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Ariane Web: Conseil d'État 449111, lecture du 19 juillet 2022, ECLI:FR:CECHS:2022:449111.20220719

Décision n° 449111
19 juillet 2022
Conseil d'État

N° 449111
ECLI:FR:CECHS:2022:449111.20220719
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Catherine Moreau, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE ; SCP BUK LAMENT - ROBILLOT, avocats


Lecture du mardi 19 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme E... D... et M. G... C... ont demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés des 21 mars et 1er août 2018 du maire de la commune de Yerres accordant à Mme B... et M. A... F... un permis de construire et un permis de construire modificatif pour l'extension d'une maison individuelle sur un terrain situé 7, rue Jeanne d'Arc, à Yerres, ainsi que sa décision du 11 juillet 2018 rejetant leur recours gracieux contre le premier de ces arrêtés.

Par un jugement n° 1805979 du 30 novembre 2020, le tribunal administratif de Versailles a annulé les deux arrêtés des 21 mars et 1er août 2018 ainsi que la décision du 11 juillet 2018.

1° Sous le n° 449111, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 janvier et 16 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Yerres demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les demandes de première instance de Mme D... et de M. C... ;

3°) de mettre à la charge de Mme D... et de M. C... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 449228, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er février et 29 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme F... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les demandes de première instance de Mme D... et de M. C... ;

3°) de mettre à la charge de Mme D... et de M. C... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la commune de Yerres, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de Mme D... et autre et à la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. F... et autre ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que par deux arrêtés des 21 mars et 1er août 2018, le maire de la commune de Yerres a accordé à Mme F... un permis de construire puis un permis de construire modificatif en vue de l'extension d'une maison individuelle dont ils sont propriétaires. Par un jugement du 30 novembre 2020, contre lequel la commune de Yerres, d'une part, et M. et Mme F..., d'autre part, se pourvoient en cassation, le tribunal administratif de Versailles a, à la demande de Mme D... et de M. C..., propriétaires du terrain voisin, annulé ces deux arrêtés.

2. Les pourvois de la commune de Yerres et de M. et Mme F... sont dirigés contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le motif d'annulation des permis de construire retenu par le tribunal administratif :

3. Aux termes de l'article L. 151-8 du code de l'urbanisme : " Le règlement [du plan local d'urbanisme] fixe, en cohérence avec le projet d'aménagement et de développement durables, les règles générales et les servitudes d'utilisation des sols permettant d'atteindre les objectifs mentionnés aux articles L.101-1 à L. 101-3 ". En vertu des dispositions de l'article L. 152-3 du même code, les règles et servitudes définies par un plan local d'urbanisme ne peuvent faire l'objet d'aucune dérogation autre que celles expressément prévues par la même section du code, à l'exception des adaptations mineures rendues nécessaires par la nature du sol, la configuration des parcelles ou le caractère des constructions avoisinantes. Aux termes de l'article R. 151-13 du même code : " les règles générales peuvent être assorties de règles alternatives qui en permettent une application circonstanciée à des conditions locales particulières. / Ces règles alternatives ne peuvent avoir pour objet ou pour effet de se substituer aux possibilités reconnues à l'autorité compétente en matière d'autorisation d'urbanisme de procéder à des adaptations mineures par l'article L. 152-3 et d'accorder des dérogations aux règles du plan local d'urbanisme par les articles L. 152-4 à L. 152-6. " Aux termes de l'article R. 151-41 du même code : " Afin d'assurer l'insertion de la construction dans ses abords, la qualité et la diversité architecturale, urbaine et paysagère des constructions ainsi que la conservation et la mise en valeur du patrimoine, le règlement peut : / 1° Prévoir des règles alternatives, dans les conditions prévues à l'article R. 151-13, afin d'adapter des règles volumétriques définies en application de l'article R. 151-39 pour satisfaire à une insertion dans le contexte, en lien avec les bâtiments contigus ; / 2° Prévoir des dispositions concernant les caractéristiques architecturales des façades et toitures des constructions ainsi que des clôtures ; (...) "

4. Il résulte de ces dispositions que le règlement d'un plan local d'urbanisme doit fixer des règles précises destinées à assurer l'insertion des constructions dans leurs abords, leur qualité et leur diversité architecturale, urbaine et paysagère ainsi que la conservation et la mise en valeur du patrimoine. Le règlement peut contenir des dispositions permettant de faire exception aux règles générales qu'il fixe, notamment afin de permettre une intégration plus harmonieuse des projets dans le milieu urbain environnant. Ces règles d'exception doivent alors être suffisamment encadrées, en particulier par la définition des catégories de constructions susceptibles d'en bénéficier, sans préjudice de la possibilité d'autoriser des adaptations mineures en vertu de l'article L. 152-3 du code de l'urbanisme.

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'article UD 11 du règlement du plan local d'urbanisme, relatif notamment à l'aspect extérieur des constructions et l'aménagement de leurs abords, tout en disposant que : " Les constructions doivent être conformes aux prescriptions présentées ci-dessous ", prévoit que : " en cas d'extension modérée ou de projet d'architecture contemporaine, d'autres dispositions peuvent être retenues si elles permettent une meilleure harmonie avec les constructions existantes ou avoisinantes ". A cet égard, s'agissant plus particulièrement de la composition générale des constructions et de leur volumétrie, l'article UD 11-1-1 précise notamment que : " les ouvertures devront être accompagnées de volets battants dans une proportion de nature à souligner la qualité architecturale des constructions et de leur environnement " et " doivent être plus hautes que larges ". Par ailleurs, après avoir fixé une règle selon laquelle : " les balcons, loggias et terrasses situés à plus de 0,60 mètre du terrain naturel sont interdits ", précise néanmoins que : " en façade sur rue les balcons de 60 cm de profondeur maximum sont autorisés " et que : " les balcons, les loggias et les terrasses pourront être admis sous réserve qu'ils participent à la qualité architecturale de la construction et qu'ils permettent sa bonne intégration dans l'environnement urbain ". En jugeant que les dispositions dérogatoires de l'article UD 11, rédigées en des termes très généraux, n'étaient pas suffisamment encadrées, eu égard à leur portée, par la seule condition tenant à une meilleure harmonie avec les constructions existantes ou environnantes et méconnaissaient, ce faisant, les dispositions des articles L. 151-8 et R. 151-13 du code de l'urbanisme, le tribunal n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

6. En second lieu, il ressort des énonciations du jugement attaqué, non contestées en cassation, que le projet de construction autorisé par les permis attaqués présente des ouvertures plus larges que hautes, qu'aucune d'entre elles ne comporte de volets battants et que la terrasse prévue côté jardin est située à 2,90 mètres au-dessus du sol. Après avoir justement écarté, pour les motifs énoncés au point précédent, les dispositions dérogatoires de l'article UD 11-1-1 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune, en retenant que le projet de construction méconnaissait sur ces trois points les prescriptions de cet article citées au point 5, le tribunal administratif, qui a suffisamment motivé son jugement, n'a ni commis d'erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier.

Sur l'application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :

7. Aux termes de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en oeuvre de l'article L. 600-5-1, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l'autorisation pourra en demander la régularisation, même après l'achèvement des travaux. Le refus par le juge de faire droit à une demande d'annulation partielle est motivé. ". L'article L. 600-5-1 de ce code dispose : " Sans préjudice de la mise en oeuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. ".

8. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires ayant conduit à l'adoption de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée sont susceptibles d'être régularisés, le juge doit, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation, sauf à ce qu'il fasse le choix de recourir à l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme, si les conditions posées par cet article sont réunies, ou que le bénéficiaire de l'autorisation lui ait indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation. Un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

9. En l'espèce, après avoir retenu que le projet en litige, qui prévoyait, dans l'extension de la construction existante, des ouvertures, notamment des verrières, plus larges que hautes et ne comportant pas de volets battants, ainsi qu'une terrasse côté jardin située à 2,90 mètres au-dessus du sol, n'était pas conforme aux dispositions l'article UD 11-1-1 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Yerres, le tribunal administratif s'est fondé, pour refuser de faire application des dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme précités, sur la circonstance que les dimensions des ouvertures et la situation de la terrasse constituaient une part essentielle de l'extension projetée et, par conséquent, que le vice constaté n'était pas régularisable. En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de rechercher, pour déterminer si le vice entachant le bien-fondé du permis de construire litigieux pouvait être régularisé, et alors même que cette régularisation aurait impliqué de revoir l'économie générale du projet en cause, si les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle il statuait permettaient une mesure de régularisation qui n'impliquait pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même, le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit.

10. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il juge que les permis litigieux sont entachés des vices rappelés ci-dessus. En revanche, il y a lieu de l'annuler en tant qu'il rejette les conclusions des requérants tendant à l'application des dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et annule en conséquence les permis attaqués, et en tant qu'il statue sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Versailles, afin qu'il se prononce à nouveau sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme. S'il constate, après avoir recueilli les observations des parties, que les vices relevés ont été régularisés par un permis modificatif, ou envisage de surseoir à statuer en fixant un délai en vue de leur régularisation, il lui appartiendra de se prononcer sur le bien-fondé des moyens invoqués par les demandeurs de première instance autres que ceux qu'il a accueillis par son jugement du 30 novembre 2020.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Yerres et de M. et Mme F... qui ne sont pas, dans les présentes instances, les parties perdantes. Par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Yerres et M. et Mme F... au même titre.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 30 novembre 2020 du tribunal administratif de Versailles est annulé en tant qu'il rejette les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et annule en conséquence les arrêtés des 21 mars et 1er août 2018 et en tant qu'il statue sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, au tribunal administratif de Versailles.
Article 3 : Le surplus des conclusions des pourvois est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme D... et M. C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... et M. A... F..., à Mme E... D..., première défenderesse dénommée et à la commune de Yerres.

Délibéré à l'issue de la séance du 2 juin 2022 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 19 juillet 2022.

La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain