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Ariane Web: Conseil d'État 437557, lecture du 22 septembre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:437557.20220922

Décision n° 437557
22 septembre 2022
Conseil d'État

N° 437557
ECLI:FR:CECHR:2022:437557.20220922
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Pauline Hot, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public


Lecture du jeudi 22 septembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1°) Sous le n° 437557, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 12 janvier 2020 et le 26 avril 2021, M. J..., M. I..., M. E..., M. K..., M. G..., M. H..., M. F..., M. A..., M. C..., Mme D... et M. B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à l'abrogation de l'article 6 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre une nouvelle disposition réglementaire conforme à la légalité ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



2°) Sous le n° 437694, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 16 janvier 2020 et le 27 avril 2021, M. J..., M. I..., M. E..., M. K..., M. G..., M. H..., M. F..., M. A..., M. C..., Mme D... et M. B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à l'abrogation du premier alinéa de l'article 12 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre une nouvelle disposition réglementaire conforme à la légalité ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



....................................................................................

3°) Sous le n° 438677, par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 13 février 2020 et les 26 février et 24 avril 2021, M. J..., M. I..., M. E..., M. K..., M. G..., M. H..., M. F..., M. A..., M. C..., Mme D... et M. B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le refus du Premier ministre de prendre les mesures réglementaires nécessaires à l'application de l'article 22-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre ces dispositions, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard ;



....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, auditrice,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Sous le n° 437557, les requérants demandent l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à l'abrogation de certaines dispositions de l'article 6 du décret du 27 novembre 1991 fixant les modalités d'élection des membres des conseils de l'ordre des avocats dans chaque barreau et, sous le n° 437694, du premier alinéa de l'article 12 du même décret encadrant les recours contre les élections générales dans un barreau. Sous le n° 438677, ils demandent l'annulation du refus du pouvoir réglementaire de prendre les mesures nécessaires à l'application de l'article 22-1 de la loi du 31 décembre 1971 afin de permettre de contester utilement la composition du conseil régional de discipline de avocats. Ces requêtes présentant à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.

Sur les conclusions dirigées contre les articles 6 et 12 du décret du 27 novembre 1991 :

2. En premier lieu, l'article 6 du décret du 27 novembre 1991 dispose que : " Le conseil de l'ordre est présidé par un bâtonnier élu pour deux ans au scrutin secret majoritaire à deux tours par l'assemblée générale de l'ordre suivant les modalités fixées par le règlement intérieur (...) ". Contrairement à ce qui est soutenu, cette disposition ne prévoit ni n'implique, en tout état de cause, que le règlement intérieur qu'un conseil de l'ordre des avocats serait conduit à prendre autorise le vote par correspondance.

3. En second lieu, d'une part, l'article 12 du même décret prévoit que : " Les avocats disposant du droit de vote peuvent déférer les élections (à un conseil de l'Ordre) à la cour d'appel dans le délai de huit jours qui suivent ces élections ". Selon le deuxième alinéa de l'article 15 de la loi du 31 décembre 1971, auquel renvoie l'article 3 du décret, qui définit le corps électoral, disposent du droit de vote : " tous les avocats inscrits au tableau de ce barreau et (...) les avocats honoraires dudit barreau ". D'autre part, les articles 22 et 22-1 de la loi du 31 décembre 1971 prévoient qu'un conseil de discipline est institué dans le ressort de chaque cour d'appel pour connaître des infractions et fautes commises par les avocats relevant des barreaux qui s'y trouvent établis et que ce conseil est composé de représentants des conseils de l'ordre du ressort de la cour d'appel.

4. Les requérants soutiennent que dès lors que le conseil de discipline, qui connaît de la situation des avocats relevant des barreaux qui sont établis dans le ressort d'une cour appel, est composé de représentants des conseils de l'ordre de chaque barreau de ce ressort, l'article 12 ne pouvait réserver la possibilité de contester le résultat des élections à un conseil de l'ordre aux seuls avocats inscrits au tableau du barreau de cet ordre. Toutefois, aucune disposition législative ni aucun principe n'implique qu'un avocat puisse contester les élections à un barreau auquel il n'est pas inscrit et n'est pas électeur alors même que le conseil de discipline appelé à statuer sur les manquements aux règles disciplinaires de la profession est composé de membres désignés par d'autres barreaux. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, le pouvoir réglementaire, qui était compétent pour fixer une règle de procédure, n'était pas tenu de permettre à chaque avocat dans le ressort d'une même cour d'appel de contester les résultats des élections des autres barreaux que celui auquel il est inscrit. Ne peuvent donc, pour ce motif, qu'être écartés les moyens d'incompétence ou de méconnaissance du droit au recours. Enfin, les avocats de chaque barreau d'un même ressort d'une cour d'appel n'étant pas, au regard du résultat des élections au conseil de l'ordre du barreau auquel ils sont rattachés, dans la même situation, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le principe d'égalité a été méconnu.

Sur les conclusions relatives au refus de prendre les mesures réglementaires nécessaires à l'application de l'article 22-1 de la loi du 31 décembre 1971 :

5. En vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre assure l'exécution des lois et exerce le pouvoir réglementaire, sous réserve de la compétence conférée au Président de la République par son article 13. L'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect des engagements internationaux de la France y ferait obstacle.

6. Ainsi qu'il a été dit au point 3, l'article 22-1 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que le conseil de discipline institué dans le ressort de chaque cour d'appel est composé de représentants désignés par les conseils de l'ordre du ressort de la cour d'appel. Cet article prévoit également que le président de ce conseil est élu par ce dernier et que les délibérations des conseils de l'ordre désignant ces représentants ainsi que l'élection du président peuvent être déférés à la cour d'appel. Le dernier alinéa de l'article renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les conditions d'application de ces dispositions.

7. En premier lieu, si les requérants soutiennent que le décret du 27 novembre 1991 a omis de définir les modalités de publicité à l'égard des tiers des décisions de désignation par les conseils de l'ordre des membres appelés à siéger en formation disciplinaire, l'article 13 de ce même décret prévoit cependant que : " Sous réserve des dispositions particulières contenues dans le présent décret, toute délibération de caractère réglementaire est notifiée au procureur général, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, et portée à la connaissance des avocats inscrits au tableau, dans les quinze jours de sa date ". Il en résulte que le décret prévoit des modalités de publicité particulières pour les " décisions réglementaires ", qui désignent au sens et pour l'application de ces dispositions les décisions qui concernent l'ensemble des avocats relevant du ressort du barreau concerné, telles que la décision de désignation des représentants de chaque ordre au conseil de discipline institué dans le ressort d'une cour d'appel. Par suite, le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire aurait omis de déterminer le mode de publicité à l'égard des tiers d'une telle décision ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

8. En second lieu, si les requérants soutiennent d'une part qu'aucune disposition du décret du 27 novembre 1991 ne définit les modalités de publicité de la désignation par le conseil de discipline de son président, prévue à l'article 22-1 de la loi du 31 décembre 1971 et rappelée à l'article 182 du décret du 27 novembre 1991, cette circonstance est sans incidence sur la légalité du décret. D'autre part, le délai de recours d'un mois prévu par l'article 16 du décret en ce qui concerne le recours contre les délibérations du conseil de l'ordre de chaque barreau est applicable à la contestation de la désignation par le conseil de discipline de son président devant la cour d'appel du ressort. Il en résulte que la décision implicite de refus du Premier ministre ne fait ainsi pas obstacle à ce que la désignation du président du conseil de discipline institué par l'article 22-1 de la loi du 31 décembre 1971 puisse être utilement contestée devant la cour d'appel du ressort.

9. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité des requêtes, il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de M. J... et autres ne peuvent qu'être rejetées. L'article L. 761-1 fait obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, les sommes demandées.



D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes nos 437557, 437694 et 438677 sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. J..., premier requérant dénommé, à la Première ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 septembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat, Mme Airelle Niepce, maître des requêtes et Mme Pauline Hot, auditrice-rapporteure.

Rendu le 22 septembre 2022.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Pauline Hot
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain