Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 464349, lecture du 21 avril 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:464349.20230421

Décision n° 464349
21 avril 2023
Conseil d'État

N° 464349
ECLI:FR:CECHR:2023:464349.20230421
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Hadrien Tissandier, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public


Lecture du vendredi 21 avril 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et quatre mémoires en réplique, enregistrés les 24 mai et 22 août 2022 et les 16 février et 20, 24 et 30 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Orange demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2022-0573-RDPI du 17 mars 2022 de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat (ARCEP) la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 ;
- le code des postes et des communications électroniques ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;
- l'arrêté du 26 juillet 2018 portant acceptation de la proposition d'engagements de la société Orange au titre de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques ;
- le code de justice administrative ;





Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

Vu la note en délibéré enregistrée le 3 mars 2023 présentée par la société Orange ;



Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 26 juillet 2018, la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie et des finances a accepté, sur le fondement de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques, la proposition d'engagements de la société Orange relatifs au déploiement de réseaux de fibre jusqu'à l'habitant en zone moins dense. Par deux décisions n° 2019-0871-RDPI et n° 2019-1514-RDPI des 20 juin et 17 octobre 2019, la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction (RDPI) de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) a ouvert une instruction relative au manquement éventuel de la société Orange aux engagements acceptés par la ministre, ainsi qu'une enquête administrative à l'encontre de la même société. Le 19 novembre 2021, le secrétaire d'Etat en charge du numérique et des communications électroniques a demandé à l'ARCEP l'ouverture de la procédure prévue à l'article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques concernant le respect par Orange de ses engagements. Par une décision n° 2022-0573-RDPI en date du 17 mars 2022, la formation RDPI de l'ARCEP a mis en demeure la société Orange de se conformer à ses engagements au plus tard le 30 septembre 2022. La société Orange demande l'annulation de cette dernière décision.

Sur l'intervention :

2. L'association Avicca justifie, eu égard à la nature et l'objet des questions soulevées par le litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance, au soutien des conclusions présentées en défense par l'ARCEP et par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, qui tendent au rejet de la requête. Son intervention est, par suite, recevable.

Sur le cadre du litige :

3. Dans le cadre des objectifs de régulation assignés à l'ARCEP par le législateur et énumérés à l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, l'article L. 36-7 du même code dispose que : " L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse : (...) / 3° Contrôle le respect des obligations résultant : / a) Des dispositions législatives et réglementaires et des textes et décisions pris en application de ces dispositions au respect desquelles l'autorité a pour mission de veiller (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 33-13 du même code : " Le ministre chargé des communications électroniques peut accepter, après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, les engagements, souscrits auprès de lui par les opérateurs, de nature à contribuer à l'aménagement et à la couverture des zones peu denses du territoire par les réseaux de communications électroniques et à favoriser l'accès des opérateurs à ces réseaux. / L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en contrôle le respect et sanctionne les manquements constatés dans les conditions prévues à l'article L. 36-11 (...) ".

5. L'article L. 36-11 du même code dispose que : " L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut, soit d'office, soit à la demande du ministre chargé des communications électroniques, (...), sanctionner les manquements qu'elle constate de la part des exploitants de réseau, des fournisseurs de services de communications électroniques, (...). Ce pouvoir de sanction est exercé dans les conditions suivantes : I. (...) / L'exploitant, le fournisseur, l'opérateur de centre de données, le fabricant de terminaux, l'équipementier de réseaux, l'attributaire de ressources en numérotation ou le gestionnaire est mis en demeure par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse de s'y conformer dans un délai qu'elle détermine. La mise en demeure peut être assortie d'obligations de se conformer à des étapes intermédiaires dans le même délai. Elle est motivée et notifiée à l'intéressé. L'Autorité peut rendre publique cette mise en demeure (...). III. (...) / La formation restreinte peut prononcer à l'encontre de l'exploitant de réseau, du fournisseur de services, de l'attributaire de ressources en numérotation ou du gestionnaire d'infrastructure d'accueil en cause une des sanctions suivantes : (...) / - une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement et aux avantages qui en sont tirés, sans pouvoir excéder 3 % du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos, taux porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation. A défaut d'activité permettant de déterminer ce plafond, le montant de la sanction ne peut excéder 150 000 ?, porté à 375 000 ? en cas de nouvelle violation de la même obligation ; (...) / - lorsque la personne en cause ne s'est pas conformée à une mise en demeure portant sur le respect d'obligations de déploiement prévues par l'autorisation d'utilisation de fréquences qui lui a été attribuée ou d'obligations de déploiement résultant d'engagements pris en application de l'article L. 33-13, une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, appréciée notamment au regard du nombre d'habitants, de kilomètres carrés ou de sites non couverts pour un réseau radioélectrique ou du nombre de locaux non raccordables pour un réseau filaire, sans pouvoir excéder le plus élevé des plafonds suivants : soit un plafond fixé à 1 500 ? par habitant non couvert ou 3 000 ? par kilomètre carré non couvert ou 450 000 ? par site non couvert pour un réseau radioélectrique, ou 1 500 ? par logement non raccordable et 5 000 ? par local à usage professionnel non raccordable ou 450 000 ? par zone arrière de point de mutualisation sans complétude de déploiement pour un réseau filaire, soit un plafond fixé à 3 % du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos, taux porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation (...) ".

6. Enfin, aux termes des sixième et septième alinéas de l'article L. 130 du même code : " (...) / Les membres de la formation restreinte ne prennent pas part aux délibérations et décisions de l'Autorité adoptées au titre des I et II de l'article L. 5-3, des articles L. 5-4, L. 5-5, L. 5-9 et L. 32-4, de l'article L. 36-8 et des I et II de l'article L. 36-11. Dans les mêmes conditions, ils ne prennent pas part aux délibérations et décisions de l'autorité adoptées au titre de l'article 20, du 1° de l'article 24 et de l'article 25 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 précitée. Ils ne siègent pas non plus lors de la délibération des mesures conservatoires mentionnées au IV de l'article L. 36-11 du présent code et à l'article 22 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 précitée. / Lorsqu'elle délibère en formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction, hors de la présence des membres de la formation restreinte, au titre des I et II de l'article L. 5-3, des articles L. 5-4, L. 5-5, L. 5-9 et L. 32-4, de l'article L. 36-8 et des I et II de l'article L. 36-11 du présent code et au titre de l'article 20, du 1° de l'article 24 et de l'article 25 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 précitée, l'Autorité ne peut délibérer que si trois de ses membres sont présents. Les mêmes règles s'appliquent lors de la délibération de mesures conservatoires en application du IV de l'article L. 36-11 du présent code et de l'article 22 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 précitée. /... ". Ces dispositions ont pour effet d'opérer une séparation fonctionnelle complète entre les formations RDPI et restreinte de l'ARCEP, où siègent des membres distincts du collège de l'autorité.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

7. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

8. Eu égard aux griefs soulevés par la société Orange, la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme dirigée contre les dispositions suivantes du code des postes et des communications électroniques :
- le 2ème alinéa de l'article L. 33-13, en tant qu'il assortit le mécanisme d'engagements volontaires d'un régime de sanctions administratives, prévu à l'article L. 36-11 ;
- les 6ème et 8ème alinéas du III de l'article L. 36-11 en tant qu'ils prévoient les sanctions applicables en cas de méconnaissance des engagements pris au titre de l'article L. 33-13 ;
- les 6ème et 7ème alinéas de l'article L. 130 en tant qu'ils n'excluent pas que les membres du collège de l'ARCEP ayant participé à une délibération dans le cadre d'une demande d'avis sur un engagement qu'un opérateur envisage de prendre sur le fondement de l'article L. 33-13 puissent participer à la formation RDPI ou restreinte de l'autorité amenée à se prononcer sur le respect des mêmes engagements.

