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Ariane Web: Conseil d'État 456425, lecture du 19 mai 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:456425.20220519

Décision n° 456425
19 mai 2022
Conseil d'État

N° 456425
ECLI:FR:CECHR:2022:456425.20220519
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Frédéric Gueudar Delahaye, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du jeudi 19 mai 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 septembre et 9 novembre 2021 et 15 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT (UFSE-CGT), la Fédération CGT des services publics, la Confédération générale du travail (CGT), la Fédération syndicale unitaire (FSU), la Fédération CGT de l'action sociale et de la santé et l'Union syndicale Solidaires Fonction Publique demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-904 du 7 juillet 2021 relatif aux modalités de la négociation et de la conclusion des accords collectifs dans la fonction publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la décision n° 2021-956 QPC du 10 décembre 2021 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. A... B... de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT, de la Fédération CGT des services publics, de la Confédération générale du travail, de la Fédération syndicale unitaire, de la Fédération CGT de l'action sociale et de la santé et de l'Union syndicale Solidaires Fonction Publique ;


Considérant ce qui suit :

1. Selon l'article 5 du décret attaqué du 7 juillet 2021, relatif aux modalités de la négociation et de la conclusion des accords collectifs dans la fonction publique : " Les accords mentionnent leur calendrier de mise en oeuvre et, le cas échéant, la durée de leur validité ainsi que les conditions d'examen par le comité de suivi des mesures qu'ils impliquent et de leurs modalités d'application. " L'article 8 du même décret prévoit que : " La révision de l'accord intervient à l'initiative de l'autorité administrative ou territoriale signataire ou de tout ou partie des organisations syndicales signataires, représentant la majorité au moins des suffrages exprimés. / Cette condition de majorité s'apprécie : / 1° A la date de signature de l'accord, lorsque la révision intervient durant le cycle électoral au cours duquel l'accord a été signé ; / 2° Ou à la date des dernières élections professionnelles organisées pour l'organisme consultatif de référence, lorsque la révision intervient après le cycle électoral au cours duquel l'accord a été signé. " L'article 10 de ce décret dispose que : " La dénonciation ne peut intervenir, à l'initiative de l'autorité compétente ou de l'une ou plusieurs organisations syndicales signataires, que pour des accords à durée indéterminée et lorsque les clauses de l'accord ne peuvent plus être appliquées. / Lorsque la dénonciation émane d'une ou plusieurs organisations syndicales signataires, la condition de majorité des suffrages exprimés déterminée au I de l'article 8 quater de la loi du 13 juillet 1983 précitée s'apprécie dans les mêmes conditions que celle prévue aux 1° et 2° de l'article 8. / La dénonciation intervient à la suite d'un préavis d'une durée d'un mois. "

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que les dispositions de l'article 5 du décret attaqué prévoyant la mention, dans les accords, des conditions d'examen par le comité de suivi des mesures qu'ils impliquent résulte d'amendements présentés lors de l'examen du projet de décret par le Conseil commun de la fonction publique le 6 mai 2021. Par suite, le moyen tiré de ce que ce conseil n'aurait pas été mis à même d'exprimer son avis sur cette question ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

En ce qui concerne l'article 5 :

3. D'une part, la liberté des organisations syndicales de signer ou non un accord ne saurait être affectée par l'institution systématique d'un comité de suivi. D'autre part, en vertu des dispositions des articles 8 bis et 8 ter de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur, désormais codifiées aux articles L. 221-1 et suivants du code général de la fonction publique, les organisations syndicales représentatives de fonctionnaires ont qualité pour participer aux négociations relatives à l'évolution des rémunérations et du pouvoir d'achat des agents publics ainsi qu'aux accords collectifs dans les domaines mentionnés à l'article 8 ter. Les dispositions de l'article 8 octies de cette loi, reprises à l'articles L. 227-1 du code général de la fonction publique, qui prévoient que seules les organisations signataires de l'accord débattent avec l'administration, au sein du comité de suivi, sur les modalités de mise en oeuvre de cet accord, ne sauraient ainsi avoir pour objet ni pour effet d'exclure les organisations non signataires des négociations portant sur des questions qui excèdent le suivi de la mise en oeuvre de l'accord et qui relèvent des domaines dans lesquels doivent être appelées à participer l'ensemble des organisations représentatives en vertu des articles 8 bis et 8 ter de la loi du 13 juillet 1983 ou d'autres dispositions législatives ou réglementaires.

