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Ariane Web: Conseil d'État 433889, lecture du 21 avril 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:433889.20230421

Décision n° 433889
21 avril 2023
Conseil d'État

N° 433889
ECLI:FR:CECHR:2023:433889.20230421
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Rozen Noguellou, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public


Lecture du vendredi 21 avril 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 5 mars 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête du Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises, de la société Florame, de la société Hyteck Aroma-Zone, de la société Laboratoires Gilbert, de la société Laboratoire Léa Nature, de la société Laboratoires Oméga Pharma France, de la société Pierre Fabre médicaments, de la société Pranarom France et de la société Puressentiel France tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une part du décret n° 2019-642 du 26 juin 2019 relatif aux pratiques commerciales prohibées pour certaines catégories de produits biocides et, d'autre part, du décret n° 2019-643 du 26 juin 2019 relatif à la publicité commerciale pour certaines catégories de produits biocides, a sursis à statuer sur cette requête jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante :

Le règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des produits biocides s'oppose-t-il à ce qu'un Etat membre adopte, dans l'intérêt de la santé publique et de l'environnement, des règles restrictives en matière de pratiques commerciales et de publicité telles que celles que prévoient les articles L. 522-18 et L. 522-5-3 du code de l'environnement ' Le cas échéant, sous quelles conditions un Etat membre peut-il adopter de telles mesures '

Par un arrêt n° C-147/21 du 19 janvier 2023, la Cour de justice s'est prononcée sur cette question.




....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux du 5 mars 2021 ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement UE n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union n° C-147/21 du 19 janvier 2023 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées présentent à juger les mêmes questions, il y a donc lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Par une décision avant dire droit du 5 mars 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, après avoir écarté les autres moyens des requêtes, a sursis à statuer sur les requêtes du Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises et autres tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 26 juin 2019 relatif aux pratiques commerciales prohibées pour certaines catégories de produits biocides, codifié à l'article R. 522-16-1 du code de l'environnement, et du décret du 26 juin 2019 relatif à la publicité commerciale pour certaines catégories de produits biocides, codifié à l'article R. 522-16-2 du même code, jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions dont il l'a saisie à titre préjudiciel.

3. Par son arrêt du 19 janvier 2023, se prononçant sur les questions dont le Conseil d'Etat l'avait ainsi saisie, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le règlement du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des produits biocides s'oppose à une réglementation nationale qui exige l'apposition d'une mention supplémentaire à celle prévue à l'article 72 de ce règlement sur la publicité à destination des professionnels en faveur des produits biocides. Elle a également dit pour droit qu'en revanche, le même règlement ne s'oppose pas à une réglementation nationale interdisant la publicité à destination du grand public en faveur des produits biocides, ni à une réglementation nationale interdisant certaines pratiques commerciales. La Cour a également rappelé que dans ces deux dernières hypothèses, les dispositions en cause ne doivent pas méconnaître les articles 34 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne. Elle a précisé que cela impliquait qu'elles ne soient pas de nature à affecter davantage l'accès au marché des produits biocides concernés originaires d'autres Etats membres que celui de tels produits provenant de France ou, si c'était le cas, qu'elles soient justifiées par des objectifs de protection de la santé et de la vie des personnes ainsi que de l'environnement et qu'elles soient propres à garantir la réalisation de ces objectifs sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre.

4. En premier lieu, aux termes de l'article 72 du règlement du 22 mai 2012 : " 1. Toute publicité pour des produits biocides, outre le respect des dispositions du règlement (CE) no 1272/2008, comporte les phrases " Utilisez les produits biocides avec précaution. Avant toute utilisation, lisez l'étiquette et les informations concernant le produit. ". Ces phrases ressortent clairement dans la publicité et sont facilement lisibles. / 2. Les annonceurs peuvent remplacer le mot " biocides " dans les phrases obligatoires par une référence claire au type de produit visé par la publicité. / 3. Les publicités pour des produits biocides ne font pas référence au produit d'une manière susceptible de tromper l'utilisateur quant aux risques qu'il peut présenter pour la santé humaine, pour la santé animale ou pour l'environnement ou quant à son efficacité. En tout état de cause, la publicité pour un produit biocide ne comporte pas les mentions " produit biocide à faible risque ", " non toxique", "ne nuit pas à la santé", "naturel", "respectueux de l'environnement", "respectueux des animaux" ou toute autre indication similaire ". Si le II de l'article R. 522-16-2 du code de l'environnement prévoit que toute publicité à destination des professionnels est rédigée dans le respect des dispositions de l'article 72 du règlement (UE) n° 528/2012, il prévoit qu'apparaissent également, de manière claire et lisible, les éléments suivants : " 1° Deux phrases ainsi rédigées : " Avant toute utilisation, assurez-vous que celle-ci est indispensable, notamment dans les lieux fréquentés par le grand public. Privilégiez chaque fois que possible les méthodes alternatives et les produits présentant le risque le plus faible pour la santé humaine et animale et pour l'environnement " ; 2° La mention du type de produits biocides associé au produit, tel que défini par l'annexe V du règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 ". Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que le II de l'article R. 522-16-2 du code de l'environnement, qui impose des mentions supplémentaires à celle prévue par l'article 72 du règlement du 22 mai 2012 pour la publicité à destination des professionnels méconnaît, par voie de conséquence, ce règlement et doit par suite être annulé.

5. En deuxième lieu, en ce qui concerne l'interdiction des remises, des rabais, des ristournes, de la différenciation des conditions générales et particulières de vente au sens de l'article L. 441-1 du code de commerce ou de la remise d'unités gratuites et de toutes pratiques équivalentes pour les produits biocides identifiés à l'article R. 522-16-1 du code de l'environnement et de l'interdiction de la publicité à l'égard du grand public pour certaines catégories de produits biocides identifiés au I de l'article R. 522-16-2 du même code, il ressort des pièces du dossier que ces interdictions sont applicables à tous les produits, quel que soit leur pays de provenance. Par ailleurs, si ces dispositions peuvent conduire à restreindre le volume total des ventes des produits biocides, voire à limiter l'entrée sur le marché de nouveaux produits, elles ne peuvent être considérées, pour cette seule raison, comme affectant davantage les produits provenant d'autres États membres que les produits nationaux, alors qu'aucun élément du dossier ne permet de considérer que de telles pratiques étaient indispensables pour accéder au marché français. Il résulte de ce qui précède que ces dispositions ne peuvent être regardées comme étant de nature à affecter davantage l'accès au marché des produits biocides concernés originaires d'autres Etats membres que celui de tels produits provenant de France et que, par voie de conséquence, elles ne sont pas contraires aux articles 34 à 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le II de l'article R. 522-16-2 du code de l'environnement doit être annulé. Le surplus des conclusions d'annulation du Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises et autres doit, en revanche, être rejeté.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser au Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises et autres, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le II de l'article R. 522-16-2 du code de l'environnement est annulé.
Article 2 : L'Etat versera au Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises et autres une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions du Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises et autres est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises, premier dénommé pour l'ensemble des requérants, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 mars 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat, Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 21 avril 2023.



La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Rozen Noguellou
La secrétaire :
Signé : Mme Laïla Kouas


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