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Ariane Web: Conseil d'État 445611, lecture du 12 avril 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:445611.20230412

Décision n° 445611
12 avril 2023
Conseil d'État

N° 445611

Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
M. Géraud Sajust de Bergues, rapporteur
M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du mercredi 12 avril 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 22 octobre 2020 et le 22 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association AFAÏA demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 4 février 2020 par laquelle l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) a rejeté sa demande de modification du Guide de lecture des règlements (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 et (CE) n° 889/2008 de la Commission du 5 septembre 2008 en tant qu'il définit la notion d'élevage industriel au sens de l'annexe I du règlement (CE) n° 889/2008 ;

2°) d'enjoindre à l'INAO de modifier en conséquence le Guide de lecture dans un délai d'un mois à compter de la notification de sa décision et l'assortir de mesures de publicité de nature à mettre en évidence que l'interprétation nouvelle relative à la définition d'effluents d'élevage industriel n'est plus applicable ni en vigueur ;

3°) de mettre à la charge de l'INAO la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CEE) n° 2092/91 du Conseil du 24 juin 1991 ;
- le règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 ;
- le règlement d'exécution (CE) n° 889/2008 de la Commission du 5 septembre 2008 ;
- le règlement (UE) 2017/625 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 ;
- le règlement (UE) 2018/848 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 ;
- le règlement d'exécution (UE) 2021/1165 de la Commission du 15 juillet 2021 ;
- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'association AFAÏA et au cabinet François Pinet, avocat de l'Institut national de l'origine et de la qualité ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) a modifié en janvier 2020 son Guide de lecture des règlements européens (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques et (CE) n° 889/2008 de la Commission du 5 septembre 2008 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 834/2007 pour, notamment, interpréter l'interdiction, posée à l'annexe I du second de ces règlements, de l'utilisation sur des terres biologiques des engrais et amendements du sol d'origine animale en " provenance d'élevages industriels " comme excluant les effluents " d'élevages en système caillebotis ou grilles intégral et dépassant les seuils définis en annexe I de la directive n° 2011/92/UE " ainsi que ceux " d'élevages en cages et dépassant " les mêmes seuils. L'association AFAÏA, syndicat professionnel ayant pour objet la défense des intérêts collectifs des producteurs d'engrais organiques, demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 4 février 2020 par laquelle l'INAO a rejeté sa demande de modification du Guide de lecture en tant qu'il définit la notion d'élevage industriel au sens de l'annexe I du règlement (CE) n° 889/2008 et qu'il soit enjoint à l'INAO de modifier en conséquence le Guide de lecture dans un délai d'un mois à compter de la notification de sa décision et d'assortir cette modification de mesures de publicité de nature à mettre en évidence que l'interprétation nouvelle relative à la définition d'effluents d'élevage industriel n'est plus en vigueur.

2. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à la demande mentionnée au point précédent réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de prendre les mesures jugées nécessaires. La légalité de ce refus doit, dès lors, être appréciée par ce juge au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

3. D'une part, il en résulte que les règlements européens à prendre en considération sont ceux applicables à la date de la présente décision, à savoir le règlement (UE) 2018/848 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques, et abrogeant le règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil, et le règlement d'exécution (UE) 2021/165 de la Commission du 15 juillet 2021 autorisant l'utilisation de certains produits et substances dans la production biologique et établissant la liste de ces produits et substances. D'autre part, si l'INAO a mis en ligne, sur son site internet, un nouveau guide de lecture de la réglementation biologique, applicable à compter du 1er janvier 2022, ce dernier reprend à l'identique, en son point 192, l'interprétation de la notion d' " élevage industriel " contestée par l'association AFAÏA, qui doit être regardée comme contestant les énonciations de ce point 192 du nouveau guide.