Sur les dispositions de l'article L. 130 du code des postes et des communications électroniques :

9. Les dispositions des sixième et septième alinéas de l'article L. 130 du code des postes et des communications électroniques organisent une séparation fonctionnelle des fonctions de poursuite et de sanction au sein de l'ARCEP. La circonstance que le collège de l'ARCEP émette un avis sur les propositions d'engagements formulées par les opérateurs sur le fondement de l'article L. 33-13 de ce code n'a ni pour objet ni pour effet de conduire ses membres à préjuger la réalité et la qualification des faits dont il appartiendra, le cas échéant, à la formation RDPI, composée d'une partie d'entre eux, d'apprécier la suite à donner dans le cadre d'une procédure de contrôle du respect de ces engagements, s'ils ont été acceptés par le ministre. Enfin, ces dispositions ne sont pas de nature à remettre en cause l'indépendance des membres de l'ARCEP, garantie par les conditions dans lesquelles ils sont nommés et exercent leurs missions. Il suit de là que le grief tiré de la méconnaissance des principes d'indépendance et d'impartialité applicables aux autorités administratives indépendantes est dépourvu de caractère sérieux.

Sur les dispositions de l'article L. 33-13 et de l'article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques :

10. En premier lieu, la société requérante soutient que le législateur ne pouvait confier à l'ARCEP une mission de contrôle des engagements souscrits sur le fondement de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques et qu'en adoptant les dispositions litigieuses, le législateur, qui a insuffisamment exercé sa compétence, notamment en n'encadrant pas le pouvoir de contrôle et de sanction de l'ARCEP au titre des engagements volontaires, aurait en outre méconnu la garantie des droits protégée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que le principe de sécurité juridique.

11. Il ressort toutefois des dispositions citées au point 3 de l'article L. 36-7 du même code que, dans le cadre des objectifs de régulation qui lui ont été assignés et qui figurent à l'article L. 32-1 du même code, l'ARCEP est compétente pour contrôler le respect des obligations résultant des dispositions législatives et réglementaires et des textes et décisions pris en application de ces dispositions au respect desquelles l'autorité a pour mission de veiller. En outre, l'attribution par la loi à une autorité administrative indépendante du pouvoir de fixer les règles dans un domaine déterminé et d'en assurer elle-même le respect, par l'exercice d'un pouvoir de contrôle des activités exercées et de sanction des manquements constatés, ne contrevient pas aux exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors que ce pouvoir de sanction est aménagé de telle façon que soient assurés le respect des droits de la défense, le caractère contradictoire de la procédure et les principes d'indépendance et d'impartialité. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 9, le grief tiré de la méconnaissance des principes d'indépendance et d'impartialité qui s'imposent aux autorités administratives indépendantes dans l'exercice de leurs compétences ne peut être regardé comme sérieux. D'autre part, une sanction prononcée par l'ARCEP peut faire l'objet d'un contrôle juridictionnel dans des conditions dont il n'est pas sérieusement contesté qu'elles sont propres à garantir les droits de la personne sanctionnée. Il s'ensuit qu'en tout état de cause, ces différents griefs ne peuvent être regardés comme sérieux.

12. En deuxième lieu, la société requérante fait valoir, à l'appui de certains des griefs qu'elle soulève, que les engagements souscrits au titre de l'article L. 33-13 du code des postes et des télécommunications électroniques devraient être regardés comme de nature contractuelle. Toutefois, il ressort des dispositions de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques que le législateur a entendu donner une force contraignante aux engagements librement consentis par les opérateurs en matière de déploiement du réseau de fibre jusqu'à l'habitant en permettant au ministre chargé des communications électroniques de les accepter. Il en résulte que les engagements librement souscrits sur ce fondement et acceptés par cette autorité ne peuvent être qualifiés de contrat entre l'opérateur et l'Etat. Par conséquent, la requérante ne peut utilement se prévaloir de ce que les dispositions attaquées conduiraient à méconnaître la liberté contractuelle. Par ailleurs, ces engagements étant librement souscrits par les opérateurs, qui se placent volontairement dans une situation différente de ceux qui ne se sont pas engagés, les griefs tirés d'une atteinte à la liberté d'entreprendre et au principe d'égalité ne peuvent qu'être écartés.

