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Ariane Web: Conseil d'État 451530, lecture du 10 octobre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:451530.20221010

Décision n° 451530
10 octobre 2022
Conseil d'État

N° 451530
ECLI:FR:CECHR:2022:451530.20221010
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Agnès Pic, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE ; SCP ZRIBI, TEXIER ; SCP BUK LAMENT - ROBILLOT, avocats


Lecture du lundi 10 octobre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

Le Groupement de défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'arrêté du 29 août 2011 par lequel le maire d'Etaples-sur-Mer a délivré à la société Adevia un permis d'aménager pour la création d'un parc d'activités économiques, d'autre part, l'arrêté du 2 juillet 2018 par lequel ce maire a délivré à la société anonyme d'économie mixte Territoires Soixante-Deux, venue aux droits de la société Adevia, un permis d'aménager modificatif, enfin la décision du 8 décembre 2011 par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a refusé de déférer au tribunal administratif l'arrêté du 29 août 2011. Par un jugement n°s 1502719, 1808259 du 12 juillet 2019, le tribunal administratif de Lille a annulé les arrêtés des 29 août 2011 et 2 juillet 2018 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un arrêt n°s 19DA01901, 19DA02169 du 9 février 2021, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé contre ce jugement par la société Territoires Soixante-Deux et la commune d'Etaples-sur-Mer.

1° Sous le n° 451530, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 avril et 12 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Territoires Soixante-Deux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du Groupement de défense de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 451531, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 avril et 9 juillet 2021, la commune d'Etaples-sur-Mer demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 9 février 2021 de la cour administrative d'appel de Douai ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du Groupement de défense de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de la société Territoires Soixante-Deux, à la SCP Zribi et Texier, avocat du Groupement de défense de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la commune d'Etaples-sur-Mer ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par une convention publique d'aménagement du 15 octobre 2003, la communauté de communes Mer et Terres d'Opale, devenue la communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois, a confié à la société Adevia la création d'un parc d'activités dénommé Opalopolis sur le territoire de la commune d'Etaples-sur-Mer. Par un arrêté du 29 août 2011, le maire de cette commune a accordé un permis d'aménager un premier secteur du projet, portant sur une surface de 12 hectares, situé sur un ancien site industriel. A la suite de la réduction du périmètre du projet de 100 à 54 hectares, de la déclaration d'intérêt général par le conseil communautaire et de la mise en conformité en conséquence du schéma de cohérence territoriale et du plan local d'urbanisme, la société Territoires Soixante-Deux, venue aux droits de la société Adevia, a demandé un permis d'aménager modificatif, qui lui a été accordé par arrêté du 2 juillet 2018. Par un jugement du 12 juillet 2019, le tribunal administratif de Lille, saisi par le Groupement de défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais, a annulé les arrêtés du 29 août 2011 et du 2 juillet 2018. La société Territoires Soixante-Deux et la commune d'Etaples-sur-Mer demandent, par deux pourvois qu'il y a lieu de joindre, l'annulation de l'arrêt de la cour administrative de Douai du 9 février 2021 ayant rejeté leurs appels contre ce jugement.

Sur l'intervention :

2. La communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêt attaqué. Ainsi, son intervention au soutien des deux pourvois est recevable.

Sur les pourvois :

3. Aux termes du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, repris depuis le 1er janvier 2016 à l'article L. 121-8 de ce code : " L'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ". Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées, dans les communes littorales, en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions.

4. Lorsqu'une autorisation d'urbanisme a été délivrée en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l'utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance de l'autorisation, l'illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d'une autorisation modificative dès lors que celle-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédée de l'exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises. Elle peut, de même, être régularisée par une autorisation modificative si la règle relative à l'utilisation du sol qui était méconnue par l'autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l'effet d'un changement dans les circonstances de fait de l'espèce. Les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'autorisation initiale.

5. Ainsi, le juge administratif saisi de la contestation de la légalité d'une autorisation d'urbanisme initiale ayant fait l'objet d'une autorisation modificative doit, pour apprécier s'il y a lieu le respect par le projet des dispositions du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme ou, depuis le 1er janvier 2016, de l'article L. 121-8 de ce code, rechercher si, à la date de la délivrance de l'autorisation modificative, les constructions projetées se trouvent en continuité avec des zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions.

6. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en jugeant que la méconnaissance par le projet des dispositions du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme ne devait s'apprécier qu'au regard des circonstances prévalant à la date du permis d'aménager initial accordé le 29 août 2011, sans qu'ait d'incidence la délivrance d'un permis modificatif par l'arrêté du 2 juillet 2018.

7. En outre, si la cour a précisé que l'appréciation du respect du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme qu'elle a opérée au regard de l'environnement du projet à la date du permis d'aménager initial valait " même à celle du permis modificatif ", il ressort des pièces des dossiers qui lui étaient soumis que le projet litigieux, qui consiste à aménager des parcelles localisées sur une friche industrielle, se trouve aux abords immédiats d'une usine, en continuité de la zone d'aménagement concerté du Domaine du Chemins des Près, elle-même en continuité d'une zone déjà urbanisée située à l'est du territoire de la commune d'Etaples-sur-Mer. En jugeant que, même à la date du permis modificatif, la densité des constructions de la zone d'aménagement concerté n'était pas significative et que le projet ne se trouvait pas en continuité d'une agglomération existante, la cour a dénaturé les faits de l'espèce.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, les requérantes sont fondées à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent.

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Groupement de défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais les sommes demandées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par le Groupement de défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais.



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la communauté d'agglomération des deux bais en Montreuillois au soutien des deux pourvois est admise.

Article 2 : L'arrêt du 9 février 2021 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.
Article 3 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 4 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Territoires Soixante-Deux, à la commune d'Etaples-sur-Mer, au Groupement de défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais et à la communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 septembre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat ; M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 10 octobre 2022.


Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Agnès Pic
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber


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