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Ariane Web: Conseil d'État 468969, lecture du 9 décembre 2022, ECLI:FR:CEORD:2022:468969.20221209

Décision n° 468969
9 décembre 2022
Conseil d'État

N° 468969
ECLI:FR:CEORD:2022:468969.20221209
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP SPINOSI ; SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE, avocats


Lecture du vendredi 9 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 et 29 novembre et 5 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Reporters sans frontières demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 29 septembre 2022 par laquelle le président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) a refusé de faire droit à sa demande tendant à l'engagement d'une procédure de mise en demeure à l'encontre de la société française Eutelsat SA afin qu'elle cesse la diffusion des chaînes russes " Rossiya 1 ", " Perviy Kanal " et " NTV " ;

2°) d'enjoindre à l'ARCOM, au besoin sous astreinte, de réexaminer sa demande tendant à l'engagement d'une procédure de mise en demeure à l'encontre de la société Eutelsat SA.



Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors qu'elle a intérêt lui donnant qualité pour agir ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, la décision contestée est de nature à causer un préjudice substantiel et durable aux intérêts qu'elle défend ainsi qu'aux intérêts publics liés à la protection des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne ainsi qu'à la prohibition de l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale d'un Etat et, d'autre part, l'atteinte aux intérêts en cause présente un caractère immédiat ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- en effet, l'ARCOM est compétente pour prononcer la mise en demeure à l'encontre de la société française Eutelsat SA afin qu'elle cesse la diffusion des chaînes russes " Rossiya 1 ", " Perviy Kanal " et " NTV ", sur le fondement des dispositions de l'article 43-4 de la loi du 30 septembre 1986 ;
- le 2° de l'article 43-4 de la loi du 30 septembre 1986 est contraire à la directive " SMA " du 10 mars 2010 en tant qu'il subordonne la compétence de la France, pour les services de télévision utilisant une capacité satellitaire relevant de la France, à la condition que ces services n'utilisent pas une liaison montante à partir d'une station située dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen.
Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés les 28 novembre et 5 décembre 2022, l'ARCOM conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés les 28 novembre et 5 décembre 2022, la société Eutelsat conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Reporters sans frontières, et, d'autre part, l'ARCOM et la société Eutelsat ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 30 novembre 2022, à 10 heures 30 :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association Reporters sans frontières ;

- les représentants de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique ;

- les représentants de la société Eutelsat.

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au lundi 5 décembre 2022 à 18 heures, puis au mardi 6 décembre 2022 à 18 heures ;

Une note en délibéré a été produite par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique le 7 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 ;
- la convention européenne sur la télévision transfrontière du 5 mai 1989 ;
- le code pénal ;

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. D'une part, selon l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) garantit l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent et contribue à la lutte contre les discriminations dans le domaine de la communication audiovisuelle. Il résulte de l'article 15 de la même loi que cette même autorité veille au respect de la dignité de la personne dans les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle et s'assure que ces programmes ne contiennent ni incitation à la haine ou à la violence fondée sur l'un des motifs visés à l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni provocation publique à commettre les infractions mentionnées aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du code pénal.

3. D'autre part, en vertu de l'article 42 de la même loi, l'ARCOM peut, le cas échéant à la demande d'organisations de défense de la liberté de l'information reconnues d'utilité publique en France, mettre en demeure les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 de cette loi.

4. Il résulte de l'instruction que l'association reconnue d'utilité publique Reporters sans frontières, qui s'est donnée pour but de défendre la liberté de la presse, a saisi l'ARCOM, sur le fondement des dispositions mentionnées aux points 2 et 3, d'une demande tendant à ce que cette autorité mette en demeure la société anonyme Eutelsat, opérateur de réseaux satellitaires établi en France, de cesser la diffusion des services de télévision russes Rossiya 1, Perviy Kanal et NTV, distribués par les plateformes NTV+ et Trikolor, au motif qu'ils comportent des programmes portant atteinte à la dignité humaine, incitant à la haine et à la violence à l'encontre de certaines populations et minorités, légitimant l'intervention illégale de l'armée russe en Ukraine et ne garantissant pas le caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion. Cette association demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 29 septembre 2022 par laquelle l'ARCOM a rejeté cette demande, au motif que les services de télévision visés ne relèvent pas de la compétence de la France.
Sur l'urgence :

5. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension de l'exécution d'un acte administratif, en application des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, lorsque cette exécution porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications apportées par le requérant, si les effets de l'acte en litige sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

6. Ni l'ARCOM, ni la société Eutelsat ne contestent sérieusement la réalité, l'actualité et l'ampleur des conséquences dommageables susceptibles de résulter de la diffusion des programmes litigieux auprès des publics qui les reçoivent. Si l'ARCOM soutient que sa décision ne porte pas par elle-même atteinte aux intérêts publics que fait valoir l'association requérante, liés à la protection des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne, notamment à la dignité humaine, au principe de non-discrimination, à la liberté d'expression et d'information, ainsi qu'à la prohibition de l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale d'un Etat, cette décision de refus fait obstacle à ce qu'elle exerce les prérogatives que lui reconnaît la loi du 30 décembre 1986 à l'égard de l'opérateur satellitaire Eutelsat qui diffuse les chaînes en cause, en vue d'assurer la protection de ces intérêts. La circonstance, mise en avant par l'ARCOM, que la situation dénoncée par l'association Reporters sans frontières existe depuis le début du conflit armé en Ukraine en février 2022, est par elle-même sans incidence sur l'urgence qui s'attache à l'interruption de la diffusion de chaînes de télévision susceptibles de proposer à l'avenir des contenus portant atteinte aux intérêts publics précédemment mentionnés. Enfin, si l'ARCOM a indiqué lors de l'audience et dans son second mémoire que le Conseil pourrait prochainement interdire la diffusion des chaînes litigieuses au sein de l'Union européenne dans le cadre d'un nouveau paquet de sanctions à l'encontre de la Russie, la demande de l'association requérante vise en tout état de cause également la diffusion de ces chaînes dans des Etats tiers, notamment dans les territoires ukrainiens annexés par la Russie.

7. Il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence doit être regardée comme satisfaite.

Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision :

En ce qui concerne la compétence de l'ARCOM au titre du droit de l'Union :
8. En vertu du paragraphe 1 de l'article 2 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, dite directive " Services de médias audiovisuels " (SMA), laquelle codifie les dispositions qui figuraient auparavant dans la directive 89/552/CEE du Parlement européen et du Conseil du 3 octobre 1989 (dite directive " Télévision sans frontières " - TSF), chaque Etat membre veille à ce que tous les services de médias audiovisuels diffusés par des fournisseurs de services de médias relevant de sa compétence respectent les règles du droit applicable aux services de médias audiovisuels destinés au public dans cet État membre. Selon le paragraphe 2 de l'article 2 de la même directive, relèvent de la compétence d'un Etat membre les fournisseurs de services de médias qui sont établis dans cet Etat membre conformément au paragraphe 3 ou ceux auxquels s'applique le paragraphe 4. Le paragraphe 3 du même article définit les conditions dans lesquelles un fournisseur de services de médias qui a son siège social dans un Etat membre est considéré comme étant établi dans cet Etat membre. Le paragraphe 4 du même article dispose que : " Les fournisseurs de services de médias auxquels ne s'applique pas le paragraphe 3 sont réputés relever de la compétence d'un État membre dans les cas suivants : / a) s'ils utilisent une liaison montante vers un satellite située dans cet Etat membre ; / b) si, bien que n'utilisant pas une liaison montante vers un satellite située dans cet Etat membre, ils utilisent une capacité satellitaire relevant de cet Etat membre ". Enfin, le paragraphe 5 du même article dispose que, s'il ne peut être déterminé conformément aux règles précédentes, l'Etat membre compétent est celui dans lequel le fournisseur de services de médias est établi au sens des articles 49 à 55 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
9. Le paragraphe 6 de l'article 2 de la même directive dispose toutefois que : " La présente directive ne s'applique pas aux services de médias audiovisuels exclusivement destinés à être captés dans des pays tiers et qui ne sont pas reçus directement ou indirectement au moyen d'équipements standard par le public d'un ou de plusieurs États membres ".
10. L'article 43-2 de la loi du 30 septembre 1986, pris pour la transposition du paragraphe 2 de l'article 2 de la directive SMA, prévoit que cette loi est applicable aux services de médias audiovisuels, notamment les services de télévision, dont l'éditeur est établi en France selon les critères d'établissement prévus à l'article 43-3 ou, à défaut, qui relève de la compétence de la France en application des critères de transmission prévus à l'article 43-4, sans préjudice de l'application des règles relatives à l'occupation du domaine public. L'article 43-3 de la même loi, qui transpose le paragraphe 3 de l'article 2 de la même directive, fixe les conditions dans lesquelles un éditeur ayant son siège social effectif en France est considéré comme établi en France. L'article 43-4 de la même loi, qui assure la transposition du paragraphe 4 de l'article 2 de cette directive, dispose que : " Les éditeurs de services de télévision ou de médias audiovisuels à la demande auxquels n'est applicable aucun des critères définis à l'article 43-3 relèvent de la compétence de la France s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : / 1° S'ils utilisent une liaison montante vers un satellite à partir d'une station située en France ; / 2° Si, n'utilisant pas une liaison montante à partir d'une station située dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ils utilisent une capacité satellitaire relevant de la France ". L'article 43-5 de la même loi transpose le paragraphe 5 de cette directive.
11. Il résulte de l'ensemble des dispositions mentionnées au point 10, éclairées par les travaux préparatoires des lois qui les ont introduites et modifiées, notamment de ceux de la loi n° 2000-719 du 1er août 2000 et de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009, que le législateur, en les adoptant, s'est borné à transposer les dispositions de la directive TSF puis de la directive SMA rappelées au point 8, s'agissant de la désignation de l'Etat membre compétent pour encadrer des services relevant du champ d'application de cette directive, et n'a pas entendu soumettre à la loi du 30 septembre 1986 des éditeurs de services de médias audiovisuels exclusivement destinés à être captés dans des pays tiers et qui ne sont pas reçus directement ou indirectement au moyen d'équipements standard par le public d'un ou de plusieurs États membres, lesquels sont exclus du champ d'application de cette directive en vertu du paragraphe 6 de son article 2 mentionné au point 9. Dans ce dernier cas, la seule circonstance qu'un service de télévision utiliserait une capacité satellitaire relevant de la France ne rend pas cette loi applicable ni l'ARCOM compétente pour mettre en demeure un opérateur satellitaire établi en France d'interrompre la diffusion des services litigieux.
12. Il résulte de l'instruction que les trois chaînes de télévision en cause, éditées par des sociétés russes et qui proposent des contenus en langue russe, sont incluses dans des bouquets payants commercialisés par les plateformes NTV+ et Trikolor qui les distribuent en Russie et en Biélorussie, mais non dans un Etat membre de l'Union européenne. En outre, si, comme le relève l'ARCOM dans sa décision, un certain nombre de personnes résidant dans un ou plusieurs Etats membres frontaliers de la Russie, en particulier dans les Etats baltes, peuvent incidemment y accéder en acquérant et en utilisant des matériels de réception et de décodage mis en oeuvre dans des conditions illicites ou dont la légalité apparaît douteuse, ces chaînes cryptées ne peuvent être regardées, de ce seul fait, comme étant reçues par le public d'un Etat membre au moyen d'équipements standards, au sens du paragraphe 6 de l'article 2 de la directive SMA. Il résulte de ce qui a été dit au point 11 que ni cette directive, ni les dispositions nationales prises pour leur transposition, en particulier les articles 43-3 à 43-5 de la loi du 30 septembre 1986, n'apparaissent, en l'état de l'instruction, applicables au présent litige.
En ce qui concerne la compétence de l'ARCOM au titre des engagements internationaux de la France :
13. L'article 1er de la convention européenne sur la télévision transfrontière du 5 mai 1989, à laquelle la France est partie, stipule que : " La présente Convention concerne les services de programmes qui sont incorporés dans les transmissions. Son but est de faciliter, entre les Parties, la transmission transfrontière et la retransmission de services de programmes de télévision ". En vertu de son article 3 : " La présente Convention s'applique à tout service de programmes qui est transmis ou retransmis par des organismes ou à l'aide de moyens techniques relevant de la compétence d'une Partie, qu'il s'agisse de câble, d'émetteur terrestre ou de satellite, et qui peut être reçu, directement ou indirectement, dans une ou plusieurs autres Parties ". Le paragraphe 1 de l'article 5 de cette convention prévoit que chaque Etat de transmission veille à ce que tous les services de programmes transmis par un radiodiffuseur relevant de sa compétence soient conformes aux stipulations de cette convention. Le paragraphe 2 du même article attribue compétence à l'Etat dans lequel le radiodiffuseur est établi, au sens du paragraphe 3 qui précise ces règles d'établissement, ou, à défaut, au radiodiffuseur auquel s'applique le paragraphe 4. Selon ce paragraphe 4, l'Etat compétent est celui qui a accordé une fréquence utilisée par le radiodiffuseur ou, à défaut, celui dont relève la capacité satellitaire utilisée ou, à défaut encore, l'Etat d'où part la liaison montante vers le satellite utilisé. Selon le paragraphe 6 du même article, cette convention " ne s'applique pas aux émissions télévisées exclusivement destinées à être captées dans les Etats qui ne sont pas Parties à la présente Convention, et qui ne sont pas reçues directement ou indirectement par le public d'une ou de plusieurs Parties ". Il résulte enfin du paragraphe 1 de l'article 27 de la même convention que les Etats membres de l'Union européenne n'appliquent les règles découlant de la convention que dans la mesure où il n'existe aucune règle du droit de l'Union régissant le sujet particulier concerné.

14. L'article 43-6 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit que cette loi est " applicable aux services de télévision dont l'éditeur relève de la compétence de la France, selon les critères prévus par la Convention européenne, du 5 mai 1989, sur la télévision transfrontière, et reçus par les Etats parties à cette convention non membres de la Communauté européenne ".

15. Pour refuser de faire droit à la demande de l'association requérante, l'ARCOM s'est bornée à constater, d'une part, que les trois chaînes russes en cause sont diffusées par plusieurs opérateurs de satellites différents, de sorte que, pour l'application de la directive SMA, elle n'a pas été en mesure d'identifier la présence d'une liaison montante sur le territoire des Etats membres de l'Union européenne, notamment de la France, et, d'autre part, que la diffusion de ces chaînes cible le territoire russe et que leur accès est crypté, de sorte que le nombre de citoyens de l'Union ayant effectivement accès à ces chaînes via Eutelsat ne peut être que très limité. Il ressort ainsi de sa décision que l'ARCOM n'a pas examiné si sa compétence pouvait être fondée sur les dispositions de l'article 43-6 de la loi du 30 septembre 1986 et les stipulations de l'article 5 de la convention du 5 mai 1989, en tenant compte, d'une part, de ce que l'Ukraine est, à la différence de la Russie où sont établis les radiodiffuseurs responsables de ces services et de la Biélorussie, partie à cette convention, d'autre part, des conditions dans lesquelles les services de télévision litigieux sont distribués et diffusés dans les territoires ukrainiens annexés par la Russie en 2014 et en 2022 et, enfin, de la circonstance que la capacité satellitaire utilisée pour cette diffusion relève de la compétence de la France, qui est également partie à la même convention. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'ARCOM a méconnu les dispositions de l'article 43-6 de la loi du 30 septembre 1986 et les stipulations de l'article 5 de la convention du 5 mai 1989 est, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

16. Il résulte de ce qui précède que l'exécution de la décision de refus attaquée doit être suspendue. Il y a lieu d'enjoindre à l'ARCOM de réexaminer la demande dont elle a été saisie. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.



O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution de la décision du 29 septembre 2022 par laquelle le président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique a refusé de faire droit à la demande de l'association Reporters sans frontières tendant à l'engagement d'une procédure de mise en demeure à l'encontre de la société française Eutelsat SA afin qu'elle cesse la diffusion des chaînes russes " Rossiya 1 ", " Perviy Kanal " et " NTV " est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique de réexaminer la demande de l'association Reporters sans frontières.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Reporters sans frontières, à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et à la société Eutelsat.
Fait à Paris, le 9 décembre 2022
Signé : Alexandre Lallet