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Ariane Web: Conseil d'État 450275, lecture du 29 novembre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:450275.20221129

Décision n° 450275
29 novembre 2022
Conseil d'État

N° 450275
ECLI:FR:CECHR:2022:450275.20221129
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
Mme Flavie Le Tallec, rapporteur
M. Maxime Boutron, rapporteur public
SCP CAPRON ; SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL, avocats


Lecture du mardi 29 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société immobilière picarde (SIP) a saisi le tribunal administratif d'Amiens d'une opposition à la contrainte délivrée contre elle le 19 septembre 2019 par le directeur de de la caisse d'allocations familiales de la Somme pour le recouvrement d'une somme de 2 450,16 euros indûment versée au titre de l'aide personnalisée au logement. Par un jugement n°s 1903305, 1902703 du 30 décembre 2020, la présidente du tribunal administratif a fait droit à son opposition.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er mars et 1er juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la caisse d'allocations familiales de la Somme demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'opposition de la société SIP ;

3°) de mettre à la charge de la société SIP la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la caisse d'allocation familiale de la Somme et à la SCP Capron, avocat de la société immobilière picarde d'habitations à loyer modéré.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le directeur de la caisse d'allocations familiales de la Somme a délivré le 19 septembre 2019 une contrainte à l'encontre de la société immobilière picarde (SIP) en vue du recouvrement de la somme de 2450,16 euros, correspondant à des paiements d'aide personnalisée au logement versés entre ses mains entre avril et décembre 2015, postérieurement au décès du bénéficiaire de l'allocation. La SIP a formé opposition à cette contrainte devant le tribunal administratif d'Amiens. Le directeur de la caisse d'allocations familiales de la Somme, ayant qualité pour présenter un pourvoi devant le Conseil d'Etat au nom de l'Etat en vertu de l'article R. 825-4 du code de la construction et de l'habitation, se pourvoit en cassation contre le jugement du 30 décembre 2020 par lequel la présidente du tribunal administratif a fait droit à cette opposition, au motif qu'elle portait sur une créance prescrite.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 351-9 du code de la construction et de l'habitation, alors en vigueur, aujourd'hui repris en substance à l'article L. 832-1 du même code : " L'aide personnalisée au logement est versée:/ En cas de location, au bailleur du logement (...). Dans des cas qui seront précisés par décret, elle peut être versée au locataire (...) ". Aux termes du même article, aujourd'hui repris à l'article L. 832-2 du même code : " Lorsque l'aide est versée au bailleur ou à l'établissement habilité à cette fin, elle est déduite, par les soins de celui qui reçoit le versement, du montant du loyer et des dépenses accessoires de logement ou de celui des charges de remboursement. (...). ". En outre, aux termes du II de l'article L. 351-3-1 du même code, alors en vigueur, aujourd'hui repris à l'article R. 823-12 de ce code : " (...) le droit à l'aide personnalisée au logement est éteint à partir du premier jour du mois civil suivant celui au cours duquel survient le décès du bénéficiaire. (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Toutefois, aux termes de l'article L. 821-7 du code de la construction et de l'habitation : " L'action pour le paiement de l'aide personnelle au logement et pour le recouvrement des sommes indûment payées se prescrit dans les conditions prévues à l'article L. 553-1 du code de la sécurité sociale./ (...) ", lequel, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que : " L'action de l'allocataire pour le paiement des prestations se prescrit par deux ans. / Cette prescription est également applicable à l'action intentée par un organisme payeur en recouvrement des prestations indûment payées, sauf en cas de manoeuvre frauduleuse ou de fausse déclaration. ".

4. Il résulte des dispositions combinées du code de la construction et de l'habitation et du code de la sécurité sociale mentionnées aux points 2 et 3 que si l'aide personnalisée au logement est en principe versée au bailleur, auquel il incombe de la déduire du montant du loyer et des dépenses accessoires de logement, l'action en recouvrement d'un indu d'aide personnalisée au logement se prescrit dans le délai de deux ans prévu par l'article L. 553-1 du code de la sécurité sociale, que l'aide ait été versée au bailleur ou directement à l'allocataire, et non dans le délai de cinq ans prévu par l'article 2224 du code civil.

5. En premier lieu, il résulte de ce qui est dit au point 4 qu'en faisant application, pour déterminer si la créance de la caisse d'allocations familiales de la Somme était prescrite, de la prescription biennale prévue par les dispositions de l'article L. 553-1 du code de la sécurité sociale et non de la prescription quinquennale de droit commun, tout en relevant que les sommes versées indûment l'avaient été entre les mains du bailleur, la présidente du tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit.

6. En second lieu, si le directeur de la caisse d'allocations familiales de la Somme soutient qu'en tout état de cause, la prescription quinquennale serait seule applicable à l'action en recouvrement dès lors que les prestations indues ont été versées postérieurement au décès de l'allocataire, un tel moyen, qui n'est pas d'ordre public et n'est pas né du jugement attaqué, est nouveau en cassation. Il ne peut, par suite, qu'être écarté comme inopérant.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le directeur de la caisse d'allocations familiales de la Somme n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque, qui est suffisamment motivé.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société immobilière picarde, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, représenté par le directeur de la caisse d'allocations familiales de la Somme, une somme de 3 000 euros à verser à la société immobilière picarde au titre des mêmes dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la caisse d'allocations familiales de la Somme est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à la société immobilière picarde au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au directeur de la caisse d'allocation familiale de la Somme et à la société immobilière picarde.
Copie en sera adressée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.


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