Conseil d'État
N° 469944
ECLI:FR:CEORD:2023:469944.20230105
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL, avocats
Lecture du jeudi 5 janvier 2023
Vu la procédure suivante :
Mme B... D..., agissant en son nom propre et pour son fils mineur A... C..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, de les prendre en charge dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence sans délai à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2225537 du 12 décembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, de proposer à Mme D... et à son enfant un hébergement d'urgence pouvant les accueillir dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de cette ordonnance et, d'autre part, rejeté le surplus de ses conclusions.
Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 12 décembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... en première instance.
Elle soutient que :
- à titre principal, et conformément aux dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, la demande de la requérante relève de la compétence du département et non de celle de l'Etat dès lors qu'elle est isolée et accompagnée d'un enfant âgé d'un mois ;
- à titre subsidiaire, l'absence de prise en charge de l'intéressée et de son fils ne saurait caractériser une carence de l'Etat dans la mise en oeuvre du droit à l'hébergement d'urgence dès lors que, eu égard aux moyens dont il dispose, l'Etat a accompli des efforts significatifs pour accroître la capacité d'hébergement d'urgence dans le département de Paris et en Ile-de-France ;
- les éléments produits ne sont pas de nature à établir un degré de vulnérabilité tel que Mme D... et son enfant doivent être regardés comme prioritaires par rapport aux autres familles en attente d'un hébergement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 décembre 2022, Mme D... conclut, à titre principal, au non-lieu à statuer, la préfecture lui ayant attribué un hébergement d'urgence en exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris et, à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient, d'une part, que sa demande au titre de l'hébergement d'urgence relève de la compétence de l'Etat et, d'autre part, il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à l'hébergement d'urgence, à l'intérêt supérieur de l'enfant et au principe de dignité de la personne humaine.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, et d'autre part, Mme D... ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 3 janvier 2022, à 15 heures :
- les représentants de la délégation interministérielle à l'hébergement et au logement ;
- Me Pinatel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme D... ;
- le représentant de Mme D... ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) / 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ". L'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse. Ce dispositif de veille sociale est, en Ile-de-France, en vertu de l'article L. 345-2-1, mis en place à la demande et sous l'autorité du représentant de l'Etat dans la région sous la forme d'un dispositif unique. L'article L. 345-2-2 du même code dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. / Cet hébergement d'urgence doit lui permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine et garantissant la sécurité des biens et des personnes, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d'hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d'être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par son état, notamment un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, un hébergement de stabilisation, une pension de famille, un logement-foyer, un établissement pour personnes âgées dépendantes, un lit halte soins santé ou un service hospitalier. / (...) ". Aux termes de son article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation ".
3. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées au point 2, de mettre en oeuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.
4. Contrairement à ce que soutient la requête, l'Etat ne peut légalement refuser un hébergement d'urgence aux femmes enceintes et aux mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans sans domicile au seul motif qu'il incombe en principe au département d'assurer leur prise en charge, même s'il peut, le cas échéant, obtenir du département, en cas de carence avérée et prolongée de sa part, le remboursement des sommes dont la charge lui incombe.
5. En l'espèce, Mme D... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France de leur attribuer un hébergement d'urgence. La délégation interministérielle à l'hébergement et au logement relève appel de l'ordonnance du 12 décembre 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a fait droit à leur demande.
6. Il résulte de l'instruction qu'avec un parc d'hébergement d'urgence actuellement de 95 165 places, la région d'Ile-de-France dispose, selon un relevé du 20 octobre 2022, du plus fort taux d'équipement correspondant à un taux de 7,7 places pour 1 000 habitants contre 2,9 au plan national, dont 38 408 places pour le seul département de Paris et un taux d'équipement de 17,9 places pour 1 000 habitants. En dépit de l'augmentation de plus de 26 708 places entre 2017 et 2022 et des efforts de l'Etat ainsi accomplis pour accroître les capacités d'hébergement d'urgence à Paris et dans la région d'Ile-de-France, l'ensemble des besoins les plus urgents, en constante augmentation, ne peut être satisfait. Tel est notamment le cas pour les familles avec des enfants alors même que par une instruction du 10 novembre 2022, le ministre chargé de la ville a mis en place un plan d'urgence " enfants à la rue " pour la période hivernale. Si le plan " Grand froid " déclenché le 12 décembre 2022 a permis de disposer de 399 places supplémentaires d'hébergement à Paris à la date du 20 décembre, ces dernières demeurent insuffisantes. Le 115 a ainsi reçu 14 622 appels le 23 décembre mais seuls 704 ont obtenu une réponse conduisant à ce qu'une solution d'hébergement soit proposée à 613 personnes dont 482 appartenant à des familles avec enfants mineurs, lesquels sont au nombre de 215.
7. Il résulte également de l'instruction que Mme D..., ressortissante algérienne née en 1985, et son fils, né à Paris le 15 août 2022, se trouvaient, depuis le 28 novembre 2022, sans abri et obligés à dormir dans la rue, malgré ses appels au dispositif de veille sociale unique d'Ile-de-France. Compte tenu du très jeune âge de l'enfant, Mme D... doit être regardée comme se trouvant en situation de détresse sociale au sens des dispositions de l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles. Eu égard à la situation particulière de cette famille, qui la place sans doute possible parmi les familles les plus vulnérables, l'absence d'hébergement d'urgence constitue une carence caractérisée dans l'accomplissement de la mission confiée à l'Etat qui peut entraîner, notamment en période hivernale, des conséquences graves pour le nourrisson. Dans les circonstances de l'espèce, cette situation fait ainsi apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Si, en exécution de l'ordonnance attaquée, Mme D... a été hébergée au moins jusqu'au 1er janvier 2023, il n'apparaît pas, et n'est d'ailleurs pas même soutenu, que cet hébergement ou tout autre hébergement d'urgence de long séjour serait assuré conformément aux obligations prévues par les articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles rappelées au point 2. Il s'ensuit que la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de proposer un hébergement d'urgence aux intéressés. L'appel de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement doit dès lors être rejeté.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'appel de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement doit dès lors être rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à Mme D... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... D... ainsi qu'à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement.
Fait à Paris, le 5 janvier 2023
Signé : Fabien Raynaud
N° 469944
ECLI:FR:CEORD:2023:469944.20230105
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL, avocats
Lecture du jeudi 5 janvier 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mme B... D..., agissant en son nom propre et pour son fils mineur A... C..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, de les prendre en charge dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence sans délai à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2225537 du 12 décembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, de proposer à Mme D... et à son enfant un hébergement d'urgence pouvant les accueillir dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de cette ordonnance et, d'autre part, rejeté le surplus de ses conclusions.
Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 12 décembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... en première instance.
Elle soutient que :
- à titre principal, et conformément aux dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, la demande de la requérante relève de la compétence du département et non de celle de l'Etat dès lors qu'elle est isolée et accompagnée d'un enfant âgé d'un mois ;
- à titre subsidiaire, l'absence de prise en charge de l'intéressée et de son fils ne saurait caractériser une carence de l'Etat dans la mise en oeuvre du droit à l'hébergement d'urgence dès lors que, eu égard aux moyens dont il dispose, l'Etat a accompli des efforts significatifs pour accroître la capacité d'hébergement d'urgence dans le département de Paris et en Ile-de-France ;
- les éléments produits ne sont pas de nature à établir un degré de vulnérabilité tel que Mme D... et son enfant doivent être regardés comme prioritaires par rapport aux autres familles en attente d'un hébergement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 décembre 2022, Mme D... conclut, à titre principal, au non-lieu à statuer, la préfecture lui ayant attribué un hébergement d'urgence en exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris et, à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient, d'une part, que sa demande au titre de l'hébergement d'urgence relève de la compétence de l'Etat et, d'autre part, il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à l'hébergement d'urgence, à l'intérêt supérieur de l'enfant et au principe de dignité de la personne humaine.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, et d'autre part, Mme D... ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 3 janvier 2022, à 15 heures :
- les représentants de la délégation interministérielle à l'hébergement et au logement ;
- Me Pinatel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme D... ;
- le représentant de Mme D... ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) / 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ". L'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse. Ce dispositif de veille sociale est, en Ile-de-France, en vertu de l'article L. 345-2-1, mis en place à la demande et sous l'autorité du représentant de l'Etat dans la région sous la forme d'un dispositif unique. L'article L. 345-2-2 du même code dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. / Cet hébergement d'urgence doit lui permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine et garantissant la sécurité des biens et des personnes, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d'hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d'être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par son état, notamment un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, un hébergement de stabilisation, une pension de famille, un logement-foyer, un établissement pour personnes âgées dépendantes, un lit halte soins santé ou un service hospitalier. / (...) ". Aux termes de son article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation ".
3. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées au point 2, de mettre en oeuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.
4. Contrairement à ce que soutient la requête, l'Etat ne peut légalement refuser un hébergement d'urgence aux femmes enceintes et aux mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans sans domicile au seul motif qu'il incombe en principe au département d'assurer leur prise en charge, même s'il peut, le cas échéant, obtenir du département, en cas de carence avérée et prolongée de sa part, le remboursement des sommes dont la charge lui incombe.
5. En l'espèce, Mme D... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France de leur attribuer un hébergement d'urgence. La délégation interministérielle à l'hébergement et au logement relève appel de l'ordonnance du 12 décembre 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a fait droit à leur demande.
6. Il résulte de l'instruction qu'avec un parc d'hébergement d'urgence actuellement de 95 165 places, la région d'Ile-de-France dispose, selon un relevé du 20 octobre 2022, du plus fort taux d'équipement correspondant à un taux de 7,7 places pour 1 000 habitants contre 2,9 au plan national, dont 38 408 places pour le seul département de Paris et un taux d'équipement de 17,9 places pour 1 000 habitants. En dépit de l'augmentation de plus de 26 708 places entre 2017 et 2022 et des efforts de l'Etat ainsi accomplis pour accroître les capacités d'hébergement d'urgence à Paris et dans la région d'Ile-de-France, l'ensemble des besoins les plus urgents, en constante augmentation, ne peut être satisfait. Tel est notamment le cas pour les familles avec des enfants alors même que par une instruction du 10 novembre 2022, le ministre chargé de la ville a mis en place un plan d'urgence " enfants à la rue " pour la période hivernale. Si le plan " Grand froid " déclenché le 12 décembre 2022 a permis de disposer de 399 places supplémentaires d'hébergement à Paris à la date du 20 décembre, ces dernières demeurent insuffisantes. Le 115 a ainsi reçu 14 622 appels le 23 décembre mais seuls 704 ont obtenu une réponse conduisant à ce qu'une solution d'hébergement soit proposée à 613 personnes dont 482 appartenant à des familles avec enfants mineurs, lesquels sont au nombre de 215.
7. Il résulte également de l'instruction que Mme D..., ressortissante algérienne née en 1985, et son fils, né à Paris le 15 août 2022, se trouvaient, depuis le 28 novembre 2022, sans abri et obligés à dormir dans la rue, malgré ses appels au dispositif de veille sociale unique d'Ile-de-France. Compte tenu du très jeune âge de l'enfant, Mme D... doit être regardée comme se trouvant en situation de détresse sociale au sens des dispositions de l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles. Eu égard à la situation particulière de cette famille, qui la place sans doute possible parmi les familles les plus vulnérables, l'absence d'hébergement d'urgence constitue une carence caractérisée dans l'accomplissement de la mission confiée à l'Etat qui peut entraîner, notamment en période hivernale, des conséquences graves pour le nourrisson. Dans les circonstances de l'espèce, cette situation fait ainsi apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Si, en exécution de l'ordonnance attaquée, Mme D... a été hébergée au moins jusqu'au 1er janvier 2023, il n'apparaît pas, et n'est d'ailleurs pas même soutenu, que cet hébergement ou tout autre hébergement d'urgence de long séjour serait assuré conformément aux obligations prévues par les articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles rappelées au point 2. Il s'ensuit que la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de proposer un hébergement d'urgence aux intéressés. L'appel de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement doit dès lors être rejeté.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'appel de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement doit dès lors être rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à Mme D... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... D... ainsi qu'à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement.
Fait à Paris, le 5 janvier 2023
Signé : Fabien Raynaud