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Ariane Web: Conseil d'État 462840, lecture du 3 février 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:462840.20230203

Décision n° 462840
3 février 2023
Conseil d'État

N° 462840
ECLI:FR:CECHR:2023:462840.20230203
Publié au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Vincent Mazauric, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY ; SCP OHL, VEXLIARD ; SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE ; SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS, avocats


Lecture du vendredi 3 février 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

I - Sous le n° 462840, par une requête, un mémoire en réplique et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 1er avril, 20 octobre ainsi que les 14 et 30 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération Chimie Energie FCE-CFDT, la CFE-CGC Energies, la Fédération CGT des Mines et de l'Energie FNME-CGT, la Fédération Nationale de l'Energie et des Mines (FNEMFO), Mme C... J..., M. L... F..., Mme D... G..., M. H... A..., Mme I... E... et M. K... B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) et l'arrêté du 11 mars 2022 fixant le volume global maximal d'électricité devant être cédé par la société Electricité de France (EDF) au titre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ;

2°) d'enjoindre à l'Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour suspendre la livraison exceptionnelle de 20 térawattheures (TWh) et d'enjoindre aux bénéficiaires de ces aides de les rembourser à EDF ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II - Sous le n° 463188, par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 14 avril, 20 octobre ainsi que les 14 et 30 novembre 2022, le Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise (FCPE) Actions EDF, le Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise à compartiments (FCPE) EDF ORS, l'Association de défense des actionnaires salariés des Groupes EDF et Engie (ADAS), l'Association EDF Actionnariat Salarié (EAS) et l'Association Energie en Actions demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) et l'arrêté du 11 mars 2022 fixant le volume global maximal d'électricité devant être cédé par la société Electricité de France (EDF) au titre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ;

2°) d'enjoindre à l'Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour suspendre la livraison exceptionnelle de 20 térawattheures (TWh) et d'enjoindre aux bénéficiaires de ces aides de les rembourser à EDF ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


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III - Sous le n° 463405, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 avril et 20 octobre 2022, la société d'importation Leclerc (SIPLEC) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 5 du décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

IV - Sous le n° 463530, par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 27 avril, 20 octobre ainsi que les 14 et 30 novembre 2022, le syndicat CFE-CGC Energies Tricastin Provence, le syndicat CFE-CGC des fonctions centrales d'EDF, le syndicat Force Ouvrière d'EDF/CNPE de Gravelines, le syndicat Force Ouvrière des fonctions centrales d'EDF, le syndicat CGT du site EDF Flamanville et le syndicat des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise des services centraux fonctionnels EDF et des organismes sociaux demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) et l'arrêté du 11 mars 2022 fixant le volume global maximal d'électricité devant être cédé par la société Electricité de France (EDF) au titre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ;

2°) d'enjoindre à l'Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour suspendre la livraison exceptionnelle de 20 térawattheures (TWh) et d'enjoindre aux bénéficiaires de ces aides de les rembourser à EDF ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


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V - Sous le n° 465735, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 12 juillet 2022 et le 18 janvier 2023, le Conseil de surveillance du FCPE Actions EDF, l'ADAS, l'Association EAS et l'Association Energie en Actions demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 11 mars 2022 pris en application de l'article L. 337-16 du code de l'énergie et fixant le prix des volumes d'électricité additionnels cédés dans le cadre de la période de livraison exceptionnelle instaurée par le décret n° 2022-342 du 11 mars 2022, en tant qu'il ne fixe pas à un prix unique de 46,20 euros/MWh le prix de la totalité du volume d'électricité nucléaire historique cédé par EDF au titre de l'année 2022 ;

2°) d'annuler les décisions implicites rejetant leurs recours gracieux formés contre cet arrêté ;

3°) d'enjoindre à l'Etat de fixer au prix unique de 49,50 euros/MWh, à compter du 1er avril 2022, le prix de la totalité du volume de 120 TWh d'électricité nucléaire historique cédé par EDF, et de notifier préalablement à la Commission européenne la méthode de calcul permettant de déterminer ce tarif ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


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VI - Sous le n° 466558, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 août et 25 novembre 2022, la société EDF demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 11 mars 2022 ainsi que les deux arrêtés pris le même jour pour fixer le volume global maximal d'électricité devant être cédé au titre de l'ARENH dans le cadre de la période de livraison exceptionnelle et le prix des volumes d'électricité additionnels ainsi cédés ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 mars 2022 relatif aux modalités de cession des garanties de capacité additionnelles liées à la période de livraison d'ARENH complémentaire ;

3°) d'annuler l'arrêté du 25 mars 2022 portant modification de l'arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ;

