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Ariane Web: Conseil d'État 452310, lecture du 21 avril 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:452310.20230421

Décision n° 452310
21 avril 2023
Conseil d'État

N° 452310
ECLI:FR:CECHR:2023:452310.20230421
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Airelle Niepce, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du vendredi 21 avril 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 248-767 du 9 mars 2021, la Cour de discipline budgétaire et financière a condamné M. B... A..., en sa qualité de président de la société CDC Entreprises, à une amende de 100 000 euros, M. C... D..., en sa qualité de directeur général de la même société, à une amende de 70 000 euros et M. E... F..., en sa qualité de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, à une amende de 5 000 euros, pour une faute de gestion constitutive de l'infraction prévue à l'article L. 313-4 du code des juridictions financières, à raison de décisions de distribution de dividendes intervenues les 11 juin 2010 et 31 mars 2011.


1° Sous le n° 452310, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 mai et 3 août 2021 et 20 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il l'a condamné à une amende de 70 000 euros ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 452412, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 10 mai et 9 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il l'a condamné à une amende de 5 000 euros ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



....................................................................................

3° Sous le n° 452420, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 mai et 29 juillet 2021 et 12 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il l'a condamné à une amende de 100 000 euros ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de commerce ;
- le code des juridictions financières ;
- la loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012 ;
- l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. D..., à la SCP Célice, Téxidor, Périer, avocat de M. F... et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Par deux réquisitoires des 29 janvier 2015 et 19 juin 2018, la Cour de discipline budgétaire et financière a été saisie de faits relatifs à la gestion administrative et financière de la société par actions simplifiées CDC Entreprises, visant plus particulièrement les conditions de mise en oeuvre, de fonctionnement et de dénouement d'un plan d'attributions gratuites d'actions (PAGA) au bénéfice de certains de ses salariés en application des articles L. 225-197-1 et suivants du code de commerce. Par un arrêt du 9 mars 2021, la Cour a condamné M. B... A..., en sa qualité de président de CDC Entreprises, à une amende de 100 000 euros, M. C... D..., en sa qualité de directeur général de CDC Entreprises, à une amende de 70 000 euros et M. E... F..., en sa qualité de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, actionnaire principal de la société CDC Entreprises, à une amende de 5 000 euros, pour une faute de gestion, constitutive de l'infraction prévue à l'article L. 313-4 du code des juridictions financières, à raison de deux décisions de distribution de dividendes estimés excessifs intervenues les 11 juin 2010 et 31 mars 2011.

2. Par trois pourvois distincts, MM. D..., F... et A... demandent l'annulation de cet arrêt en tant qu'il les concerne. Ces pourvois étant dirigés contre la même décision, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

3. Aux termes de l'article L. 225-197-1 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en l'espèce, relatif à l'actionnariat des salariés dans les sociétés anonymes, également applicable aux sociétés par actions simplifiées en vertu de l'article L. 227-1 du même code : " I. - L'assemblée générale extraordinaire, sur le rapport du conseil d'administration ou du directoire, selon le cas, et sur le rapport spécial des commissaires aux comptes, peut autoriser le conseil d'administration ou le directoire à procéder, au profit des membres du personnel salarié de la société ou de certaines catégories d'entre eux, à une attribution gratuite d'actions existantes ou à émettre. / L'assemblée générale extraordinaire fixe le pourcentage maximal du capital social pouvant être attribué dans les conditions définies au premier alinéa. Le nombre total des actions attribuées gratuitement ne peut excéder 10 % du capital social à la date de la décision de leur attribution par le conseil d'administration ou le directoire. / (...) / L'attribution des actions à leurs bénéficiaires est définitive au terme d'une période d'acquisition dont la durée minimale, qui ne peut être inférieure à deux ans, est déterminée par l'assemblée générale extraordinaire. (...) / L'assemblée générale extraordinaire fixe également la durée minimale de l'obligation de conservation des actions par les bénéficiaires. Cette durée court à compter de l'attribution définitive des actions, mais ne peut être inférieure à deux ans. Toutefois, les actions sont librement cessibles en cas d'invalidité des bénéficiaires correspondant à leur classement dans les catégories précitées du code de la sécurité sociale. / Le conseil d'administration ou, le cas échéant, le directoire détermine l'identité des bénéficiaires des attributions d'actions mentionnées au premier alinéa. Il fixe les conditions et, le cas échéant, les critères d'attribution des actions. / II.- Le président du conseil d'administration, le directeur général, les directeurs généraux délégués, les membres du directoire ou le gérant d'une société par actions peuvent se voir attribuer des actions de la société dans les mêmes conditions que les membres du personnel salarié. / (...) ".

