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Ariane Web: Conseil d'État 451533, lecture du 13 juillet 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:451533.20220713

Décision n° 451533
13 juillet 2022
Conseil d'État

N° 451533
ECLI:FR:CECHR:2022:451533.20220713
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. François-René Burnod, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du mercredi 13 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Thaï Union France Holding 2 a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt mises à sa charge au titre de l'exercice clos en 2013. Par un jugement n° 1607048 du 10 juillet 2018, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18VE02688 du 9 février 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Thaï Union France Holding 2 contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 avril 2021, 9 juillet 2021, 15 novembre 2021 et 30 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Thaï Union France Holding 2 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention du 11 décembre 1980 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de l'Île Maurice tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François-René Burnod, auditeur,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Thai Union France Holding 2 ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société par actions simplifiée (SAS) MW Brands, devenue Thaï Union Europe, est détenue par la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Thaï Union France Holding 2, elle-même détenue par la société de droit luxembourgeois Thaï Union EU Seafood SA, cette dernière étant à son tour détenue par la société Thaï Union Investment Holding, établie à l'Île Maurice. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a notifié à la SASU Thaï Union France Holding 2, en sa qualité de société mère d'un groupe fiscalement intégré, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles au titre de l'exercice clos en 2013 à raison de la réintégration dans le résultat imposable de sa filiale MW Brands d'intérêts d'emprunt versés par cette dernière à la société mauricienne Thaï Union Investment Holding. Après rejet de sa réclamation, la SASU Thaï Union France Holding 2 a porté le litige devant le tribunal administratif de Montreuil, qui a rejeté sa demande par un jugement du 10 juillet 2018. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 9 février 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel contre ce jugement.

Sur l'application de la loi fiscale :

2. Aux termes de l'article 212 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise liée, directement ou indirectement, au sens du 12 de l'article 39, sont déductibles : (...) b) (...) sous réserve que l'entreprise débitrice démontre, à la demande de l'administration, que l'entreprise qui a mis les sommes à sa disposition est, au titre de l'exercice en cours, assujettie à raison de ces mêmes intérêts à un impôt sur le revenu ou sur les bénéfices dont le montant est au moins égal au quart de l'impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun. Dans l'hypothèse où l'entreprise prêteuse est domiciliée ou établie à l'étranger, l'impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun s'entend de celui dont elle aurait été redevable en France sur les intérêts perçus si elle y avait été domiciliée ou établie ".

3. La cour a relevé que, pour refuser la déduction des intérêts en cause au titre de ces dispositions, l'administration fiscale s'était fondée sur la circonstance que la société prêteuse bénéficiait à l'Île Maurice d'un abattement spécial de 80 % sur ses bénéfices ayant pour effet de l'assujettir à un taux d'imposition de 3 %, inférieur au quart du taux de droit commun français. Elle a jugé que la requérante n'apportait pas la preuve, qui lui incombait, qu'en dépit de cette circonstance, elle aurait été assujettie à raison de ces intérêts à un taux supérieur, en l'occurrence, ainsi qu'elle le soutenait, au taux normal d'imposition fixé à 15 % à l'Île Maurice.

4. A cet égard, d'une part, si la requérante a fait valoir que la société prêteuse avait renoncé à cet abattement spécial, la cour a pu, par une motivation suffisante exempte d'erreur de droit, estimer que la seule production d'une lettre de renonciation adressée à l'administration fiscale ne suffisait pas, faute d'être assortie d'un acte des autorités compétentes mauriciennes en tirant les conséquences, pour établir que le taux d'imposition de cette société avait été fixé à 15 %.

5. D'autre part, la cour n'a ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis, ni méconnu les règles gouvernant la charge de la preuve en jugeant, par un arrêt suffisamment motivé, qu'eu égard au fait que cette renonciation était intervenue en cours d'instance devant le tribunal administratif, et en l'absence de production d'un avis d'imposition rectificatif, la production d'un reçu de l'administration fiscale mauricienne faisant état du paiement par la société prêteuse de sommes correspondant au montant de l'impôt, dépourvu de toute autre précision, n'était pas de nature à établir une nouvelle liquidation au taux normal mauricien.