4°) à titre subsidiaire, d'annuler partiellement l'arrêté du 11 mars 2022 fixant le prix des volumes d'électricité additionnels cédés dans le cadre de la période de livraison exceptionnelle, en tant qu'il prévoit que le prix de 46,20 ?/MWh ne concerne que les seuls volumes d'électricité additionnels cédés ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019;
- le règlement 2019/43 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 ;
- le code de l'énergie ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 ;
- la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 ;
- la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 ;
- l'ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la Fédération Chimie Energie FCE-CFDT et autres, du Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise Actions EDF et autres et le syndicat CFE-CGC Energies Tricastin Provence et autres, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société d'importation Leclerc, à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de l'association Comité de liaison des entreprises, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de l'Union fédérale des consommateurs-Que Choisir et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société EDF ;

Vu la note en délibéré enregistrée le 20 janvier 2023, présentée par la société EDF ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 25 janvier 2023, présentées par la Fédération Chimie Energie FCE-CFDT et autres, par le Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise Actions EDF et autres et par le syndicat CFE-CGC Energies Tricastin Provence et autres ;


Considérant ce qui suit :

1. Par un décret du 11 mars 2022, le Premier ministre a défini les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022 à titre exceptionnel dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). Par deux arrêtés du même jour, les ministres chargés de l'économie et de l'énergie ont fixé, d'une part, à 20 térawattheures (TWh) le volume attribué en application de ces dispositions, en complément du volume global maximal de 100 TWh défini par un arrêté du 28 avril 2011, et, d'autre part, à 46,20 euros par mégawattheure (MWh) le prix de ce volume d'électricité additionnel. Par deux arrêtés des 12 et 25 mars 2022, la ministre de la transition écologique a précisé les modalités de cession des garanties de capacité devant être transférées à chaque fournisseur à raison de ce volume additionnel d'électricité cédé à titre exceptionnel et défini un nouveau modèle d'accord-cadre pour l'ARENH.

2. La société Electricité de France (EDF) demande au Conseil d'Etat, sous le n° 466558, d'annuler pour excès de pouvoir l'ensemble de ces actes. L'annulation du décret et de l'arrêté du 11 mars 2022 portant à 120 TWh le volume maximal d'électricité cédé dans le cadre de l'ARENH au titre de l'année 2022 est également demandée par les requêtes enregistrées sous les n°s 462840, 463188 et 463530. Sous le n° 463405, la société d'importation Leclerc (SIPLEC) demande seulement l'annulation de l'article 5 du décret du 11 mars 2022. Enfin, l'annulation de l'arrêté du 11 mars 2022 fixant le tarif des volumes additionnels d'électricité alloués à titre exceptionnel aux fournisseurs alternatifs d'électricité pour l'année 2022 est également demandée par la requête enregistrée sous le n° 465735. Ces différentes requêtes présentant à juger des questions semblables, il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.

Sur les interventions :

3. L'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG), le Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité au marché libre de l'électricité (CLEEE) et l'Union fédérale des consommateurs - Que Choisir (UFC - Que Choisir) justifient d'un intérêt suffisant au maintien du décret et des arrêtés du 11 mars 2022. Leurs interventions en défense sont par suite recevables.

Le cadre juridique :

4. Aux termes de l'article L. 331-1 du code de l'énergie : " Tout client qui achète de l'électricité pour sa propre consommation ou qui achète de l'électricité pour la revendre a le droit de choisir son fournisseur d'électricité ". Aux termes de l'article L. 336-1 du même code : " Afin d'assurer la liberté de choix du fournisseur d'électricité tout en faisant bénéficier l'attractivité du territoire et l'ensemble des consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire français, un accès régulé et limité à l'électricité nucléaire historique, produite par les centrales nucléaires mentionnées à l'article L. 336-2, est ouvert, pour une période transitoire définie à l'article L. 336-8, à tous les opérateurs fournissant des consommateurs finals résidant sur le territoire métropolitain continental ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes. / Cet accès régulé est consenti à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Electricité de France de l'utilisation de ses centrales nucléaires mentionnées au même article L. 336-2 ". Aux termes de l'article L. 336-2 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Pendant la période transitoire, Electricité de France cède de l'électricité, pour un volume maximal déterminé en application des articles L. 336-3 et L. 336-4 et dans les conditions définies à l'article L. 336-5, aux fournisseurs d'électricité qui en font la demande, titulaires de l'autorisation prévue à l'article L. 333-1 et qui alimentent ou prévoient d'alimenter des consommateurs finals ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes, situés sur le territoire métropolitain continental. / Le volume global maximal d'électricité nucléaire historique pouvant être cédé est déterminé par arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie pris après avis de la Commission de régulation de l'énergie, en fonction notamment du développement de la concurrence sur les marchés de la production d'électricité et de la fourniture de celle-ci à des consommateurs finals et dans l'objectif de contribuer à la stabilité des prix pour le consommateur final. Ce volume global maximal, qui demeure strictement proportionné aux objectifs poursuivis, ne peut excéder 100 térawattheures par an jusqu'au 31 décembre 2019 et 150 térawattheures par an à compter du 1er janvier 2020. / Les conditions d'achat reflètent les conditions économiques de production d'électricité par les centrales nucléaires d'Electricité de France situées sur le territoire national et mises en service avant le 8 décembre 2010. / Les conditions dans lesquelles s'effectue cette vente sont définies par arrêté du ministre chargé de l'énergie pris sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie. Il en est de même des stipulations de l'accord-cadre mentionné à l'article L. 336-5 ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 336-3 du même code : " En cas de circonstances exceptionnelles affectant les centrales nucléaires mentionnées à l'article L. 336-2, les ministres chargés de l'énergie et de l'économie peuvent, par arrêté conjoint, suspendre le dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique et la cession par Electricité de France de tout ou partie des volumes d'électricité correspondant à ce dispositif ". Aux termes de l'article L. 336-5 du même code : " I. - Dans un délai au plus d'un mois à compter de la demande présentée par un fournisseur mentionné à l'article L. 336-2, un accord-cadre conclu avec Electricité de France garantit, dans les conditions définies par le présent chapitre, les modalités selon lesquelles ce fournisseur peut, à sa demande, exercer son droit d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique pendant la période transitoire par la voie de cessions d'une durée d'un an. La liste des accords-cadres est publiée sur le site de la Commission de régulation de l'énergie. / (...) ". Aux termes de l'article L. 336-10 de ce code : " Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission de régulation de l'énergie, précise les conditions d'application du présent chapitre, notamment : / 1° Les obligations qui s'imposent à Electricité de France et aux fournisseurs bénéficiant de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique en application des articles
L. 336-2 et L. 336-3 (...) ".

