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Ariane Web: Conseil d'État 461888, lecture du 18 juillet 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:461888.20220718

Décision n° 461888
18 juillet 2022
Conseil d'État

N° 461888
ECLI:FR:CECHR:2022:461888.20220718
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Frédéric Gueudar Delahaye, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET, avocats


Lecture du lundi 18 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 461888, par un mémoire, enregistré le 25 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics (FAFPT) demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 30 décembre 2021 pris pour l'application de l'article L. 412-57 du code des communes relatif à l'engagement de servir des policiers municipaux, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 412-57 du code des communes.


2° Sous le n° 461953, par un mémoire, enregistré le 10 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération Interco CFDT demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 30 décembre 2021 pris pour l'application de l'article L. 412-57 du code des communes relatif à l'engagement de servir des policiers municipaux, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de de l'article L. 412-57 du code des communes.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code des communes ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 84-594 du 12 juillet 1984 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. A... B... de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la Fédération Interco CFDT ;


Considérant ce qui suit :

1. Les mémoires enregistrés sous les nos 461888 et 461954 tendent à la transmission au Conseil constitutionnel de questions prioritaires de constitutionnalité mettant en cause les mêmes dispositions législatives. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 511-2 du code de sécurité intérieure : " Les fonctions d'agent de police municipale ne peuvent être exercées que par des fonctionnaires territoriaux recrutés à cet effet dans les conditions fixées par les statuts particuliers prévus à l'article 6 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et, à Paris, par des fonctionnaires de la Ville de Paris recrutés à cet effet dans les conditions fixées au chapitre III du titre III du présent livre (...) ". Aux termes de l'article L. 511-6 du même code : " Outre la formation initiale dont ils bénéficient (...), les fonctionnaires mentionnés à l'article L. 511-2 reçoivent une formation continue dispensée en cours de carrière et adaptée aux besoins des services, en vue de maintenir ou parfaire leur qualification professionnelle et leur adaptation aux fonctions qu'ils sont amenés à exercer. / Cette formation est organisée et assurée par le Centre national de la fonction publique territoriale. Le centre peut à cet effet passer convention avec les administrations et établissements publics de l'Etat chargés de la formation des fonctionnaires de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Il perçoit une redevance due pour prestations de services, versée par les communes bénéficiant des actions de formation et dont le montant est lié aux dépenses réellement engagées à ce titre. Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article ". Aux termes de son article L. 511-7 : " Dans des conditions fixées par les statuts particuliers, les agents nommés au sein des cadres d'emploi de la police municipale et astreints à une formation d'intégration et de professionnalisation (...) peuvent être dispensés de tout ou partie de cette formation à raison de la reconnaissance de leurs expériences professionnelles antérieures ". Aux termes l'article 51 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, alors en vigueur : " Les mutations sont prononcées par l'autorité territoriale d'accueil. (...) Lorsque la mutation intervient dans les trois années qui suivent la titularisation de l'agent, la collectivité territoriale ou l'établissement public d'accueil verse à la collectivité territoriale ou à l'établissement public d'origine une indemnité au titre, d'une part, de la rémunération perçue par l'agent pendant le temps de formation obligatoire prévu au 1° de l'article 1er de la loi n° 84-594 du 12 juillet 1984 précitée et, d'autre part, le cas échéant, du coût de toute formation complémentaire suivie par l'agent au cours de ces trois années. A défaut d'accord sur le montant de cette indemnité, la collectivité territoriale ou l'établissement public d'accueil rembourse la totalité des dépenses engagées par la collectivité territoriale ou l'établissement public d'origine ".

4. Aux termes de l'article L. 412-57 du code des communes : " La commune ou l'établissement public qui prend en charge la formation du fonctionnaire stagiaire des cadres d'emplois de la police municipale peut lui imposer un engagement de servir pour une durée maximale de trois ans à compter de la date de sa titularisation. / Le fonctionnaire des cadres d'emplois de la police municipale qui rompt l'engagement prévu au premier alinéa doit rembourser à la commune ou à l'établissement public une somme correspondant au coût de sa formation. Dans ce cas, il ne peut être fait application des dispositions prévues au second alinéa de l'article 51 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. / Le fonctionnaire des cadres d'emplois de la police municipale qui rompt l'engagement prévu au premier alinéa du présent article peut être dispensé par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale de tout ou partie du remboursement, pour des motifs impérieux, notamment tirés de son état de santé ou de nécessités d'ordre familial. Si l'exemption porte sur la totalité du remboursement, il est fait application des dispositions prévues au second alinéa de l'article 51 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée. / Un décret détermine les conditions d'application du présent article, en particulier les modalités de calcul de la somme correspondant au coût de la formation ".

