Conseil d'État
N° 468496
ECLI:FR:CECHR:2023:468496.20230407
Publié au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. David Moreau, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SCP DOUMIC-SEILLER, avocats
Lecture du vendredi 7 avril 2023
Vu la procédure suivante :
Par une demande, enregistrée au greffe du tribunal administratif de la Polynésie française le 6 octobre 2022, la société Pacific Mobile Télécom a demandé à ce tribunal :
1°) d'annuler la décision par laquelle le président de la Polynésie française a implicitement refusé d'abroger l'article LP. 28 de la " loi du pays " n° 2009-21 du 7 décembre 2009, en tant qu'il exclut du cadre réglementaire applicable aux délégations de service public celles de ces délégations qui sont confiées par les établissements publics à leurs filiales ;
2°) d'enjoindre au président de la Polynésie française de convoquer le conseil des ministres dans un délai de 15 jours à compter du jugement à intervenir afin que soit arrêté le projet d'acte visant à abroger ces dispositions ;
3°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 600 000 FCFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Doumic-Seiller, avocat de la Polynésie française ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 mars 2023, présentée par la Polynésie française ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 avril 2023, présentée par la société Pacific Mobile Télécom ;
Considérant ce qui suit :
1. Le deuxième alinéa de l'article LP. 28 de la " loi du pays " n° 2009-21 du 7 décembre 2009 relative au cadre réglementaire des délégations de service public de la Polynésie prévoit que les dispositions des articles LP. 1er à LP. 27 de la même " loi du pays ", qui fixent notamment les règles de publicité et de mise en concurrence des délégations de service public, ne s'appliquent pas lorsqu'un établissement public confie la gestion d'un service public dont il a la responsabilité à une société filiale au sens de l'article L. 233-1 du code de commerce, c'est-à-dire une société dont il possède plus de la moitié du capital. Les alinéas 3 à 5 du même article définissent les conditions d'application de cette dérogation. La société Pacific Mobile Télécom a demandé le 10 juin 2022 au président de la Polynésie française de faire procéder à l'abrogation de ces dispositions. Elle demande l'annulation de la décision implicite par laquelle le président de la Polynésie française a refusé de faire droit à sa demande.
2. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 89 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, le conseil des ministres " arrête les projets d'actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" ainsi que les autres projets de délibérations à soumettre à l'assemblée de la Polynésie française ou à sa commission permanente ". Aux termes de l'article 139 de la même loi organique : " L'assemblée de la Polynésie française adopte des actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" et des délibérations ".
3. Aux termes de l'article 176 de la même loi organique : " I. - A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" ou au lendemain du vote intervenu à l'issue de la nouvelle lecture prévue à l'article 143, le haut-commissaire, le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée de la Polynésie française ou six représentants à l'assemblée de la Polynésie française peuvent déférer cet acte au Conseil d'Etat. (...) II. - A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" ou au lendemain du vote intervenu à l'issue de la nouvelle lecture prévue à l'article 143, l'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" est publié au Journal officiel de la Polynésie française à titre d'information pour permettre aux personnes physiques ou morales, dans le délai d'un mois à compter de cette publication, de déférer cet acte au Conseil d'Etat (...) III. - Le Conseil d'Etat se prononce sur la conformité des actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. Il se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'il estime susceptibles de fonder l'annulation, en l'état du dossier. La procédure contentieuse applicable au contrôle juridictionnel spécifique de ces actes est celle applicable en matière de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat. / Les actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" ne peuvent plus être contestés par voie d'action devant aucune autre juridiction ".
4. Aux termes de l'article 179 de la même loi organique : " Lorsque, à l'occasion d'un litige devant une juridiction, une partie invoque par un moyen sérieux la contrariété d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" avec la Constitution, les lois organiques, les engagements internationaux, ou les principes généraux du droit, et que cette question commande l'issue du litige, la validité de la procédure ou constitue le fondement des poursuites, la juridiction transmet sans délai la question au Conseil d'Etat, par une décision qui n'est pas susceptible de recours. Le Conseil d'Etat statue dans les trois mois. Lorsqu'elle transmet la question au Conseil d'Etat, la juridiction surseoit à statuer. Elle peut toutefois en décider autrement dans les cas où la loi lui impartit, en raison de l'urgence, un délai pour statuer. Elle peut dans tous les cas prendre les mesures d'urgence ou conservatoires nécessaires. Le refus de transmettre la question au Conseil d'Etat n'est pas susceptible de recours indépendamment de la décision tranchant tout ou partie du litige ".