5. Aux termes de l'article L. 337-13 du code de l'énergie : " Le prix de l'électricité cédée en application du chapitre VI du présent titre par Electricité de France aux fournisseurs de consommateurs finals sur le territoire métropolitain continental ou de gestionnaires de réseaux pour leurs pertes est arrêté par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie, pris sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie. (...) ". Aux termes de l'article L. 337-14 du même code : " Afin d'assurer une juste rémunération à Electricité de France, le prix, réexaminé chaque année, est représentatif des conditions économiques de production d'électricité par les centrales nucléaires mentionnées à l'article L. 336-2 sur la durée du dispositif mentionnée à l'article L. 336-8. (...) ". Aux termes de l'article L. 337-16 de ce code : " Par dérogation aux articles qui précédent et jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions réglementaires mentionnées à l'article L. 337-15, le prix de l'électricité cédée en application du chapitre VI du présent titre est arrêté par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie après avis motivé de la Commission de régulation de l'énergie. Parmi les éléments pouvant être pris en compte pour réviser ce prix figurent notamment l'évolution de l'indice des prix à la consommation et celle du volume global maximal d'électricité nucléaire historique pouvant être cédé mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 336-2. "

Sur la légalité externe du décret attaqué :

6. Aux termes de l'article 41 de la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat : " Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée et dans l'objectif d'éviter une répercussion rétroactive des conséquences de son éventuelle annulation contentieuse sur les factures d'électricité de tous les Français en 2022, est validé le décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), en tant que sa régularité serait contestée pour le motif tiré du défaut d'accomplissement des consultations auxquelles le code de commerce, le code de l'énergie ou le code monétaire et financier confère, le cas échéant, un caractère obligatoire. "

7. Par ces dispositions, qui réservent expressément les décisions de justice passées en force de chose jugée, le législateur a entendu prévenir les conséquences financières importantes qu'une éventuelle annulation du décret du 11 mars 2022, motivée par une irrégularité procédurale, aurait eu pour un très grand nombre de consommateurs déjà exposés, dans un contexte de crise sur le marché de l'électricité, à une hausse exceptionnelle des prix de l'électricité. L'atteinte portée par ces dispositions aux droits des personnes susceptibles de contester ce décret est ainsi justifiée par un motif impérieux d'intérêt général et ne méconnaît pas, contrairement à ce qui est soutenu, les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. En vertu de ces dispositions, le législateur a validé le décret attaqué en tant que sa régularité serait contestée pour le motif tiré du défaut d'accomplissement des consultations auxquelles le code de commerce, le code de l'énergie ou le code monétaire et financier confère, le cas échéant, un caractère obligatoire. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière, ni le Conseil supérieur de l'énergie, ni la Commission de régulation de l'énergie, ni l'Autorité de la concurrence n'ayant été saisis pour avis des modifications apportées à son article 5, est inopérant et ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité, au regard du droit interne, du décret du 11 mars 2022 et de l'arrêté du même jour rehaussant le volume global maximal d'électricité à céder au titre de l'ARENH :

9. En premier lieu, il résulte des dispositions citées au point 4 que l'obligation imposée à EDF d'offrir à la vente un volume d'électricité d'origine nucléaire à un prix déterminé a pour objet, d'une part, d'assurer la liberté de choix du fournisseur, garantie par l'article
L. 331-1 du code de l'énergie, en faisant bénéficier l'ensemble des fournisseurs et leurs clients de la compétitivité du parc électronucléaire français et, d'autre part, de contribuer à la stabilité des prix. L'article L. 336-2 du code de l'énergie prévoit que le volume global maximal d'électricité pouvant être cédé dans le cadre de l'ARENH doit être strictement proportionné à ce double objectif. L'article 62 de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat a porté de 100 à 150 TWh le volume global maximal d'électricité à compter du 1er janvier 2020, ramené à 120 TWh par l'article 39 de la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

10. D'une part, en portant de 100 à 120 TWh le volume global maximal d'électricité que EDF est susceptible de céder aux fournisseurs alternatifs au titre de l'année 2022 dans le cadre de l'ARENH, l'arrêté contesté du 11 mars 2022 fixant ce volume n'excède pas le plafond fixé par l'article L. 336-2 du code de l'énergie. D'autre part, en subordonnant le bénéfice de volumes additionnels d'électricité à la condition que les fournisseurs alternatifs aient reçu, de la part de la Commission de régulation de l'énergie, une notification de volumes d'électricité au titre de la période de livraison ayant débuté le 1er janvier 2022, l'article 4 du décret attaqué ne soumet pas ces fournisseurs à une obligation nouvelle mais tire la conséquence du caractère additionnel de ces volumes d'électricité, lesquels viennent en complément des 100 TWh attribués aux fournisseurs, dont les demandes formulées en novembre 2021 à hauteur de 160 TWh n'avaient été satisfaites que dans la limite du plafond initial de 100 TWh défini par l'arrêté du 28 avril 2011. De même, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'article 5 du décret attaqué n'institue pas un mécanisme d'achat-revente étranger au régime de l'ARENH mais impose aux fournisseurs qui souhaitent bénéficier de ces volumes d'électricité additionnels de vendre à EDF les volumes équivalents acquis sur le marché, faute pour leurs demandes formulées en novembre 2021 d'avoir été satisfaites en totalité.

11. Il suit de là que les actes contestés n'instituent pas un dispositif distinct du régime de l'ARENH mais se bornent, dans ce cadre, à augmenter le volume global maximal d'électricité susceptible d'être cédé par EDF au titre de l'année 2022 et à fixer les modalités spécifiques d'attribution de ces volumes additionnels alloués à titre exceptionnel. Ces actes trouvent ainsi leur base légale, contrairement à ce qui est soutenu, dans les dispositions de l'article L. 336-10 du code de l'énergie citées au point 4 et n'empiètent pas sur le domaine de la loi défini à l'article 34 de la Constitution.

12. En deuxième lieu, il résulte des dispositions des articles L. 336-1 et
L. 336-2 du code de l'énergie citées au point 4 que le volume global maximal d'électricité susceptible d'être cédé dans le cadre de l'ARENH correspond à une fraction du volume total de l'électricité produite par les centrales nucléaires dont dispose EDF, déterminée en fonction, notamment, du développement de la concurrence sur les marchés de la production et de la fourniture d'électricité. À la date des actes attaqués, il ressort des pièces du dossier que l'opérateur historique estimait que sa production d'électricité d'origine nucléaire atteindrait 295 à 315 TWh au titre de l'année 2022. Dans ces conditions, les ministres chargés de l'économie et de l'énergie pouvaient légalement porter à 120 TWh le volume maximal d'électricité pouvant être cédé en 2022 aux fournisseurs alternatifs d'électricité dans le cadre de l'ARENH, sans tenir compte de ce que EDF s'était déjà engagée à céder l'intégralité de sa production d'électricité d'origine nucléaire au titre de cette année. Dès lors, le moyen tiré de ce que les textes attaqués auraient méconnu les dispositions de l'article L. 336-1 du code de l'énergie, faute pour EDF de disposer des volumes d'électricité d'origine nucléaire attribués au titre de la livraison complémentaire contestée, doit être écarté.

13. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le rehaussement pour l'année 2022 du volume global maximal de l'ARENH a été décidé afin de répondre à la hausse exceptionnelle des prix de gros de l'électricité, entraînant d'importants surcoûts sur le marché de détail de l'électricité. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique fait ainsi valoir, sans être contredit sur ce point, que cette hausse inédite des prix se serait traduite, sans la mesure litigieuse, par une augmentation moyenne des dépenses d'électricité de 18 % pour les consommateurs résidentiels au cours de l'année 2023 et, dès l'année 2022, de 23 % pour les petits professionnels, de 40 % pour les entreprises et les collectivités territoriales, et de 100 à 130 % pour les entreprises industrielles dites " électro-intensives ". Du fait du rehaussement du volume global maximal de l'ARENH, cette hausse serait respectivement de 11 %, de 14 à 16 %, d'environ 20 % et de 60 à 100 %. Il est constant, par ailleurs, que les demandes d'électricité formulées en novembre 2021 dans le cadre de l'ARENH pour un volume global de 160 TWh n'ont été satisfaites qu'à hauteur de 100 TWh et que certains fournisseurs alternatifs d'électricité présents sur le marché français se sont retirés ou ont été absorbés du fait de la crise énergétique. Il résulte des éléments qui précèdent que le rehaussement de 20 TWh du volume global maximal d'électricité pouvant être cédé dans le cadre de l'ARENH pour l'année 2022, prévu par l'arrêté contesté du 11 mars 2022, répond aux objectifs de libre choix du fournisseur et de stabilité des prix fixés par les articles L. 336-1 et L. 336-2 du code de l'énergie et, contrairement à ce que soutient EDF, n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre, dans un contexte exceptionnel, ces objectifs.

14. En quatrième lieu, si les requérants soutiennent que l'ARENH aurait dû, en application du dernier alinéa de l'article L. 336-3 du code de l'énergie cité au point 4, être suspendu compte tenu des contraintes d'ordre technique qui ont dégradé la production d'électricité nucléaire française au cours de l'année 2022 et non voir son volume global maximal porté de 100 à 120 TWh, il ressort des pièces des dossiers que la production d'électricité des centrales nucléaires était évaluée par EDF entre 295 et 315 TWh à la date des actes contestés. Par suite, le moyen tiré de ce que les ministres chargés de l'économie et de l'énergie auraient commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application des dispositions de l'article L. 336-3 ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

15. En cinquième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 13, le rehaussement de 20 TWh du volume global maximal d'électricité pouvant être cédé en 2022 par EDF aux fournisseurs d'électricité dans le cadre de l'ARENH s'inscrit dans un contexte de tensions inédites sur le marché de l'électricité et répond au double objectif d'intérêt général assigné à l'ARENH, consistant, d'une part, à garantir la liberté de choix du fournisseur d'électricité en développant et en maintenant une concurrence équilibrée sur le marché de la fourniture d'électricité et, d'autre part, à assurer la stabilité des prix à un niveau raisonnable pour le consommateur final en faisant bénéficier l'ensemble des fournisseurs et leurs clients de la compétitivité du parc électronucléaire français. Dans les circonstances particulières de l'espèce, le rehaussement transitoire contesté qui répond à une situation de crise exceptionnelle, ne porte pas à la liberté d'entreprendre d'EDF, qui dispose du monopole d'exploitation du parc électronucléaire français, une atteinte disproportionnée au regard des objectifs poursuivis par la mesure contestée.

16. En sixième lieu, s'il résulte des dispositions des articles L. 336-3 et
L. 336-5 du code de l'énergie, citées au point 4, que le volume global maximal d'électricité susceptible d'être cédé par EDF au titre de l'ARENH est en principe calculé pour une année, les dispositions de ces articles ne font obstacle ni à ce que ce volume soit rehaussé en cours d'année civile ni à ce que la période de livraison effective sur une période de douze mois soit infra-annuelle. Par suite, en prévoyant une période de livraison complémentaire d'un an courant à compter du mois d'avril 2022 avec une livraison effective comprise entre les mois d'avril et décembre 2022, l'article 2 du décret attaqué ne méconnaît pas, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions des articles L. 336-3 et L. 336-5 du code de l'énergie.

17. En septième lieu, d'une part, en subordonnant l'attribution de l'allocation complémentaire d'électricité d'origine nucléaire en cause à la condition que les fournisseurs aient bénéficié d'une allocation au titre de la période de livraison ayant débuté le 1er janvier 2022 et en prévoyant que les volumes cédés au titre de la période complémentaire de livraison débutant le 1er avril 2022 soient calculées en fonction notamment des volumes demandés en novembre 2021, les articles 4 et 6 du décret attaqué ne remettent pas en cause, à l'égard des fournisseurs alternatifs, l'opération de commercialisation passée et par suite, aucune situation juridiquement constituée.

18. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 16, les articles L. 336-3 et
L. 336-5 du code de l'énergie ne font pas obstacle à ce que le volume global maximal d'électricité susceptible d'être cédé par EDF au titre de l'ARENH soit rehaussé en cours d'année civile. Par suite, contrairement à ce que soutient EDF, en lui imposant l'obligation de livrer un volume additionnel au cours de l'année 2022, en sus de celui arrêté en novembre 2021, l'article 6 du décret attaqué n'a pas remis en cause, à son égard, une situation juridiquement constituée.

19. Il suit de là que le moyen tiré que le décret attaqué aurait une portée rétroactive doit être écarté.

20. En huitième lieu, aux termes du I de l'article L. 442-5 du code de commerce : " Le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d'annoncer la revente d'un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif est puni de 75 000 ? d'amende. ". Si, en vertu de l'article 5 du décret du 11 mars 2022, le bénéfice de volumes additionnels d'électricité cédés dans le cadre de l'ARENH en 2022 est subordonné à la vente par les bénéficiaires, au profit d'EDF, à un prix déterminé, de volumes équivalents d'électricité, aucune disposition des actes contestés n'impose à EDF d'acquérir de l'électricité d'origine non nucléaire et de la revendre à un prix inférieur à son prix d'achat. Par suite, le moyen tiré de ce que les actes attaqués méconnaîtraient les dispositions précitées du I de l'article L. 442-5 du code de commerce ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

21. En dernier lieu, dès lors que le bénéfice de volumes additionnels d'électricité en 2022 dans le cadre de l'ARENH est facultatif, le moyen tiré de ce que la condition fixée à l'article 5 du décret attaqué subordonnant, pour les fournisseurs qui en feraient la demande, le bénéfice de ces volumes additionnels à l'obligation de vendre à EDF les volumes équivalents à un prix déterminé porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle, ne peut qu'être écarté.

22. Par ailleurs, si l'article 5 du décret du 11 mars 2022 prive les fournisseurs souhaitant bénéficier du dispositif institué par les actes contestés, de la possibilité de revendre les volumes équivalents sur le marché à un prix supérieur à celui fixé à cet article, il résulte de ce qui a été exposé au point 13 que les actes attaqués, eu égard à leurs effets attendus sur la situation des fournisseurs alternatifs d'électricité ainsi que sur celle des consommateurs finals, répondent, dans un contexte exceptionnel, au double objectif de libre choix du fournisseur et de stabilité des prix garantis par les articles L. 336-1 et L. 336-2 du code de l'énergie. Par suite, le moyen tiré de ce que l'obligation de vente prévue par l'article 5 du décret attaqué méconnaîtrait les objectifs d'accessibilité au parc électronucléaire français, de maintien d'un prix attractif de l'électricité et d'accroissement de la concurrence résultant des articles L. 336-1 et L. 336-2 du code de l'énergie ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité, au regard du droit interne, de l'arrêté du 11 mars 2022 fixant le prix des volumes d'électricité additionnels cédés dans le cadre de la période de livraison exceptionnelle instaurée par le décret :

23. En premier lieu, les dispositions des articles L. 337-14 et L. 337-16 du code de l'énergie citées au point 5, qui prévoient expressément que le prix de l'électricité allouée au titre de l'ARENH peut être révisé au vu de l'évolution du volume global maximal d'énergie cédé, n'interdisent pas aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie de fixer un prix différent pour les volumes initiaux et pour les volumes additionnels d'électricité alloués au titre d'une période complémentaire de livraison, quand bien même ces livraisons seraient effectuées sur les mêmes mois de l'année. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué du 11 mars 2022 relatif au prix des volumes d'électricité additionnels cédés méconnaîtrait l'article L. 337-16 du code de l'énergie au motif que ces dispositions législatives institueraient le principe d'un prix unique de l'électricité cédé dans le cadre de l'ARENH ne peut qu'être écarté.

24. En second lieu, le moyen contestant le caractère insuffisant du prix de 46,20 euros par MWh fixé par l'arrêté du 11 mars 2022 contesté n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier son bien-fondé et ne peut, par suite, qu'être écarté.

Sur la légalité, au regard du droit de l'Union, du décret du 11 mars 2022 et des arrêtés du même jour :

25. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions (...) ". Aux termes de l'article 108 du traité : " 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats. (...) / 2. Si (...) la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l'article 107, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine. (...) / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. (...) ".

26. En premier lieu, si, à l'article 2 de la décision SA.21918 du 12 juin 2012, la Commission européenne a approuvé la mesure d'aide constituée par les tarifs réglementés de vente de l'électricité dits " jaunes " et " verts " et par les tarifs réglementés transitoires d'ajustement du marché à la condition, notamment, que la France mette en place un dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique jusqu'au 31 décembre 2025 dans la limite d'un plafond de 100 TWh, il résulte des dispositions de l'article L. 337-9 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 9 mai 2011 portant codification de la partie législative du code de l'énergie, que les tarifs ci-dessus mentionnés ont été supprimés depuis le 1er janvier 2016. Par suite, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir de ce que, notamment, la condition relative au plafond de 100 TWh prévue à l'article 2 de cette décision aurait été méconnue par les actes attaqués pour soutenir que, d'une part, le rehaussement à 120 TWh du volume global maximal d'électricité cédé au titre de l'ARENH en 2022 par l'effet du décret et de l'arrêté du 11 mars 2022 et, d'autre part, l'article L. 336-2 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, en ce qu'il porte à 150 TWh le plafond d'électricité susceptible d'être cédée au titre de l'ARENH, auraient dû faire l'objet d'une notification préalable à la Commission européenne en application du paragraphe 3 de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

27. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 9 et ainsi qu'il ressort d'ailleurs de la décision de la Commission européenne du 12 juin 2012 et de son avis du 27 août 2021 relatif au plan de mise en oeuvre présenté par la France établi conformément à l'article 20, paragraphe 5, du règlement (UE) 2019/43 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l'électricité, l'ARENH est apparu, après la libéralisation totale du marché français de l'électricité, intervenue le 1er janvier 2004 pour les clients professionnels et le 1er janvier 2007 pour l'ensemble des clients, compte tenu de la dimension et du caractère non-réplicable des avantages concurrentiels que conférait et confère à EDF l'exploitation de son parc de production électronucléaire, comme un moyen de contribuer au développement de la concurrence sur le marché français et européen de l'électricité. Par ailleurs, il résulte des dispositions citées aux points 4 et 5, que l'ARENH a été institué pour une période transitoire, qu'il bénéficie à tous les fournisseurs d'électricité qui en font la demande et qui alimentent ou qui prévoient d'alimenter des consommateurs finals ou des gestionnaires de réseaux sur le territoire français continental, que le volume global maximal d'électricité susceptible d'être cédé dans le cadre de l'ARENH doit être strictement proportionné aux objectifs poursuivis tenant au développement de la concurrence et à la stabilité des prix et que le prix d'achat doit être représentatif des conditions économiques de production par les centrales nucléaires de l'opérateur historique. Enfin, il ne ressort des pièces du dossier ni que le plafond du volume global maximal d'électricité susceptible d'être cédé dans le cadre de l'ARENH, fixé par l'article L. 336-2 du code de l'énergie, ni que le volume global maximal d'électricité fixé, dans le cadre de cet article, par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie, ni que le prix d'achat fixé par ces mêmes ministres ont excédé et excèdent ce qui était et reste nécessaire afin de réduire les écarts de coûts d'approvisionnement en électricité entre EDF et les autres fournisseurs d'électricité. Dès lors, en imposant à EDF de céder une part de l'électricité produite par le parc nucléaire français et en offrant ainsi aux fournisseurs alternatifs la possibilité de réduire leurs coûts d'approvisionnement en électricité, favorisant de ce fait le développement de la concurrence sur le marché de l'électricité, l'ARENH doit être regardé comme un mécanisme opérant un rééquilibrage des charges entre opérateurs sur le marché de l'électricité français aux fins de favoriser la concurrence, et ne saurait par suite caractériser l'existence d'une aide au sens du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Par suite, le moyen tiré de ce que les actes attaqués seraient dépourvus de base légale faute pour l'article
L. 336-2 du code de l'énergie d'avoir fait l'objet d'une notification à la Commission européenne au titre du régime des aides d'Etat, doit être écarté.

28. En troisième lieu, d'une part, il résulte de ce qui a été dit aux points 9 à 24 ci-dessus que les actes attaqués n'instituent pas un dispositif distinct du régime de l'ARENH, que les dispositions transitoires qu'ils prévoient sont nécessaires, dans un contexte exceptionnel, pour atteindre les objectifs d'intérêt général poursuivis, et qu'elles ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre d'EDF et des fournisseurs alternatifs. D'autre part, si l'article 11 du décret attaqué prévoit que les fournisseurs bénéficiant de volumes additionnels au titre de la période complémentaire de livraison transmettent à la Commission de régulation de l'énergie les données et informations nécessaires au suivi de la répercussion à leurs clients finals de ces cessions, ces dispositions n'imposent, par elles-mêmes, à ces fournisseurs, aucune obligation de répercussion, au bénéfice de leurs clients, du prix préférentiel de l'électricité ainsi acquis, la répercussion attendue sur les consommateurs finals ne reposant que sur le jeu de la libre concurrence entre fournisseurs. Au demeurant, eu égard aux autres dispositifs mis en place par les autorités françaises aux fins de limiter, dans un contexte de tensions exceptionnelles sur les marchés de l'énergie, les hausses massives des prix au détail supportés par les consommateurs finals d'énergie, notamment ceux bénéficiant des tarifs réglementés, la circonstance que les fournisseurs alternatifs répercuteraient en tout ou partie sur leurs clients le prix préférentiel de l'électricité acquise en 2022 à la suite du relèvement du plafond de l'ARENH ne saurait être regardée comme conférant à l'avantage ainsi consenti aux clients de ces fournisseurs un caractère sélectif au sens de la réglementation sur les aides d'Etat. Par suite, le moyen tiré de ce que la livraison complémentaire de 20 TWh décidée pour l'année 2022 serait constitutive d'une aide d'Etat ad hoc illégale faute d'avoir été notifiée, doit être écarté.

29. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1er de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/UE : " (...) La présente directive, en tirant parti des avantages d'un marché intégré, vise à assurer des prix et des coûts énergétiques abordables et transparents aux consommateurs, un niveau élevé de sécurité d'approvisionnement et une transition sans heurts vers un système énergétique durable à faible intensité de carbone. (...) ". Aux termes du paragraphe 4 de son article 3 : " Les États membres veillent à garantir des conditions de concurrence équitables dans le cadre desquelles les entreprises d'électricité sont soumises à des règles, des frais et un traitement transparents, proportionnés et non discriminatoires, en particulier en ce qui concerne la responsabilité en matière d'équilibrage, l'accès aux marchés de gros, l'accès aux données, les procédures de changement de fournisseur et les régimes de facturation et, le cas échéant, l'octroi d'autorisations. "

30. Ainsi qu'il a été dit, l'ARENH a pour objet d'assurer au consommateur final d'électricité la liberté de choix de son fournisseur en imposant à EDF de céder aux fournisseurs alternatifs d'électricité une fraction du volume de l'électricité produite par le parc nucléaire français, lequel lui offre un avantage concurrentiel, et de favoriser la stabilité des prix. En rehaussant, pour l'année 2022, eu égard aux tensions exceptionnelles sur le marché de l'électricité, à 120 TWh le volume global maximal d'électricité pouvant être cédé dans le cadre de l'ARENH, les actes attaqués répondent aux objectifs mentionnés à l'article 1er de la directive du 5 juin 2019 et, contrairement à ce qui est soutenu, ne méconnaissent pas ceux du paragraphe 4 de son article 3.

31. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 de la directive (UE) 2019/944 du 5 juin 2019 : " 1. Les fournisseurs sont libres de déterminer le prix auquel ils fournissent l'électricité aux clients. Les États membres prennent des mesures appropriées pour assurer une concurrence effective entre les fournisseurs. / (...) / 3. Par dérogation aux paragraphes 1 et 2, les Etats membres peuvent recourir à des interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité aux clients résidentiels vulnérables ou en situation de précarité énergétique. Ces interventions publiques sont soumises aux conditions énoncées aux paragraphes 4 et 5. / (...) / 6. Dans le but d'assurer une période transitoire permettant d'établir une concurrence effective entre les fournisseurs pour les contrats de fourniture d'électricité et de parvenir à une fixation pleinement effective des prix de détail de l'électricité fondée sur le marché conformément au paragraphe 1, les États membres peuvent mettre en oeuvre des interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité aux clients résidentiels et aux microentreprises qui ne bénéficient pas d'interventions publiques en vertu du paragraphe 3. / 7. Les interventions publiques effectuées en vertu du paragraphe 6 respectent les critères énoncés au paragraphe 4 et : (...) g) ne se traduisent pas par des subventions croisées directes entre les clients fournis aux prix du marché libre et ceux fournis aux prix de fourniture réglementés. (...) ".

32. Il résulte des dispositions des articles L. 336-1 et L. 336-2 du code de l'énergie citées au point 4 que l'ARENH et les actes attaqués n'ont pas pour objet de fixer les prix de détail de l'électricité fournie aux clients finals mais instituent un droit d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique produite par l'opérateur historique au profit des fournisseurs alternatifs d'électricité selon des conditions, notamment tarifaires, définies par la loi et les règlements. Par suite, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, à l'appui de leurs recours, des termes du g du 7 de l'article 5 de la directive (UE) 2019/944 du 5 juin 2019 qui concerne la fixation des prix de l'électricité fournie aux clients finals.

33. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d'attribution d'un volume d'électricité pouvant être alloué en 2022 à titre exceptionnel dans le cadre de l'ARENH, de l'arrêté du 11 mars 2022 rehaussant à titre exceptionnel le volume global maximal de l'électricité cédé dans le cadre de l'ARENH au titre de l'année 2022 et de l'arrêté du 11 mars 2022 fixant le prix des volumes d'électricité additionnels cédés dans le cadre de la période de livraison exceptionnelle instaurée par le décret.

Sur la légalité des arrêtés des 12 et 25 mars 2022 :

34. Il résulte de ce qui a été dit au point 33 qu'EDF n'est pas fondée à demander, par voie de conséquence de l'annulation du décret et des arrêtés du 11 mars 2022, l'annulation de l'arrêté du 12 mars 2022 relatif aux modalités de cession des garanties de capacité additionnelles liées à la période de livraison d'ARENH complémentaire débutant le 1er avril 2022, ni celle de l'arrêté du 25 mars 2022 portant modification de l'arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l'article 4-1 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

35. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les requêtes doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

36. L'ANODE et l'AFIEG en leur qualité d'intervenantes ne sont pas parties aux présentes instances au sens des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par suite, ces dispositions font obstacle à ce que leur soit allouée la somme qu'elles demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

37. Ces mêmes dispositions font, par ailleurs, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les interventions présentées par l'ANODE et l'AFIEG dans les instances nos 462840, 463188, 463405 et 463530, les interventions du CLEEE et de l'UFC - Que Choisir dans l'instance n° 462840 ainsi que l'intervention du CLEEE dans l'instance n° 463188 sont admises.
Article 2 : Les requêtes de la Fédération Chimie Energie FCE-CFDT et autres sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de l'ANODE et de l'AFIEG présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération Chimie Energie FCE-CFDT, première requérante dénommée pour la requête n° 462840, au Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise Actions EDF, premier requérant dénommé pour les requêtes n° 463188 et n° 465735, à la société d'importation Leclerc (SIPLEC), au syndicat CFE-CGC Energies Tricastin Provence, premier requérant dénommé pour la requête n° 463530, à la société EDF, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la ministre de la transition énergétique.
Copie en sera adressée à la Première ministre, à la Commission de régulation de l'énergie, à l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), à l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG), au Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité au marché libre de l'électricité (CLEEE) et à l'Union fédérale des consommateurs-Que Choisir (UFC-Que Choisir).
Délibéré à l'issue de la séance du 18 janvier 2023 où siégeaient :
M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 3 février 2023.


Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mazauric
La secrétaire :
Signé : Mme Laurence Chancerel


La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la ministre de la transition énergétique chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


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