4. Les dispositions contestées de l'article 5 du décret, qui se bornent à prévoir que les accords mentionnent les conditions d'examen par le comité de suivi des mesures qu'ils impliquent et de leurs modalités d'application, ne confèrent pas à ces comités un rôle qui excède le suivi de la mise en oeuvre de l'accord. Le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient la liberté syndicale ne peut donc qu'être écarté.

En ce qui concerne l'article 8 :

5. Aux termes du premier alinéa du III de l'article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur, codifié à l'article L. 227-2 du code général de la fonction publique : " Ces accords peuvent être modifiés par des accords conclus dans le respect de la condition de majorité déterminée au I de l'article 8 quater et selon des modalités précisées par voie réglementaire (...) ".

6. Ces dispositions, ainsi que le Conseil Constitutionnel l'a retenu pour les juger conformes à la Constitution par sa décision du 10 décembre 2021, n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet d'interdire aux organisations syndicales représentatives qui n'étaient pas signataires d'un accord collectif de prendre l'initiative de sa modification, les organisations syndicales représentatives respectant la condition de majorité pouvant, même sans être signataires d'un accord, demander d'ouvrir une négociation en vue de sa modification ou participer à la négociation d'un nouvel accord dans le cadre prévu par l'article 8 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.

7. Il en résulte que, en prévoyant que les organisations syndicales représentatives respectant la condition de majorité peuvent demander d'ouvrir une négociation en vue de la révision d'un accord, l'article 8 du décret attaqué n'est pas entaché d'illégalité. En revanche, en réservant cette possibilité aux seules organisations signataires de l'accord, les dispositions de cet article 8 ont ajouté une condition, non prévue par la loi, qui méconnaît l'exigence résultant des sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

En ce qui concerne l'article 10 :

8. Aux termes du troisième alinéa du III de l'article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur, codifié à l'article L. 227-4 du code général de la fonction publique : " (...) Les accords peuvent faire l'objet d'une dénonciation totale ou partielle par les parties signataires selon des modalités prévues par voie réglementaire (...) ".

9. Si les organisations requérantes soutiennent que les dispositions de l'article 10 du décret attaqué méconnaîtraient le principe de représentativité des organisations syndicales et la liberté syndicale en réservant aux seules organisations signataires le droit de dénoncer un accord, cette condition résulte des dispositions mêmes de l'article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983, qui ont été jugées conformes à la Constitution par la décision du 10 décembre 2021 du Conseil constitutionnel. Le moyen soulevé à l'encontre des dispositions du décret qui réitèrent cette condition ne peut, par suite, qu'être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les organisations requérantes ne sont fondées à demander l'annulation du décret qu'elles attaquent qu'en tant seulement qu'il ajoute, à son article 8, à la condition de majorité requise pour engager la révision d'un accord la condition, pour l'organisation syndicale intéressée, d'avoir été signataire de l'accord.

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Au premier alinéa de l'article 8 du décret n° 2021-904 du 7 juillet 2021 relatif aux modalités de la négociation et de la conclusion des accords collectifs dans la fonction publique, le mot " signataires " est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT et autres est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT, première requérante dénommée, à la Première ministre, à la ministre de la transformation et de la fonction publiques, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et au ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 avril 2022 où siégeaient : M. Jacques Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Géraud Sajust de Bergues, M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat ; Mme Mélanie Villiers, maître des requêtes et M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 19 mai 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :
Signé : M. Frédéric Gueudar Delahaye

La secrétaire :
Signé : Mme Nadine Pelat


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