4. Le règlement (UE) 2018/848 du 30 mai 2018, définit, à son article 3, la " production biologique " comme désignant " l'utilisation (...) de méthodes de production conformes au présent règlement à toutes les étapes de la production, de la préparation et de la distribution ". Il mentionne parmi les objectifs de la production biologique cités à l'article 4 : " (...) b) préserver la fertilité à long terme des sols ; / (...) d) apporter une contribution notable à un environnement non toxique ; / e) contribuer à des normes élevées en matière de bien-être animal (...) ". Aux termes de l'article 5 du même règlement : " La production biologique est un système de gestion durable qui repose sur les principes généraux suivants : (...)/ g) restreindre l'utilisation d'intrants extérieurs ; lorsque des intrants extérieurs sont nécessaires, ou en l'absence des pratiques et méthodes de gestion appropriées visées au point f), leur utilisation est limitée aux : / i) intrants provenant de la production biologique ; (...) / ii) substances naturelles ou substances dérivées de substances naturelles ; (...) ". Aux termes de l'article 6 de ce règlement : " Dans le cadre des activités agricoles et de l'aquaculture, la production biologique repose, en particulier, sur les principes spécifiques suivants : / a) préserver et développer la vie et la fertilité naturelle des sols (...) ; / b) réduire au minimum l'utilisation de ressources non renouvelables et d'intrants extérieurs ; / c) recycler les déchets et les sous-produits d'origine végétale ou animale comme intrants pour la production végétale ou animale ; (...) ". L'article 9 du même règlement dispose que : " (...) / 3. Aux fins et utilisations visées aux articles 24 et 25 et à l'annexe II, seuls les produits et substances qui ont été autorisés en vertu de ces dispositions peuvent être utilisés en production biologique, à condition que leur utilisation dans la production non biologique ait également été autorisée conformément aux dispositions applicables du droit de l'Union et, le cas échéant, conformément aux dispositions nationales fondées sur le droit de l'Union. (...) ". Aux termes de l'article 12 de ce règlement, définissant les " règles applicables à la production végétale " : " 1. Les opérateurs produisant des végétaux ou des produits végétaux se conforment en particulier aux règles détaillées qui figurent à l'annexe II, partie I. (...) ". Aux termes de l'article 14 de ce règlement, définissant les " règles applicables à la production animale " : " 1. Les opérateurs du secteur de la production animale se conforment, en particulier, aux règles de production détaillées qui figurent à l'annexe II, partie II (...) ". L'article 24 du même règlement, relatif à l'" autorisation des produits et substances utilisés en agriculture biologique " dispose que : " 1. La Commission peut autoriser l'utilisation de certains produits et de certaines substances en production biologique et inscrit ces produits et substances autorisés sur des listes limitatives, aux fins suivantes : (...) / b) en tant qu'engrais, amendements du sol et éléments nutritifs ; (...) ". L'annexe II à ce règlement dispose dans sa " Partie I : règles applicables à la production de végétaux " que : " 1.9.2. La fertilité et l'activité biologique du sol sont préservées et augmentées de la manière suivante : (...) / c) dans tous les cas, par l'épandage d'effluents d'élevage ou de matières organiques, de préférence compostés, provenant de la production biologique. / 1.9.3. Lorsque les mesures prévues aux points 1.9.1 et 1.9.2 ne permettent pas de couvrir les besoins nutritionnels des végétaux, seuls les engrais et amendements du sol dont l'utilisation est autorisée en production biologique conformément à l'article 24 sont utilisés, et uniquement dans la mesure nécessaire. (...) ". Cette même annexe dispose, dans sa " Partie II : règles applicables à la production animale ", d'une part, au titre des " Exigences générales ", que : " (...) 1.1. Hormis pour l'apiculture, la production animale hors sol est interdite lorsque l'agriculteur envisageant de produire des animaux d'élevage biologiques ne gère pas de terres agricoles et n'a pas conclu d'accord de coopération écrit avec un agriculteur quant à l'utilisation d'unités de production biologique ou d'unités de production en conversion pour ces animaux ", que " 1.4.2.1. (...) les animaux biologiques paissent sur des terres biologiques (...) ", que " 1.6.3. La densité de peuplement des bâtiments garantit le confort et le bien-être des animaux, ainsi que la prise en compte de leurs besoins spécifiques et dépend, notamment, de l'espèce, de la race et de l'âge des animaux. (...) / 1.6.8. Des cages, boxes et cases à plancher en caillebotis ne sont utilisés pour l'élevage d'aucune espèce animale. / " et énonce d'autre part, au titre des règles spécifiques aux différentes espèces animales, des exigences relatives aux sols des bâtiments d'élevage excluant qu'ils soient en totalité constitués de caillebotis ou de grilles.

5. Pour l'application des dispositions figurant au point précédent, il convient de se reporter au règlement d'exécution (UE) 2021/1165 de la Commission du 15 juillet 2021. L'article 2 de ce règlement d'exécution dispose que : " Aux fins de l'article 24, paragraphe 1, point b), du règlement (UE) 2018/848, seuls les produits et substances énumérés à l'annexe II du présent règlement peuvent être utilisés dans la production biologique en tant qu'engrais, amendements du sol et éléments nutritifs pour la nutrition des végétaux (...), à condition qu'ils soient conformes aux dispositions pertinentes du droit de l'Union (...) ". L'annexe II dispose que " Les engrais, amendements du sol et éléments nutritifs énumérés dans la présente annexe peuvent être utilisés en production biologique pour autant qu'ils soient conformes : / - aux législations applicables de l'Union et nationales sur les fertilisants, en particulier, le cas échéant, le règlement (CE) n° 2003/2003 et le règlement (UE) 2019/1009 ; et / - à la législation de l'Union sur les sous-produits, en particulier le règlement (CE) n° 1069/2009 et le règlement (CE) n° 142/2011, et notamment ses annexes V et XI ". Parmi les produits énumérés figurent notamment les " Fumiers ", le " Fumier séché et fiente de volaille déshydratée ", le " Compost d'excréments d'animaux solides, y compris les fientes de volaille et les fumiers compostés " et les " Excréments d'animaux liquides ", avec la précision " Provenance d'élevages industriels interdite ".

6. La notion d'" élevages industriels ", ainsi employée dans la version française du règlement d'exécution (UE) 2021/1165 n'est définie ni par ce dernier, ni par le règlement (UE) 2018/848. Si la même notion se retrouve dans la plupart des versions linguistiques de ce règlement d'exécution, et notamment dans la version anglaise, en revanche les versions danoise, néerlandaise, portugaise, notamment, retiennent la notion d'" élevage hors sol ". Cette dernière notion n'est pas davantage définie dans ces deux règlements, le point 1.1. de la partie II de l'annexe II au règlement (UE) 2018/848 mentionnant simplement, comme il a été dit au point 4, que la " production animale hors sol " est interdite lorsque l'agriculteur envisageant de produire des animaux d'élevage biologique ne gère pas de terres agricoles et n'a pas conclu d'accord de coopération écrit avec un agriculteur quant à l'utilisation d'unités de production biologique pour ces animaux. Il ressort en outre de la note du groupe d'experts réuni par la Commission européenne en mai 2021 afin de cerner la portée de la notion d'" élevage industriel " que, à défaut de pouvoir en donner une définition précise, la mise en oeuvre de cette notion devrait se faire sur la base d'un faisceau d'indices incluant notamment l'élevage en cage, ou ne permettant pas aux animaux de se mouvoir à 360 degrés, l'élevage hors sol, la nature de l'hébergement (sol plein, éclairage...), le dépassement de certains limites de densité et les conditions d'alimentation (antibiotiques, organismes génétiquement modifiés).

7. La divergence entre les versions linguistiques du règlement d'exécution (UE) 2021/1165, mentionnée au point précédent, existait déjà entre les versions linguistiques du règlement d'exécution (CE) n° 889/2008, qu'il a remplacé. Ainsi, en application de l'article 12 du règlement (CE) n° 834/2007, qui prévoyait l'épandage, en agriculture biologique, d'effluents provenant de la production biologique mais admettait l'usage en outre d'engrais et amendements ayant fait l'objet d'une autorisation de la Commission, le règlement d'exécution (CE) n° 889/2008 autorisait l'emploi des mêmes produits à l'exception, également, de ceux en provenance, dans les versions française et anglaise, d' " élevages industriels ", et, dans d'autres versions, d' " élevage hors sol ", sans définir davantage ces notions, ce règlement d'exécution disposant toutefois à son article 16 que " La production animale hors sol, dans laquelle l'éleveur ne gère pas les terres agricoles et/ou n'a pas établi d'accord de coopération écrit avec un autre opérateur conformément à l'article 3, paragraphe 3, est interdite ". En outre, ces autorisations étaient mentionnées comme relevant des " autorisations au titre du règlement (CEE) n° 2092/91 maintenues en vertu de l'article 16, paragraphe 3, point c) du règlement (CE) n° 834/2007 ", lequel disposait que " Les produits et substances utilisés avant l'adoption du présent règlement aux fins correspondant à celles énoncées au paragraphe 1 peuvent continuer à être utilisés après l'adoption. La Commission peut en tout état de cause retirer ces produits ou substances conformément à l'article 37, paragraphe 2 ".