4. Par ailleurs, aux termes du c) du I de l'article L. 312-1 du code des juridictions financières, dans sa rédaction applicable à la date à laquelle la Cour a statué : " I - Est justiciable de la Cour : / (...) c) Tout représentant, administrateur ou agent des autres organismes qui sont soumis soit au contrôle de la Cour des comptes, soit au contrôle d'une chambre régionale des comptes ou d'une chambre territoriale des comptes. / (...) " Aux termes de l'article L. 313-4 du même code, également dans sa rédaction applicable à la date à laquelle la Cour a statué : " Toute personne visée à l'article L. 312-1 qui, en dehors des cas prévus aux articles précédents, aura enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'Etat ou des collectivités, établissements et organismes mentionnés à ce même article ou à la gestion des biens leur appartenant ou qui, chargée de la tutelle desdites collectivités, desdits établissements ou organismes, aura donné son approbation aux décisions incriminées sera passible de l'amende prévue à l'article L. 313-1 ". Au nombre des règles dont la méconnaissance peut être sanctionnée au titre de l'article L. 313-4 figure notamment le principe selon lequel il revient aux représentants d'une société de veiller à la sauvegarde des intérêts matériels de l'organisme dont ils assurent la gestion.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour de discipline budgétaire et financière qu'après avoir engagé une réflexion sur la mise en place d'un mécanisme d'intéressement destiné à motiver et fidéliser les salariés de CDC Entreprises, la Caisse des dépôts et consignations, en sa qualité d'associé unique de CDC Entreprises, a décidé, le 1er octobre 2007, de mettre en oeuvre un plan d'attributions gratuites d'actions au bénéfice des salariés, les actions ainsi attribuées ne pouvant représenter plus de 10 % du capital de la société. Il était également décidé que ces actions attribuées gratuitement présenteraient le caractère d'actions de préférence au sens de l'article L. 228-11 du code de commerce, ouvrant droit au profit de l'ensemble de leurs détenteurs à un dividende prioritaire représentant 20 % du bénéfice distribuable, mais seraient dépourvues de droit de vote. Par la même décision, les statuts de CDC Entreprises ont été amendés afin de tenir compte de cette évolution de l'actionnariat et d'instaurer un conseil d'administration. Ultérieurement, un règlement général relatif aux attributions gratuites d'actions a été adopté et des conventions d'actionnaires conclues avec les salariés bénéficiaires des attributions gratuites d'actions, conformément aux termes de cette décision. Dans ce cadre, par quatre décisions intervenues les 21 décembre 2007, 19 décembre 2008, 21 décembre 2009 et 26 novembre 2010, M. A..., en sa qualité de président de CDC Entreprises et conformément à la délégation reçue en vertu de la décision du 1er octobre 2007 précédemment mentionnée, a décidé l'attribution gratuite d'un total de 29 308 actions de préférence d'un montant nominal de 10 euros, réparties entre 70 salariés, lui-même étant bénéficiaire de l'attribution de 2 290 actions et M. D..., directeur général de la société, recevant 1 623 actions. Par une décision collective écrite des associés de CDC Entreprises du 11 juin 2010, il a été décidé de procéder au versement de 3 268 412 euros de dividendes prioritaires aux salariés détenteurs d'actions de préférence, une somme de 10 573 320 euros étant versée à la Caisse des dépôts et consignations. Par une nouvelle décision collective écrite des associés de CDC Entreprises du 31 mars 2011, il a été décidé de procéder au versement de 1 954 201 euros de dividendes prioritaires aux salariés détenteurs d'actions de préférence, tandis qu'une somme de 7 814 560 euros était versée à la Caisse des dépôts et consignations. D'autres décisions de distribution de dividendes sont par la suite intervenues en 2012, 2013 et 2014. Le plan d'attributions gratuites d'actions a finalement été dénoué dans le contexte de l'intervention, puis de la mise en oeuvre de la loi du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d'investissement.

