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Ariane Web: Conseil d'État 451970, lecture du 8 mars 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:451970.20230308

Décision n° 451970
8 mars 2023
Conseil d'État

N° 451970
ECLI:FR:CECHR:2023:451970.20230308
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Julien Autret, rapporteur
M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public
SCP LE BRET-DESACHE, avocats


Lecture du mercredi 8 mars 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 25 janvier 2017 par laquelle le préfet ... l'a affectée au secrétariat général de la préfecture en qualité de cheffe de la mission de pilotage des politiques partenariales et de l'appui territorial, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux présenté le 20 mars 2017. Par un jugement n° 1700637 du 3 octobre 2019, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20LY00551 du 25 février 2021, la cour administrative d'appel de Lyon, à laquelle la requête d'appel formée par Mme B... contre ce jugement avait été transmise par ordonnance en date du 20 janvier 2020 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat prise en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, a rejeté cet appel.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 23 avril et 22 juillet 2021 et les 27 juin et 8 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Autret, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de Mme A... B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B..., attachée principale d'administration de l'Etat, exerçant ses fonctions à la préfecture ... à la date du litige, a été affectée d'office au secrétariat général de la préfecture en qualité de cheffe de la mission de pilotage des politiques partenariales et de l'appui territorial par une décision du préfet ... en date du 25 janvier 2017. Après avoir formé un recours gracieux à l'encontre de cette affectation qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet, elle a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler ces deux décisions. Par un jugement du 3 octobre 2019, le tribunal a rejeté sa demande. Par un arrêt du 25 février 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé contre ce jugement par Mme B..., qui se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou de leur contrat ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent de perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination ou une sanction, est irrecevable.

3. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".

4. Par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir souverainement relevé que le changement d'affectation litigieux n'avait entraîné aucune modification de la situation professionnelle de la requérante tant en ce qui concerne la nature de ses fonctions que ses conditions de travail, n'avait pas porté atteinte à sa situation personnelle et n'avait pas présenté, dans les conditions où il était intervenu, le caractère d'une mesure discriminatoire, a jugé que cette décision d'affectation constituait une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours pour excès de pouvoir. Il ressort cependant des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... faisait valoir que cette affectation d'office, alors qu'elle n'était pas candidate à ce poste, avait été retenue, parmi des agissements répétés et excédant les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique qui ont eu pour effet d'altérer sa santé, comme faisant partie des éléments caractérisant un harcèlement moral à son encontre par un jugement du tribunal administratif de Bastia devenu définitif du 25 juin 2020. En ne recherchant pas, au vu de cette argumentation, si la décision contestée portait atteinte au droit du fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral, que l'intéressée tenait de son statut, ce qui exclurait de la regarder comme une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que Mme B... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 25 février 2021 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.



Délibéré à l'issue de la séance du 10 février 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Julien Autret, maître des requêtes-rapporteur ;


Rendu le 8 mars 2023.


Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Julien Autret
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin


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