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Ariane Web: Conseil d'État 473408, lecture du 27 avril 2023, ECLI:FR:CEORD:2023:473408.20230427

Décision n° 473408
27 avril 2023
Conseil d'État

N° 473408
ECLI:FR:CEORD:2023:473408.20230427
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
Mme Anne Courrèges, président
Mme A Courrèges, rapporteur
SCP MARLANGE, DE LA BURGADE, avocats


Lecture du jeudi 27 avril 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 21 mars 2023 par laquelle le préfet des Hauts-de-Seine lui a notifié une incapacité d'exercer, à titre rémunéré ou bénévole, les fonctions d'enseignement, d'animation, d'encadrement d'une activité physique ou sportive et d'entraînement de ses pratiquants, et lui a demandé de cesser immédiatement l'exercice de ces fonctions, ainsi que celle de la décision du même jour par laquelle le même préfet a demandé au président de l'association Val-de-Seine basket de prendre toutes mesures utiles consécutives à son incapacité d'exercer, sous peine de fermeture partielle ou définitive de son établissement d'activités physiques et sportives et, d'autre part, d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine de notifier la décision à intervenir à l'association Val-de-Seine basket et à la Fédération Française de Basketball et de notifier à la Fédération Française de Basketball une demande de levée de l'interdiction d'exercer toutes les fonctions liées à sa licence et de cessation des poursuites disciplinaires engagées sur le fondement des décisions contestées et, enfin, d'enjoindre à l'association Val-de-Seine basket de retirer sa décision prononçant sa mise à pied et de poursuivre l'exécution de son contrat de travail.

Par une ordonnance n° 2304881 du 17 avril 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 19 et 26 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de suspendre l'exécution des décisions du préfet des Hauts-de-Seine du 21 mars 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine de notifier sous un délai de quarante-huit heures la décision à intervenir à l'association Val-de-Seine basket et à la Fédération Française de Basketball ;

4°) d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine de notifier sous un délai de quarante-huit heures à la Fédération Française de Basketball une demande de levée de l'interdiction d'exercer toutes les fonctions liées à sa licence et de cessation des poursuites disciplinaires engagées sur le fondement des décisions contestées, ainsi que de retrait de l'inscription sur la liste rouge fédérale ;

5°) d'enjoindre à l'association Val-de-Seine basket de retirer sa décision prononçant sa mise à pied et de poursuivre l'exécution de son contrat de travail ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- en écartant le bulletin n° 1 du casier judiciaire établissant la réhabilitation légale dont il a bénéficié, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise s'est mépris sur l'étendue de son office et a porté atteinte aux droits de la défense ;
- en refusant de tenir compte de la réhabilitation légale de plein droit dont il avait fait l'objet en application des dispositions des articles 133-13 et 133-16 du code pénal, seules invoquées devant lui, et en se fondant sur celles, distinctes, de l'article 775-1 du code de procédure pénale, le juge des référés a méconnu la loi pénale et excédé son office ;
- en estimant que le préfet des Hauts-de-Seine était tenu de prendre les décisions litigieuses en raison de l'inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, le juge des référés a méconnu la portée de cette inscription et lui a conféré des effets automatiques contraires au principe de proportionnalité ;
- la condition d'urgence est satisfaite au regard de la gravité et de l'immédiateté des effets des décisions contestées consistant notamment en la perte brutale d'emploi et de ressources, en l'atteinte à sa réputation d'entraîneur au niveau national, en l'imminence de l'engagement d'une procédure disciplinaire qui ruinerait sa carrière et son recrutement en qualité d'assistant entraineur en équipe nationale 1 pour la saison 2023-2024 ;
- il est porté atteinte à la liberté d'exercer une profession, au droit au respect de la vie privée, au droit d'obtenir l'exécution d'une décision de justice, au droit à un procès équitable et au droit à la réhabilitation pénale ;
- les atteintes portées à ces libertés fondamentales sont graves et manifestement illégales en ce que le préfet s'est à tort estimé en situation de compétence liée par les dispositions de l'article L. 212-9 du code du sport du fait de la mention de sa condamnation au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes et s'est mépris sur la nature juridique de ce fichier et sa portée et en ce que les décisions litigieuses ne pouvaient, sans méconnaître les dispositions du code pénal, être prises en écartant les effets de la réhabilitation légale de plein droit dont il a fait l'objet et sont disproportionnées.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 et 26 avril 2023, la ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et s'en remet à la sagesse du Conseil d'Etat s'agissant de la réhabilitation légale invoquée par le requérant.

La Fédération française de basketball a produit des observations, enregistrées le 25 avril 2023.