5. Les actes dénommés " lois du pays " adoptés par l'assemblée de la Polynésie française ont le caractère d'actes administratifs. Ainsi qu'il en va à l'égard de tout acte administratif à caractère réglementaire, l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation ou à la réformation d'une disposition illégale d'une telle " loi du pays ", est tenue d'y déférer, soit que cette " loi du pays " ait été illégale dès la date de son adoption, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. Le refus du président de la Polynésie française d'inscrire à l'ordre du jour du conseil des ministres un projet d'acte tendant à abroger ou réformer une disposition illégale d'une " loi du pays " peut faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir devant le juge administratif.
6. Il résulte des dispositions de la loi organique du 27 février 2004 que le Conseil d'Etat n'est compétent en premier et dernier ressort pour connaître de la légalité d'une " loi du pays " que dans l'hypothèse des recours en annulation définis par l'article 176 de cette loi organique. Il en résulte que le tribunal administratif de la Polynésie française est compétent pour connaître en premier ressort d'un recours tendant à l'annulation du refus d'abroger ou de réformer une " loi du pays ". Il lui appartient toutefois, saisi d'un tel recours, de transmettre au Conseil d'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article 179 de la loi organique du 27 février 2004, les questions de conformité de cette " loi du pays " avec la Constitution, les lois organiques, les engagements internationaux de la France ou les principes généraux du droit qui lui paraissent sérieuses.
7. Il résulte de ce qui précède que la demande de la société Pacific Mobile Télécom tendant à l'annulation du refus du président de la Polynésie française de soumettre à l'assemblée un projet d'acte procédant à l'abrogation des alinéas 2 à 5 de l'article LP. 28 de la " loi du pays " n° 2009-21 du 7 décembre 2009 doit être attribuée au tribunal administratif de la Polynésie française.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de la société Pacific Mobile Télécom est attribuée au tribunal administratif de la Polynésie française.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Pacific Mobile Télécom, à la Polynésie française et au président du tribunal administratif de la Polynésie française.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 mars 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 7 avril 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. David Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana
N° 468496
ECLI:FR:CECHR:2023:468496.20230407
Publié au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. David Moreau, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SCP DOUMIC-SEILLER, avocats
Lecture du vendredi 7 avril 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une demande, enregistrée au greffe du tribunal administratif de la Polynésie française le 6 octobre 2022, la société Pacific Mobile Télécom a demandé à ce tribunal :
1°) d'annuler la décision par laquelle le président de la Polynésie française a implicitement refusé d'abroger l'article LP. 28 de la " loi du pays " n° 2009-21 du 7 décembre 2009, en tant qu'il exclut du cadre réglementaire applicable aux délégations de service public celles de ces délégations qui sont confiées par les établissements publics à leurs filiales ;
2°) d'enjoindre au président de la Polynésie française de convoquer le conseil des ministres dans un délai de 15 jours à compter du jugement à intervenir afin que soit arrêté le projet d'acte visant à abroger ces dispositions ;
3°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 600 000 FCFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Doumic-Seiller, avocat de la Polynésie française ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 mars 2023, présentée par la Polynésie française ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 avril 2023, présentée par la société Pacific Mobile Télécom ;
Considérant ce qui suit :
1. Le deuxième alinéa de l'article LP. 28 de la " loi du pays " n° 2009-21 du 7 décembre 2009 relative au cadre réglementaire des délégations de service public de la Polynésie prévoit que les dispositions des articles LP. 1er à LP. 27 de la même " loi du pays ", qui fixent notamment les règles de publicité et de mise en concurrence des délégations de service public, ne s'appliquent pas lorsqu'un établissement public confie la gestion d'un service public dont il a la responsabilité à une société filiale au sens de l'article L. 233-1 du code de commerce, c'est-à-dire une société dont il possède plus de la moitié du capital. Les alinéas 3 à 5 du même article définissent les conditions d'application de cette dérogation. La société Pacific Mobile Télécom a demandé le 10 juin 2022 au président de la Polynésie française de faire procéder à l'abrogation de ces dispositions. Elle demande l'annulation de la décision implicite par laquelle le président de la Polynésie française a refusé de faire droit à sa demande.
2. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 89 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, le conseil des ministres " arrête les projets d'actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" ainsi que les autres projets de délibérations à soumettre à l'assemblée de la Polynésie française ou à sa commission permanente ". Aux termes de l'article 139 de la même loi organique : " L'assemblée de la Polynésie française adopte des actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" et des délibérations ".
3. Aux termes de l'article 176 de la même loi organique : " I. - A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" ou au lendemain du vote intervenu à l'issue de la nouvelle lecture prévue à l'article 143, le haut-commissaire, le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée de la Polynésie française ou six représentants à l'assemblée de la Polynésie française peuvent déférer cet acte au Conseil d'Etat. (...) II. - A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" ou au lendemain du vote intervenu à l'issue de la nouvelle lecture prévue à l'article 143, l'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" est publié au Journal officiel de la Polynésie française à titre d'information pour permettre aux personnes physiques ou morales, dans le délai d'un mois à compter de cette publication, de déférer cet acte au Conseil d'Etat (...) III. - Le Conseil d'Etat se prononce sur la conformité des actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. Il se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'il estime susceptibles de fonder l'annulation, en l'état du dossier. La procédure contentieuse applicable au contrôle juridictionnel spécifique de ces actes est celle applicable en matière de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat. / Les actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" ne peuvent plus être contestés par voie d'action devant aucune autre juridiction ".
4. Aux termes de l'article 179 de la même loi organique : " Lorsque, à l'occasion d'un litige devant une juridiction, une partie invoque par un moyen sérieux la contrariété d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" avec la Constitution, les lois organiques, les engagements internationaux, ou les principes généraux du droit, et que cette question commande l'issue du litige, la validité de la procédure ou constitue le fondement des poursuites, la juridiction transmet sans délai la question au Conseil d'Etat, par une décision qui n'est pas susceptible de recours. Le Conseil d'Etat statue dans les trois mois. Lorsqu'elle transmet la question au Conseil d'Etat, la juridiction surseoit à statuer. Elle peut toutefois en décider autrement dans les cas où la loi lui impartit, en raison de l'urgence, un délai pour statuer. Elle peut dans tous les cas prendre les mesures d'urgence ou conservatoires nécessaires. Le refus de transmettre la question au Conseil d'Etat n'est pas susceptible de recours indépendamment de la décision tranchant tout ou partie du litige ".
5. Les actes dénommés " lois du pays " adoptés par l'assemblée de la Polynésie française ont le caractère d'actes administratifs. Ainsi qu'il en va à l'égard de tout acte administratif à caractère réglementaire, l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation ou à la réformation d'une disposition illégale d'une telle " loi du pays ", est tenue d'y déférer, soit que cette " loi du pays " ait été illégale dès la date de son adoption, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. Le refus du président de la Polynésie française d'inscrire à l'ordre du jour du conseil des ministres un projet d'acte tendant à abroger ou réformer une disposition illégale d'une " loi du pays " peut faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir devant le juge administratif.
6. Il résulte des dispositions de la loi organique du 27 février 2004 que le Conseil d'Etat n'est compétent en premier et dernier ressort pour connaître de la légalité d'une " loi du pays " que dans l'hypothèse des recours en annulation définis par l'article 176 de cette loi organique. Il en résulte que le tribunal administratif de la Polynésie française est compétent pour connaître en premier ressort d'un recours tendant à l'annulation du refus d'abroger ou de réformer une " loi du pays ". Il lui appartient toutefois, saisi d'un tel recours, de transmettre au Conseil d'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article 179 de la loi organique du 27 février 2004, les questions de conformité de cette " loi du pays " avec la Constitution, les lois organiques, les engagements internationaux de la France ou les principes généraux du droit qui lui paraissent sérieuses.
7. Il résulte de ce qui précède que la demande de la société Pacific Mobile Télécom tendant à l'annulation du refus du président de la Polynésie française de soumettre à l'assemblée un projet d'acte procédant à l'abrogation des alinéas 2 à 5 de l'article LP. 28 de la " loi du pays " n° 2009-21 du 7 décembre 2009 doit être attribuée au tribunal administratif de la Polynésie française.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de la société Pacific Mobile Télécom est attribuée au tribunal administratif de la Polynésie française.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Pacific Mobile Télécom, à la Polynésie française et au président du tribunal administratif de la Polynésie française.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 mars 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 7 avril 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. David Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana