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Ariane Web: Conseil d'État 457494, lecture du 21 juin 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:457494.20220621

Décision n° 457494
21 juin 2022
Conseil d'État

N° 457494
ECLI:FR:CECHR:2022:457494.20220621
Publié au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Sophie-Caroline de Margerie, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public
SCP ZRIBI, TEXIER, avocats


Lecture du mardi 21 juin 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 457494, par un jugement n° 2101189 du 14 octobre 2021, enregistré le 15 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Besançon, avant de statuer sur la demande de M. D... B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 juillet 2021 par lequel le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi et à ce qu'il soit enjoint au préfet du Doubs de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation personnelle et de lui délivrer, dans l'un ou l'autre cas, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, a décidé, en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) La formalité de la légalisation a-t-elle pour objet ou pour effet de donner, de manière générale, une valeur probante ou de " redonner " une valeur probante à l'ensemble des documents d'état civil ainsi légalisés, de sorte que le juge ne peut plus contrôler les irrégularités constatées par le préfet et doit dès lors considérer que les actes d'état civil sont valides ou " validés " par cette légalisation '

2°) En cas de réponse négative à la deuxième question, cette formalité de la légalisation a-t-elle pour objet ou pour effet de donner une valeur probante ou de " redonner " une valeur probante aux seules mentions des documents d'état civil concernés par la légalisation - véracité de la signature, qualité du signataire, identité du sceau ou timbre -, de sorte que le juge ne peut plus contrôler les irrégularités constatées par le préfet sur ces mentions et doit dès lors considérer que les actes d'état civil sont, s'agissant de ces mentions, valides ou " validés " par cette légalisation '

3°) En cas de réponse négative aux deuxième et troisième questions, le juge administratif conserve-t-il la possibilité, pour apprécier la valeur probante des documents d'état civil, d'écarter la formalité de légalisation, même régulièrement accomplie, et de se forger une conviction au regard de l'ensemble des autres pièces du dossier et, en particulier, des irrégularités constatées par le service spécialisé dans la fraude documentaire '


2° Sous le n° 458031, par un arrêt n° 20NC00384 du 28 octobre 2021, enregistrée le 29 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Nancy, avant de statuer sur l'appel de M. A... C... tendant à l'annulation du jugement du 7 janvier 2020 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne rejetant la demande de l'intéressé tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 juillet 2019 par lequel le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour et à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Aube de réexaminer sa demande d'admission au séjour dans un délai de quinze jours, a décidé, en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) Lorsqu'un acte d'état civil relève de l'obligation de légalisation, le défaut de légalisation ou son caractère irrégulier fait-il obstacle à l'application de l'article 47 du code civil en vertu duquel les actes d'état civil des étrangers établis en pays étranger et rédigés dans les formes usitées dans ce pays font foi '

2°) Dans l'affirmative, cette seule absence ou irrégularité de la légalisation permet-elle à l'autorité administrative de refuser un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif que l'étranger ne justifie, ni de son identité, ni de son âge, alors que le département, sur la base des déclarations de l'intéressé lors de son arrivée en France l'a évalué mineur et que le juge judiciaire l'a reconnu mineur et a prononcé en conséquence des mesures d'assistance éducative prévues par l'article 375 et suivants du code civil '

3°) Si tel est le cas, sur quels éléments le juge peut-il forger sa conviction sur l'identité et l'âge de l'étranger '


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;
- le décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 ;
- la décision n° 2021-972 QPC du 18 février 2022 du Conseil constitutionnel ;
- la décision n° 448296, 448305, 454144, 455519 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, du 7 avril 2022 ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;




Après avoir entendu en séance publique :

- Le rapport de Mme E... de Margerie, conseillère d'Etat,

- Les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi, Texier, avocat de M. B... et de l'Association des avocats pour la défense des droits des étrangers ;




REND L'AVIS SUIVANT :


1. Le jugement du tribunal administratif de Besançon et l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy visés ci-dessus soumettent au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, des questions se rapportant au même sujet. Il y a lieu de les joindre pour y répondre par un même avis.

2. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article R. 431-10 du même code prévoit que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

3. Aux termes du II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : " Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet. / La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu / Un décret en Conseil d'Etat précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation. " Aux termes de l'article 1er du décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère, applicable aux légalisations intervenues à compter du 1er janvier 2021 : " Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France ou devant un ambassadeur ou chef de poste consulaire français doit être légalisé pour y produire effet. La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. Elle donne lieu à l'apposition d'un cachet dont les caractéristiques sont définies par arrêté conjoint des ministres chargés de la justice et des affaires étrangères ".

4. A moins d'engagements internationaux contraires, la légalisation était imposée, s'agissant des actes publics étrangers destinés à être produits en France, sur le fondement de l'article 23 du titre IX du livre Ier de l'ordonnance de la marine d'août 1681, jusqu'à ce que ce texte soit abrogé par le II de l'article 7 de l'ordonnance du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques. L'exigence de légalisation est toutefois demeurée, sur le fondement de la coutume internationale, reconnue par une jurisprudence établie du juge judiciaire, jusqu'à l'intervention des dispositions citées ci-dessus du II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019. Les dispositions des 1er et 3ème alinéas de cet article ont été déclarées contraires à la Constitution, au motif qu'elles ne prévoient pas de voie de recours en cas de refus de légalisation d'actes d'état civil, par la décision n° 2021-972 QPC du 18 février 2022 du Conseil constitutionnel, qui a toutefois reporté au 31 décembre 2022 la date de leur abrogation. Par une décision n° 48296, 448305, 454144, 455519 du 7 avril 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé le décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère, pris pour l'application de ces dispositions législatives, en reportant la date et l'effet de cette annulation au 31 décembre 2022. Il en résulte que les dispositions citées au point 3, qui se sont substituées à compter de leur entrée en vigueur comme fondement de l'exigence de légalisation à la coutume internationale, demeurent applicables jusqu'à cette date.

5. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'est produit devant l'administration un acte d'état civil émanant d'une autorité étrangère qui a fait l'objet d'une légalisation, sont en principe attestées la véracité de la signature apposée sur cet acte, la qualité de celui qui l'a dressé et l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. En cas de doute sur la véracité de la signature, sur l'identité du timbre ou sur la qualité du signataire de la légalisation, il appartient à l'autorité administrative de procéder, sous le contrôle du juge, à toutes vérifications utiles pour s'assurer de la réalité et de l'authenticité de la légalisation.

6. En outre, la légalisation se bornant à attester de la régularité formelle d'un acte, la force probante de celui-ci peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. Par suite, en cas de contestation de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il revient au juge administratif de former sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

7. A la condition que l'acte d'état civil étranger soumis à l'obligation de légalisation et produit à titre de preuve devant l'autorité administrative ou devant le juge présente des garanties suffisantes d'authenticité, l'absence ou l'irrégularité de sa légalisation ne fait pas obstacle à ce que puissent être prises en considération les énonciations qu'il contient. En particulier, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient à l'autorité administrative d'y répondre, sous le contrôle du juge, au vu de tous les éléments disponibles, dont les évaluations des services départementaux et les mesures d'assistance éducative prononcées, le cas échéant, par le juge judiciaire, sans exclure, au motif qu'ils ne seraient pas légalisés dans les formes requises, les actes d'état civil étrangers justifiant de l'identité et de l'âge du demandeur.



Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Besançon, à la cour administrative d'appel de Nancy, à M. D... B..., à M. A... C... et au ministre de l'intérieur. Il sera publié au Journal officiel de la République française.



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