13. En troisième lieu, la seule circonstance que le législateur n'a pas précisé si les sanctions générales et au demeurant suffisamment précises, prévues au sixième alinéa du III de l'article L. 36-11, seraient applicables aux engagements souscrits par un opérateur en application de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques ne saurait conduire à considérer que la loi méconnaît le principe de légalité des délits et des peines. Il s'ensuit que ce grief manque en fait.

14. En quatrième lieu, la seule circonstance que la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique n'a pas précisé si les dispositions qu'elle a introduites au huitième alinéa du III de l'article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques, qui prévoient un régime de sanction propre à la méconnaissance des engagements souscrits sur le fondement de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques, s'appliqueraient ou non aux engagements souscrits antérieurement, ne saurait davantage conduire à considérer que la loi méconnaît le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Il s'ensuit que ce grief manque en fait.

15. En dernier lieu, les dispositions de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre au ministre chargé des communications électroniques d'imposer la réalisation d'investissements en matière de déploiement de réseaux de fibre jusqu'à l'habitant. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques manque en fait.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la question de la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

17. En premier lieu, comme il a été dit au point 11, l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques n'a ni pour objet ni pour effet d'obliger un opérateur à souscrire des engagements susceptibles d'être acceptés par le ministre, ni d'exercer son activité sans prendre de tels engagements. Par conséquent, la société Orange ne peut utilement soutenir que les dispositions de l'article L. 33-13 ayant fondé la décision de mise en demeure seraient incompatibles avec l'article 3 de la directive 2018/1972 du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen, qui consacre la concurrence effective et durable entre opérateurs comme l'un des objectifs de la régulation en matière de communications électroniques.

18. En deuxième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la décision attaquée comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et satisfait ainsi à l'exigence de motivation prévue à l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Par conséquent, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.

19. En troisième lieu, si le principe d'impartialité des juridictions, qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que rappelle le paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qui est applicable à l'ARCEP, autorité administrative indépendante dotée d'un pouvoir de sanction, conduit à la séparation en son sein entre, d'une part, les fonctions de poursuite des éventuels manquement et, d'autre part, les fonctions de sanction de ces mêmes manquements, ce principe ne peut être opposé à la formation RDPI de l'Autorité, qui n'est pas appelée à décider d'une éventuelle sanction. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité des juridictions ne peut qu'être écarté comme inopérant.

20. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un courrier en date du 20 février 2018 adressé au Premier ministre, la société Orange a proposé de s'engager sur le fondement de l'article L. 33-13 du code des postes et télécommunications électroniques dans les termes suivants : " Orange propose que 100 % des logements et des locaux à usage professionnel de notre périmètre de déploiement FttH sur la zone AMII d'Orange soient ouverts dès fin 2020 à la commercialisation d'offres FttH. Et de surcroît, Orange consent volontairement à rendre cet objectif opposable, de sorte que si nous ne tenions pas l'objectif, nous acceptons le principe d'une sanction pécuniaire. ", précisant que ses " engagements portent sur le déploiement par Orange de réseaux FttH dans un ensemble de communes dont la liste est annexée à ce courrier (...) ". L'annexe à ce courrier mentionne notamment que " à fin 2020, sur l'ensemble de communes visées dont la liste est annexée à ce courrier, notre ambition est que 100 % des logements et des locaux professionnels de notre périmètre de déploiement FttH soient ouverts à la commercialisation d'offres FttH ". A la suite de discussions avec la société SFR, la société Orange, dans un courrier du 31 mai 2018, a fait part au Premier ministre de cet accord et du retrait du périmètre des engagements qu'elle entendait souscrire d'un périmètre géographique défini par une liste de communes annexées à son courrier. Si le courrier du 20 février 2018 comporte également une annexe mentionnant une évaluation du nombre de logements, cette annexe précise que ces " éléments chiffrés indicatifs ", " établis sur la base de données logements 2013 de l'INSEE ", sont donnés " à titre d'information ". L'arrêté de la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie et des finances du 26 juillet 2018 a accepté " les engagements pris par la société Orange par le courrier du 20 février 2018 modifié par le courrier du 31 mai 2018 ".