Sur l'application du droit de l'Union européenne :

6. Aux termes de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites. / (...) ".

7. Les mesures interdites par cet article, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de procéder à des investissements dans un État membre, qu'elles introduisent une différence de traitement entre résidents et non-résidents (" restrictions directes "), ou que, bien qu'indistinctement applicables aux résidents et aux non-résidents, elles défavorisent, de fait, les situations transfrontalières par rapport aux situations purement internes (" restrictions indirectes ").

8. En faisant obstacle à la déduction des intérêts versés par une société débitrice à une société liée imposée à un niveau inférieur au quart de l'impôt de droit commun en France, les dispositions du b) du I. de l'article 212 du code général des impôts citées au point 2 prévoient un traitement différent des sociétés concernées selon le niveau d'imposition de leur prêteur, et non selon le siège de ce dernier. Elles n'introduisent dès lors, ainsi que l'a relevé la cour, aucune restriction directe à la liberté de circulation des capitaux.

9. La cour a par ailleurs estimé qu'eu égard au niveau d'imposition plancher qu'elles fixent au quart de l'impôt français de droit commun, ces dispositions n'instauraient par elles-mêmes aucune différence de traitement généralement défavorable, de fait, aux situations transfrontalières. En se fondant sur cette circonstance résultant de l'instruction, elle n'a pas méconnu les règles gouvernant la charge de la preuve, et n'a pas davantage commis d'erreur de droit en en déduisant l'absence de restriction indirecte à la liberté de circulation des capitaux, quand bien même les situations purement internes susceptibles de relever de ces dispositions seraient généralement celles dans lesquelles les entreprises prêteuses bénéficient d'un régime particulier.

Sur l'application de la convention franco-mauricienne :

10. En premier lieu, aux termes du paragraphe 4 de l'article 25 de la convention franco-mauricienne du 11 décembre 1980 : " (...) les intérêts, redevances et autres dépenses payés par une entreprise d'un Etat à un résident de l'autre Etat sont déductibles, pour la détermination des bénéfices imposables de cette entreprise, dans les mêmes conditions que s'ils avaient été payés à un résident du premier Etat ".

11. Dès lors qu'elle avait estimé, dans le cadre de sa réponse au moyen tiré d'une restriction à la liberté de circulation des capitaux, que le b) du I. de l'article 212 du code général des impôts n'établissait aucune différence de traitement directement fondée sur le siège des sociétés bénéficiaires d'intérêts, la cour pouvait, sans commettre d'erreur de droit, écarter par le même motif le moyen tiré de ce que la clause conventionnelle de non-discrimination citée au point 10 ferait obstacle à l'application de la loi fiscale.

12. En second lieu, aux termes du paragraphe 5 de l'article 25 de la même convention : " Les entreprises d'un Etat, dont le capital est en totalité ou en partie, directement ou indirectement, détenu ou contrôlé par un ou plusieurs résidents de l'autre Etat, ne sont soumises dans le premier Etat à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celles auxquelles sont ou pourront être assujetties les autres entreprises similaires du premier Etat ".

13. Il résulte de ces stipulations, ainsi d'ailleurs que le précise le paragraphe 79 des commentaires du modèle de convention établi par l'Organisation pour la coopération et le développement économique publiés le 17 juillet 2008, qu'elles ne sauraient être invoquées pour faire obstacle à une règle nationale défavorable à une entreprise du seul fait qu'elle verse des intérêts à des créanciers non-résidents, dès lors que cette différence de traitement n'est pas elle-même fondée sur le fait que les non-résidents détiennent ou contrôlent le capital de l'entreprise. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la requérante, qui invoquait un désavantage résultant du taux d'imposition pratiqué par l'Etat du siège de la société prêteuse avec laquelle elle était liée, et non de l'existence même de ce lien, n'était pas fondée à se prévaloir de ces stipulations.

14. Il résulte de ce qui précède que la société Thaï Union France Holding 2 n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Thaï Union France Holding 2 est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par action simplifiée unipersonnelle Thaï Union France Holding 2 et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 juillet 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, président de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. François-René Burnod, auditeur-rapporteur.

Rendu le 13 juillet 2022.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. François-René Burnod
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle



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