Sur la méconnaissance du principe d'égalité :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

6. D'une part, il résulte des dispositions du code de sécurité intérieure citées au point 3 que l'exercice des fonctions d'agent de police municipale est subordonné à une formation d'intégration et de professionnalisation spécifique. Au regard de l'importance de cette formation, de la charge financière qu'elle représente et de la nature particulière des fonctions exercées, les fonctionnaires des cadres d'emplois de la police municipale sont placés dans une situation différente de celle des autres fonctionnaires territoriaux. C'est, par suite, sans méconnaître le principe d'égalité que le législateur, afin de tenir compte de la nécessité de maintenir les agents concernés pendant une durée minimale au sein des effectifs de la commune ou de l'établissement public qui a pris en charge leur formation, a pu, par les dispositions contestées, permettre à cette commune ou à cet établissement public de leur imposer un engagement de servir et prévoir que le fonctionnaire qui rompt cet engagement doit rembourser à la commune ou à l'établissement public une somme correspondant au coût de sa formation.

7. D'autre part, les fonctionnaires stagiaires ayant suivi une telle formation initiale sont dans une situation différente des agents de la police municipale qui, parce qu'ils disposent d'une expérience antérieure, ont été dispensés à ce titre de cette formation et ne sauraient, dès lors, être tenus de la rembourser.

8. Enfin, en prévoyant que la commune ou l'établissement public qui prend en charge la formation du fonctionnaire stagiaire des cadres d'emplois de la police municipale peut lui imposer un engagement de servir, le législateur a placé les agents concernés de la commune ou de l'établissement public dans la même situation juridique face à cette possibilité et n'a pas établi de différence de traitement entre eux. Par suite, les dispositions contestées ne méconnaissent pas, par elles-mêmes, le principe d'égalité.

9. Il résulte de ce qui précède que la FAFPT et la Fédération Interco CFDT ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la loi.

10. En second lieu, les dispositions contestées ont pour objet de mettre, le cas échéant, à la charge de l'agent le remboursement d'une somme correspondant au coût de la formation dont il a bénéficié. Cette somme trouve sa contrepartie directe dans des prestations fournies par la collectivité qui l'emploie et ne revêt pas le caractère d'une imposition ou d'une taxe. Par suite, la FAFPT ne peut utilement soutenir que ces dispositions porteraient atteinte à l'égalité devant les charges publiques, ni qu'elles instaureraient une charge manifestement excessive et disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

Sur les autres griefs de constitutionnalité :

11. En premier lieu, les dispositions contestées se bornent à prévoir, pour les seuls agents ayant rompu l'engagement de servir qu'ils ont souscrit, le remboursement d'une somme correspondant au coût de la formation dont ils ont bénéficié. Elles ne peuvent donc être regardées comme portant atteinte au droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

12. En deuxième lieu, à supposer, comme le soutient la FNAFPT, que la commune ou l'établissement public ne supporte pas directement le coût de la formation mis à la charge de l'agent, la requérante ne peut utilement soutenir qu'aurait ainsi été méconnu un droit ou une liberté garantis par la Constitution.

13. En troisième lieu, si l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

14. Il résulte de tout ce qui précède que les questions posées, qui ne sont pas nouvelles, ne présentent pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics et par la Fédération Interco CFDT.


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics et par la Fédération Interco CFDT.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics, à la Fédération Interco CFDT, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre et au ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 juillet 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Géraud Sajust de Bergues, Mme Anne Courrèges, M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 18 juillet 2022.









Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :
Signé : M. Frédéric Gueudar Delahaye

La secrétaire :
Signé : Mme Nadine Pelat