21. Ainsi, d'une part, contrairement à ce qui est soutenu, la société requérante ne s'est pas engagée sur un nombre de logements à raccorder sur la base d'évaluations ou de prévisions mais sur la couverture de l'ensemble des locaux existants au sein d'un périmètre donné, à l'échelle de chaque commune et pour des communes déterminées, dont elle a donné la liste, corrigée à la suite des discussions avec la société SFR et acceptée par la décision ministérielle. D'autre part, pour apprécier le respect des engagements ainsi acceptés, l'ARCEP n'était pas tenue d'utiliser les données produites par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et sur lesquelles la société Orange s'était appuyée à titre indicatif pour estimer le nombre de locaux raccordables mais pouvait, en l'absence de dispositions en prescrivant autrement, faire usage des données issues du fichier d'échange comportant les " informations préalables enrichies " (IPE), émanant des opérateurs chargés du raccordement des immeubles à la fibre optique. Par suite le moyen tiré de ce que l'ARCEP aurait méconnu la portée de la décision ministérielle et des engagements doit être écarté ainsi que, par voie de conséquence, ceux tirés de ce que l'ARCEP est incompétente pour modifier les termes des engagements souscrits et a commis une erreur de droit en y procédant.

22. En cinquième lieu, comme il a été dit au point précédent, ni l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques, ni la décision ministérielle ne prévoient de référentiel spécifique pour le contrôle des engagements souscrits volontairement par les opérateurs. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique doit, en tout état de cause, être écarté.

23. En sixième lieu, il résulte de la décision ministérielle qu'au plus tard au 31 décembre 2020, la société Orange devait avoir rendu raccordables ou raccordables sur demande 100 % des logements et locaux à usage professionnel du périmètre des communes concernées sauf pour ceux de ces logements et locaux pour lesquels un refus aurait été opposé par les propriétaires, avec au plus 8 % de ces logements et locaux raccordables sur demande. Si la société Orange soutient qu'elle a rendus raccordables ou raccordables sur demande un nombre de logements et de locaux correspondant aux " éléments chiffrés indicatifs ", " établis sur la base de données logements 2013 de l'INSEE " qu'elle avait communiqués en 2018 avec ses engagements, il n'est pas sérieusement contesté que la société Orange n'a pas respecté ses engagements dans un certain nombre de communes aux dates du 1er mai et du 31 décembre 2021. Par conséquent, le moyen tiré de ce qu'Orange aurait respecté ses engagements ne peut qu'être écarté, ainsi que celui, qui manque en fait, tiré de ce que la mise en demeure lui fixe de respecter des engagements de couverture pour les logements existant à une date postérieure au 31 décembre 2021.

24. En septième lieu, la seule circonstance, à la supposer établie, que l'un des concurrents de la requérante n'aurait pas été mis en demeure par l'ARCEP bien que dans une situation identique, ne saurait, à elle seule, caractériser une atteinte aux principes d'égalité et, par voie de conséquence, de libre concurrence. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance de ces principes doit être écarté comme inopérant.

25. En huitième lieu, la mise en demeure prononcée par la formation RDPI de l'ARCEP n'ayant pas le caractère d'une sanction, la requérante ne peut utilement soutenir qu'elle méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines.

26. Il résulte de tout ce qui précède que la société Orange n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision attaquée.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Orange au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'intervention de l'association Avicca est admise.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Orange.
Article 3 : La requête de la société Orange est rejetée.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Orange, à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, à l'association Avicca et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, M. Benoît Bohnert, Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.

Rendu le 21 avril 2023.


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Hadrien Tissandier
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard


Voir aussi