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Ariane Web: Conseil d'État 462585, lecture du 14 avril 2022, ECLI:FR:CEORD:2022:462585.20220414

Décision n° 462585
14 avril 2022
Conseil d'État

N° 462585
ECLI:FR:CEORD:2022:462585.20220414
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du jeudi 14 avril 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 23 mars, 6 et 11 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du président de l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) du 16 novembre 2021 le suspendant de ses fonctions à titre conservatoire ;

2°) de mettre à la charge de l'INALCO la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'arrêté contesté qui le suspend de ses fonctions d'enseignant pour une durée d'un an à compter de novembre 2021, en premier lieu, est fondé uniquement sur un exposé des faits contenu dans la plainte de sa doctorante, en deuxième lieu, le prive de tout enseignement et participation à des travaux pendant deux années universitaires et, en dernier lieu, porte atteinte à sa réputation et à son honneur professionnel et a un impact important sur sa vie familiale et personnelle ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- l'arrêté attaqué est fondé sur des faits matériellement inexacts ;
- il est entaché d'une erreur de qualification juridique des faits en ce qu'aucun des faits reprochés ne revêt le caractère d'harcèlement sexuel ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 951-4 du code de l'enseignement supérieur, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante, dès lors que, d'une part, l'administration n'établit ni la vraisemblance ni la gravité des faits qui lui sont reprochés et, d'autre part, la poursuite de ses enseignements ne porte pas atteinte au bon fonctionnement du service ou au bon déroulement des procédures en cours.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 1er et 8 avril 2022, l'INALCO conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er avril 2022, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et, d'autre part, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et l'INALCO ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 avril 2022, à 10 heures 30 :

- Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

- M. A... ;

- les représentantes de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ;

- la représentante de l'INALCO ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 11 avril à 12 heures ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'enseignement supérieur ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
3. M. A..., professeur des universités, qui exerce ses fonctions au sein de l'Institut national des langues et civilisations orientales, INALCO, a fait l'objet d'un arrêté du président de l'INALCO du 16 novembre 2021 le suspendant de ses fonctions à titre conservatoire jusqu'à la délibération de la section disciplinaire du conseil d'administration de l'institut, sans que cette durée ne puisse excéder un an, en application des dispositions combinées des articles L. 951-3 et L. 951-4 du code de l'éducation. Il demande, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de cet arrêté.
4. Pour justifier de l'urgence à suspendre l'exécution de la mesure en cause, le requérant se prévaut de ce que la suspension prise à son encontre conduit à le priver de tout enseignement pendant deux années universitaires, pénalise les étudiants dont il est directeur de thèse ou de master, porte atteinte à sa réputation professionnelle et a des conséquences sur sa vie familiale et personnelle.
5. Toutefois, l'arrêté litigieux ne prive pas le requérant de son traitement et a pour seule portée de l'écarter temporairement du service aux fins de préserver le bon fonctionnement de l'institut et de permettre l'établissement contradictoire des faits. Or, il résulte de l'instruction qu'une étudiante dont M. A... dirigeait la thèse, a mis en cause son comportement qu'elle estime inapproprié à son égard, alors que l'intéressé avait déjà fait l'objet, par une décision du conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire en date du 12 novembre 2018, d'un blâme à raison d'un comportement fautif à l'encontre de deux de ses étudiantes doctorantes, sans que ce comportement ne puisse être qualifié de harcèlement. Le président de l'INALCO a engagé la procédure disciplinaire à son encontre dès le 15 novembre 2021. Le requérant a été entendu les 4 et 11 février 2022 par la commission d'instruction de la section disciplinaire compétente du conseil d'administration de l'INALCO. Il résulte du courrier de la présidente de cette section, produit par l'INALCO à la suite de l'audience publique, que la section disciplinaire doit se prononcer sur la procédure engagée contre M. A... au cours du mois de juin prochain. Par ailleurs, il ressort des éléments produits par l'INALCO que le requérant n'a plus en charge la direction d'aucun mémoire de master tandis que les deux étudiantes dont il dirige les thèses, qui ne sont respectivement qu'en première et deuxième années, ont été informées de sa suspension et attendent la décision de la section disciplinaire pour éventuellement changer de directeur de thèse. Si le requérant se prévaut aussi des incidences de la mesure de suspension tant sur sa réputation professionnelle que sur sa vie familiale et privée, ces effets sont déjà avérés puisque la décision a été prise il y a près de cinq mois.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué, que la condition d'urgence ne peut être regardée, en l'espèce, comme remplie. Il y a lieu, par suite, de rejeter la requête de M. A..., y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A..., à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et à l'Institut national des langues et civilisations orientales.
Fait à Paris, le 14 avril 2022
Signé : Nathalie Escaut