8. Auparavant, le règlement (CEE) n° 2092/91 du Conseil du 24 juin 1991, abrogé par le règlement (CE) n° 834/2007 du 28 juin 2007, n'assortissait l'emploi des produits en cause, à l'origine, d'aucune restriction, mais prévoyait, dans la version française en vigueur à compter de 2006 de son annexe II, s'agissant du " Fumier " et du " fumier séché et fiente de volaille déshydratée " : " Uniquement provenance d'élevage extensif au sens de l'article 6 paragraphe 5 du règlement (CEE) n° 2328/91 ", ce dernier visant " les élevages dont la densité de bovins à viande ne dépasse pas trois unités de gros bétail par hectare de superficie fourragère " et, s'agissant des " Compost d'excréments d'animaux solides, y compris les fientes de volaille, et fumiers compostés " et des " Excréments d'animaux liquides " : " Provenance d'élevage hors sol interdite ", sans davantage définir la notion d'élevage hors sol. La version anglaise de ces dispositions employait la notion d'élevage industriel. Le guide d'application de ces dispositions élaboré par la Commission européenne, qui employait également les termes d' " élevage industriel ", soulignait qu'il appartenait aux Etats membres d'en définir la portée, en suggérant d'y inclure les élevages combinant, d'une part, une installation empêchant les animaux de se mouvoir à 360 degrés ou les maintenant de manière prédominante dans l'obscurité ou sans couchage et, d'autre part, l'absence de terres destinées à la production agricole végétale permettant l'épandage des effluents.

9. A l'appui de sa demande d'annulation du refus de modifier les énonciations litigieuses du Guide de lecture de l'INAO, l'association AFAÏA soutient notamment, que les énonciations de ce guide méconnaissent la portée des règlements en cause, dès lors que la notion d'élevage industriel retenue par ces règlements doit s'entendre comme visant l'élevage hors sol, tandis que l'interprétation retenue par le guide exclut la totalité des élevages en système de caillebotis ou grilles intégral et en cages, au-delà d'un certain nombre d'animaux, alors même que ces élevages ne sont pas nécessairement des élevages hors sol.

10. L'INAO, en défense, fonde l'interprétation donnée dans son Guide de lecture sur les exigences de l'agriculture biologique, décrites dans le préambule du règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007, aux termes duquel : " La production biologique est un système global de gestion agricole et de production alimentaire qui allie les meilleures pratiques environnementales, un haut degré de biodiversité, la préservation des ressources naturelles, l'application de normes élevées en matière de bien-être animal et une méthode de production respectant la préférence de certains consommateurs à l'égard de produits obtenus grâce à des substances et à des procédés naturels ". L'INAO indique, par ailleurs, avoir tiré les conséquences du changement de terminologie opéré dans la version française des règlements (CE) n° 834/2007 et (CE) n° 889/2008, qui ont substitué la notion d'" élevage industriel " à la notion d'" élevage hors sol " qui figurait dans le règlement modifié (CEE) n° 2092/91 du Conseil du 24 juin 1991. L'INAO fait valoir qu'en interprétant la notion d'élevage industriel comme se référant aux conditions de logement des animaux, tant en termes de liberté de se mouvoir et d'accès à des espaces extérieurs qu'en termes de densité de peuplement, et en suivant l'acception courante du terme " industriel " comme renvoyant à la mécanisation des procédés et au caractère massif de la production, les autorités françaises ont entendu exclure les exploitations dont la taille et les conditions d'élevage ne sont pas compatibles avec les objectifs du règlement précité, au nombre desquels figurent le bien-être animal et la confiance des consommateurs dans la chaîne de production de l'agriculture biologique, et n'ont dès lors pas méconnu le contexte et les objectifs poursuivis par le règlement (CE) n° 889/2008. L'INAO précise qu'une enquête menée en avril 2020 par la Fédération nationale d'agriculture biologique auprès de 19 Etats membres indique que la notion d'élevage industriel est interprétée par la majorité d'entre eux comme se référant également à des exploitations qui recourent aux systèmes de cages, caillebotis et grilles et dépassant certains seuils s'agissant du nombre d'animaux par élevage. Il ressort toutefois de cette enquête que les seuils retenus par ces Etats membres sont, pour un certain nombre d'entre eux, plus restrictifs que ceux retenus par l'INAO, qui a repris les seuils mentionnés par la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, laquelle impose de soumettre à évaluation les " installations destinées à l'élevage intensif de volailles ou de porcs disposant de plus : / a) de 85 000 emplacements pour poulets, 60 000 emplacements pour poules ; / b) de 3 000 emplacements pour porcs de production (de plus de 30 kilogrammes) ; ou / c) de 900 emplacements pour truies ", et que certains Etats membres retiennent également des critères relatifs à l'alimentation des animaux, excluant les aliments contenant des organismes génétiquement modifiés.