6. Il ressort des énonciations non contestées en cassation de l'arrêt attaqué que, saisie par deux réquisitoires des 29 janvier 2015 et 19 juin 2018 de l'ensemble des faits relatifs à la mise en oeuvre, au fonctionnement et au dénouement du plan d'attributions gratuites d'actions mis en place au bénéfice des salariés de CDC Entreprises, la Cour de discipline budgétaire et financière a d'abord retenu que si ces différents faits présentaient un lien entre eux, ils ne pouvaient pour autant être regardés comme formant un tout indissociable. Par suite, elle a jugé qu'en application des dispositions de l'article L. 314-2 du code des juridictions financières relatives à la prescription, seuls les faits intervenus postérieurement au 29 janvier 2010 pouvaient être valablement poursuivis et sanctionnés. Par ailleurs, prenant en compte le fait que M. A... avait cessé ses fonctions de président de CDC Entreprises le 31 mars 2011 et M. F... ses fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations le 7 mars 2012, la Cour a également retenu que les décisions de distribution de dividendes intervenues à partir de 2012 ainsi que les conditions de dénouement du plan d'attributions gratuites d'actions ne pouvaient leur être imputées. Enfin, ne s'estimant valablement saisie que de la décision d'attributions d'actions intervenue le 26 novembre 2010 et des deux décisions de distribution de dividendes intervenues les 11 juin 2010 et 31 mars 2011, la Cour a jugé que la première de ces trois décisions était régulière et ne pouvait conduire à caractériser une faute de gestion, constitutive de l'infraction prévue à l'article L. 313-4 du code des juridictions financières.

7. Pour juger en revanche que les décisions de distribution de dividendes intervenues les 11 juin 2010 et 31 mars 2011 constituaient une telle faute de gestion de la part de MM. D..., A... et F..., la Cour de discipline budgétaire et financière s'est fondée sur le fait que ces deux décisions, impliquant, d'une part, de ne pas procéder à des reports à nouveau, à la différence des années précédentes, et consistant, d'autre part, à verser 20% du bénéfice distribuable aux salariés détenteurs des actions de préférence attribuées gratuitement, avaient conduit à attribuer des dividendes excessifs à ces salariés, pour des montants sans rapport avec l'objectif de fidélisation de ces salariés poursuivi par le plan d'attributions gratuites d'actions, et étaient en conséquence intervenues au détriment des intérêts matériels et patrimoniaux de la Caisse des dépôts et consignations, actionnaire public principal de CDC Entreprises.

8. Toutefois, en retenant, après avoir jugé, par une partie de son arrêt qui est devenue définitive en l'absence de pourvoi du procureur général près la Cour des comptes sur ce point, que tous les actes et décisions afférents à l'adoption et à la mise en oeuvre initiale du plan d'attributions gratuites d'actions, y compris les décisions d'attributions gratuites d'actions aux salariés intervenues en 2007, 2008 et 2009, étaient couverts par la prescription et que la décision d'attributions d'actions intervenue le 26 novembre 2010 était régulière, que les décisions litigieuses intervenues les 11 juin 2010 et 31 mars 2011 conduisant en pratique à ne pas procéder à des reports à nouveau, ou très marginalement en 2011, avaient eu pour conséquence de léser la Caisse des dépôts et consignation du fait d'une remontée de dividendes moindre que celle à laquelle elle pouvait prétendre, alors que des décisions de report à nouveau total ou partiel auraient privé la Caisse des dépôts et consignations de toute remontée de dividendes ou en auraient réduit le montant par rapport aux sommes qui lui ont effectivement été distribuées sur la période de référence des années 2010 et 2011, la Cour a entaché son arrêt de contradictions de motifs et d'erreur de droit. Par ailleurs, en jugeant qu'en attribuant 20 % du bénéfice distribuable des exercices en cause aux salariés détenteurs des actions de préférence, les décisions litigieuses avaient conduit à leur attribuer un montant excessif de dividendes constitutif d'une faute de gestion, alors que, sauf à méconnaître tant les statuts modifiés de la société CDC Entreprises que le règlement général relatif aux attributions gratuites d'actions et les conventions d'actionnaires conclues avec les salariés bénéficiaires de cette attribution gratuite, toute décision de distribution de dividendes devait conduire au versement prioritaire d'un dividende correspondant à 20 % du bénéfice distribuable aux salariés titulaires de ces actions, en raison de leur caractère d'actions de préférence, la Cour a entaché son arrêt d'une seconde erreur de droit.

9. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois ainsi que sur le moyen tiré de l'application des dispositions de l'ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, il résulte de tout ce qui précède que MM. D..., F... et A... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur leur responsabilité du fait des décisions de distribution de dividendes intervenues les 11 juin 2010 et 31 mars 2011.

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à MM. D..., F... et A..., chacun, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 9 mars 2021 de la Cour de discipline budgétaire et financière est annulé en tant qu'il statue sur la responsabilité de MM. D..., F... et A... du fait des décisions de distribution de dividendes en date des 11 juin 2010 et 31 mars 2011.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure devant la Cour des comptes (chambre du contentieux).
Article 3 : L'Etat versera à MM. D..., F... et A..., chacun, une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C... D..., à M. E... F..., à M. B... A... et au procureur général près la Cour des comptes.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 mars 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Laurent Cabrera et Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Airelle Niepce, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 21 avril 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Airelle Niepce
La secrétaire :
Signé : Mme Laïla Kouas