La requête a été communiquée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à l'association Val-de-Seine basket qui n'ont pas produit de mémoire.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code du sport ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et la ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques et, enfin, la Fédération française de basketball et l'association Val-de-Seine basket ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 26 avril 2023, à 10h30 :

- Me de la Burgade, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- les représentants de M. B... ;

- M. B... ;

- les représentants de la ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques ;

- les représentants de la Fédération française de basketball ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au même jour à 18h00 ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) ".


2. Aux termes de l'article L. 212-1 du code du sport : " I.- Seuls peuvent, contre rémunération, enseigner, animer ou encadrer une activité physique ou sportive ou entraîner ses pratiquants, à titre d'occupation principale ou secondaire, de façon habituelle, saisonnière ou occasionnelle, (...), les titulaires d'un diplôme, titre à finalité professionnelle ou certificat de qualification : 1° Garantissant la compétence de son titulaire en matière de sécurité des pratiquants et des tiers dans l'activité considérée ; / 2° Et enregistré au répertoire national des certifications professionnelles (...) ". Aux termes de l'article L. 212-9 du même code : " I. Nul ne peut exercer les fonctions mentionnées au premier alinéa de l'article L. 212-1 à titre rémunéré ou bénévole, s'il a fait l'objet d'une condamnation pour crime ou pour l'un des délits prévus : / (...) 3° Aux chapitres III, IV, V et VII dudit titre II [du code pénal] (...) ".

3. Il résulte de l'instruction qu'à la suite d'un contrôle ayant fait apparaître que M. B..., entraîneur de basketball, avait fait l'objet d'une condamnation prononcée le 21 décembre 2006 par le tribunal correctionnel de Nanterre, le préfet des Hauts-de-Seine l'a informé le 21 mars 2023 qu'en application de l'article L. 212-9 du code du sport relatif à l'honorabilité des éducateurs sportifs et des exploitants d'établissements d'activités physiques et sportives, cette condamnation faisait obstacle à ce qu'il exerce, à titre rémunéré ou bénévole, les fonctions d'enseignement, d'animation, d'encadrement d'une activité physique ou sportive et d'entraînement de ses pratiquants, et lui a demandé de cesser immédiatement ses activités à ce titre. Par une lettre du même jour, le préfet a demandé au président de l'association Val-de-Seine basket de prendre toutes mesures utiles consécutives à son incapacité d'exercer, sous peine de fermeture partielle ou définitive de son établissement d'activités physiques et sportives. Par une ordonnance du 17 avril 2023, dont M. B... relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de suspension de ces décisions que celui-ci avait présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

4. Si, pour soutenir que la condition d'urgence particulière requise par l'article L. 521-2 est en l'espèce satisfaite, M. B... se prévaut de l'atteinte grave et manifeste qu'il estime portée à des libertés fondamentales, la circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale serait avérée n'est pas de nature à caractériser l'existence d'une situation d'urgence. De même, l'atteinte à sa réputation d'entraîneur au niveau national ne crée pas, par elle-même, une telle situation.

5. L'intéressé fait par ailleurs valoir qu'en conséquence de l'incapacité constatée par le préfet des Hauts-de-Seine et de l'information délivrée à son employeur, l'association Val-de-Seine basket, il a dû cesser ses fonctions d'entraîneur, s'exposant à un licenciement, et se trouve privé des revenus correspondants. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment des précisions apportées à l'audience, que l'intéressé dispose d'un autre emploi, d'agent administratif, dans le cadre d'un contrat de travail à l'exécution duquel les mesures dont la suspension est demandée ne font pas obstacle et qui lui assure une rémunération sur la base de la durée légale du travail. En outre, il apparaît, d'une part, qu'il ne serait pas titulaire de la carte professionnelle que le préfet délivre au vu de la déclaration d'activité exigée par l'article L. 212-11 du code du sport pour pouvoir exercer contre rémunération des activités d'entraînement et, d'autre part, que la Fédération française de basketball, dans le cadre du pouvoir disciplinaire dont elle dispose pour sanctionner des manquements au respect des règles techniques et déontologiques qu'elle définit, assurer la protection des autres licenciés et garantir l'honorabilité de la pratique du sport dont elle a la charge, a engagé à son encontre une procédure disciplinaire distincte, dont la mise en oeuvre a été assortie d'une mesure conservatoire lui interdisant d'exercer toute fonction liée à sa licence.

6. Dans ces conditions, le requérant ne caractérise pas, à la date de la présente ordonnance, une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative impliquant, sous réserve que les autres conditions posées par cet article soient remplies, qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les quarante-huit heures. Il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui n'a pas méconnu son office ni les droits de la défense, a refusé de faire droit à sa demande tendant à la suspension de l'exécution des décisions du préfet des Hauts-de-Seine du 21 mars 2023.

7. Il y a lieu, par suite, de rejeter la requête de M. B..., y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques.
Copie en sera adressée à la Fédération française de basketball et à l'association Val-de-Seine basket.
Fait à Paris, le 27 avril 2023
Signé : Anne Courrèges