11. En premier lieu, la notion d'" élevage industriel " ne fait l'objet d'aucune définition dans le règlement (UE) 2018/848 et le règlement d'exécution (UE) 2021/1165, pas plus au demeurant que dans les règlements antérieurs qui faisaient usage de cette notion. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que cette notion fait l'objet d'une interprétation différente selon les Etats membres. En effet, certains Etats membres continuent d'assimiler cette notion à la notion d'élevage hors sol, tandis que d'autres Etats membres distinguent les deux notions et définissent la notion d'" élevage industriel " par référence à des exigences techniques et à des seuils de nombre d'animaux variables, voire également, pour certains d'entre eux, à des exigences en termes d'alimentation.

12. En second lieu, il résulte des dispositions citées aux points 4 et 5, d'une part, que pour la production végétale biologique, les effluents d'élevage employés à des fins de fertilisation du sol doivent en principe provenir eux-mêmes de la production biologique, mais que lorsque cela ne permet pas de couvrir les besoins nutritionnels des végétaux, et seulement dans la mesure nécessaire, il est permis de recourir aux engrais et amendements du sol autorisés en agriculture biologique, tels que définis à l'annexe II du règlement d'exécution (UE) 2021/1165. S'il résulte également de ces dispositions, d'autre part, qu'en matière de production biologique animale, la production hors sol est interdite, les cages, boxes et cases à plancher en caillebotis ne sont utilisés pour l'élevage d'aucune espèce animale, et les bâtiments hébergeant les animaux doivent, pour les bovins, ovins et porcins, disposer d'une aire de couchage ou de repos en dur non pourvue de caillebotis et, pour les volailles, comporter au moins un tiers de surface en dur, non constituée de caillebotis ou de grilles, et pour les poules pondeuses, une partie suffisante de surface destinée à la récolte des déjections, ces éléments ne suffisent pas à eux seuls, compte tenu des incertitudes relevées au point 11, à déterminer si la notion d'" élevage industriel " employée à l'annexe II du règlement d'exécution (UE) 2021/1165 doit, au regard du contexte de cette disposition et de l'objectif poursuivi par cette réglementation, être assimilée à la notion d'" élevage hors sol " et si, à défaut, elle inclut nécessairement, au-delà d'un certain nombre d'animaux, l'usage de systèmes intégralement composés de caillebotis, grilles ou cages.

13. La réponse au moyen de l'association AFAÏA tiré de ce que l'interprétation résultant des énonciations contestées méconnaît le sens et la portée des dispositions du règlement (UE) 2021/1165 prohibant l'emploi en agriculture biologique d'engrais et amendements en provenance d'élevages industriels dépend ainsi des réponses aux questions suivantes : d'une part, la question de savoir si la notion d'" élevage industriel " doit être interprétée comme équivalente à celle d'élevage hors sol ; d'autre part, s'il est répondu à la question précédente que la notion d'" élevage industriel " est distincte de celle d'élevage hors sol, la question de savoir quels sont les critères à prendre en compte pour déterminer si un élevage doit être qualifié d'industriel au sens de l'annexe II de ce règlement.

14. Les questions mentionnées au point 13 sont déterminantes pour la solution du présent litige et présentent une difficulté sérieuse d'interprétation, en l'absence de jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne éclairant l'objet et la portée des dispositions en cause. Il y a lieu, par suite, d'en saisir cette Cour en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête de l'association AFAÏA.



D E C I D E :
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Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête présentée par l'association AFAÏA jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :
1°) L'annexe II du règlement (UE) 2021/1165 de la Commission du 15 juillet 2021 pris pour l'application du règlement (UE) 2018/848 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 doit-elle être interprétée en ce sens que la notion d'élevage industriel qui y figure est équivalente à celle d'élevage hors sol '
2°) Si la notion d'élevage industriel est distincte de de la notion d'élevage hors sol, quels sont les critères à prendre en compte pour déterminer si un élevage doit être qualifié d'industriel au sens de l'annexe II du règlement (UE) 2021/1165 '
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association AFAÏA, à l'Institut national de l'origine et de la qualité, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au greffier de la Cour de justice de l'Union européenne.
Copie en sera adressée à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 mars 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat-rapporteur.



Rendu le 12 avril 2023.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Géraud Sajust de Bergues
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin



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