LY03628 du 6 juillet 2021, celle-ci a fait droit à la demande de décharge présentée par Mme D... M... et réformé le jugement du tribunal administratif en conséquence.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 août 2021 et 3 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de Mme D... M....


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention du 10 septembre 1971 entre la République française et la République fédérale du Brésil tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de Mme D... M... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des pièces du dossier soumis au juge du fond que Mme D... M... a réalisé en 2008 une plus-value d'un montant de 3 209 281 euros à raison de la cession des actions qu'elle détenait dans une société de capitaux de droit brésilien dont l'actif était principalement composé de biens immobiliers situés au Brésil. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 juillet 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, faisant droit à l'appel formé par Mme D... M... contre le jugement du tribunal administratif de Lyon rejetant sa demande de réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de cette plus-value, a prononcé la décharge demandée et réformé ce jugement en ce qu'il avait de contraire à son arrêt.

2. Aux termes du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente ". La garantie contre les changements de doctrine de l'administration qu'instituent ces dispositions permet aux contribuables de se prévaloir des énonciations contenues dans les notes ou instructions publiées, qui ajoutent à la loi ou la contredisent, à la condition que les intéressés entrent dans les prévisions de la doctrine, appliquée littéralement, résultant de ces énonciations.

3. L'instruction fiscale 14 B-17-72 du 8 décembre 1972, reprise au paragraphe 490 de la doctrine administrative publiée au Bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-INT-CVB-BRA du 12 août 2015, commente l'article 13 de la convention franco-brésilienne en ces termes : " Le droit d'imposer les gains provenant de l'aliénation de biens immobiliers ou de parts et droits analogues dans une société dont l'actif est composé principalement de biens immobiliers est attribué à l'État de la situation des biens (art. 13, paragraphe 1). / L'imposition des gains provenant de l'aliénation de biens mobiliers dépendant de l'actif d'un établissement stable est réservée à l'État où se trouve situé cet établissement stable et celle provenant de gains afférents à la vente de navires ou aéronefs exploités en trafic international à l'État du siège de la direction effective de l'entreprise (art. 13, paragraphe 2). / Par contre, les gains provenant de la vente de tous autres biens ou droits analogues restent imposables dans les deux États (art. 13, paragraphe 3) ".

4. Le premier alinéa de ces énonciations se borne à rappeler que la convention reconnaît à l'Etat où se situent des biens immobiliers un droit d'imposer les gains résultant de leur cession ou de celle de parts d'une société dont ils composent principalement l'actif, sans préciser que l'Etat de résidence du bénéficiaire des gains se trouve privé du pouvoir d'imposer ses propres résidents à raison des mêmes gains. Le deuxième alinéa mentionne, à l'inverse, pour d'autres gains, un droit d'imposition réservé, c'est-à-dire exclusivement attribué, à l'un des deux Etats parties, alors que le troisième alinéa indique que certains autres gains sont concurremment imposables dans les deux Etats parties.

5. Pour accueillir le moyen tiré de ce que ces énonciations faisaient obstacle à ce que la France impose le gain en cause, relevant de leur premier alinéa, la cour s'est fondée sur ce que seul leur troisième alinéa mentionnait un droit d'imposition concurrent des deux Etats parties. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la cour, en statuant ainsi, a commis une erreur de droit.

6. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

7. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

8. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient toutefois ensuite, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer, en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office, si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

Sur l'application de la loi fiscale :

9. Le premier alinéa de l'article 4 A du code général des impôts dispose que " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus ". En vertu de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale et des textes qui y renvoient, les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont également assujetties aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine mentionnés par ces dispositions. Aux termes de l'article 4 B du même code : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : / a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; / b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; / c. Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques (...) ".

10. Il est constant qu'en 2008 le foyer de Mme D... M... se trouvait en France. Elle était donc domiciliée fiscalement en France, au sens des dispositions de l'article 4 B du code général des impôts au titre de cette année et y était assujettie à l'impôt sur le revenu à raison de l'ensemble de ses revenus, de source française comme étrangère. Elle était ainsi soumise, en vertu de la loi fiscale française, à l'impôt sur le revenu à raison du gain de source brésilienne en litige, dans la catégorie des gains de cession de valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés définie aux articles 150-0 A à 150-0 F du code général des impôts s'agissant du produit de cession de parts d'une société de capitaux à prépondérance immobilière. La plus-value litigieuse était également soumise aux prélèvements sociaux assis sur les revenus du patrimoine.

Sur la convention franco-brésilienne du 10 septembre 1971 :

11. L'article 1er de la convention du 10 septembre 1971 entre la République française et la République fédérale du Brésil tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale stipule : " La présente Convention s'applique aux personnes qui sont des résidents d'un Etat contractant ou de chacun des deux Etats ". Selon le 1 de son article 4 : " Au sens de la présente Convention, l'expression " résident d'un Etat contractant " désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat contractant, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue ".

12. En vertu de l'article 2 de la même convention, celle-ci s'applique, pour la France, notamment, à " l'impôt sur le revenu ", ainsi qu'aux " impôts futurs de nature identique ou analogue qui s'ajouteraient aux impôts actuels ou qui les remplaceraient ". Les prélèvements sociaux assis sur les revenus soumis, en France, à l'impôt sur le revenu, créés postérieurement à l'entrée en vigueur de la convention, constituent, pour l'application de ces stipulations, des impôts de nature analogue s'ajoutant à cet impôt.

13. Aux termes de l'article 13 de cette convention : " 1. Les gains provenant de l'aliénation des biens immobiliers (...) ou de l'aliénation de parts ou de droits analogues dans une société dont l'actif est composé principalement de biens immobiliers sont imposables dans l'Etat contractant où ces biens immobiliers sont situés. / 2. Les gains provenant de l'aliénation de biens mobiliers faisant partie de l'actif d'un établissement stable qu'une entreprise d'un Etat contractant a dans l'autre Etat contractant (...) sont imposables dans cet autre Etat. Toutefois, les gains provenant de l'aliénation de navires ou d'aéronefs exploités en trafic international et de biens mobiliers affectés à l'exploitation desdits navires ou aéronefs ne sont imposables que dans l'Etat contractant où le siège de la direction effective de l'entreprise est situé. / 3. Les gains provenant de l'aliénation de tous biens ou droits autres que ceux mentionnés aux paragraphes 1 et 2 sont imposables dans les deux Etats contractants ".

14. L'article 22 de cette convention, intitulé " Règles générales d'imposition " énonce : " La double imposition est évitée de la façon suivante : / (...) 2. Dans le cas de la France : / (...) c) En ce qui concerne les revenus visés aux articles 10, 11, 12, 13, 14, 16 et 17 qui ont supporté l'impôt brésilien conformément aux dispositions desdits articles, la France accorde aux résidents de France percevant de tels revenus de source brésilienne un crédit d'impôt correspondant à l'impôt perçu au Brésil et dans la limite de l'impôt français afférent à ces mêmes revenus ".

15. Il résulte de la définition du résident d'un Etat contractant donnée par les stipulations précitées de son article 4, du fait que son article 13 distingue une hypothèse d'imposition dans un Etat contractant de l'hypothèse où des gains ne sont imposables " que " dans un Etat contractant et, enfin, des conditions dans lesquelles son article 22, qui renvoie notamment à l'article 13, prévoit qu'est évitée la double imposition, qu'en prévoyant que les gains provenant de l'aliénation de parts ou de droits analogues dans une société dont l'actif est composé principalement de biens immobiliers sont imposables dans l'Etat où ces biens sont situés, les stipulations précitées du 1 de l'article 13 n'ont ni pour objet, ni pour effet d'exclure toute possibilité, pour l'Etat dont le contribuable est résident, d'imposer également ces gains.

16. Il est constant que la plus-value réalisée par Mme D... M... provient de la cession de parts dans une société dont l'actif est composé principalement de biens immobiliers situés au Brésil. Ainsi, cette plus-value était au nombre des revenus visés au 1 de l'article 13 de la convention fiscale franco-brésilienne, imposables au Brésil en vertu de ces stipulations, sans que celles-ci ne fassent obstacle à la soumission, en France, de la plus-value à l'impôt sur le revenu et aux prélèvement sociaux, sous réserve de l'attribution d'un crédit d'impôt dont l'appelante a bénéficié.

Sur la doctrine administrative :

17. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les commentaires administratifs invoqués par Mme D... M... ne comportent aucune interprétation des stipulations de la convention fiscale conclue le 10 septembre 1971 entre la France et le Brésil dont elle pourrait se prévaloir sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

18. Par suite, Mme D... M... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée à ce titre par Mme D... M....


D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 6 juillet 2021 de la cour administrative de Lyon est annulé.
Article 2 : La requête d'appel présentée par Mme D... M... et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à Mme O... D... M....
Délibéré à l'issue de la séance du 4 avril 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. J... C..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. H... L..., M. E... K..., M. B... N..., M. I... G..., M. Jonathan Bosredon, conseillers d'Etat et Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 14 avril 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
La secrétaire :
Signé : Mme A... F...




Voir aussi