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Ariane Web: Conseil d'État 457659, lecture du 10 juillet 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:457659.20230710

Décision n° 457659
10 juillet 2023
Conseil d'État

N° 457659
ECLI:FR:CECHR:2023:457659.20230710
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé , président
Mme Pauline Hot, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SARL CABINET BRIARD, avocats


Lecture du lundi 10 juillet 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 457659, la société Port d'Ostende a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 mai 2021 des maîtres d'ouvrage société Eoliennes en mer de Dunkerque (EMD) et Réseau de Transport d'Electricité (RTE) de poursuivre le projet d'implantation d'un parc éolien en mer du Nord au large de Dunkerque, d'enjoindre aux maîtres d'ouvrage de saisir de nouveau la commission nationale du débat public (CNDP) et les autorités compétentes en vue d'organiser une nouvelle procédure de participation du public, de prendre une nouvelle décision au titre de l'article L. 121-13 du code de l'environnement et de mettre à la charge des sociétés EMD et RTE une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 2107142 du 19 octobre 2021, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 22 octobre 2021, le président du tribunal administratif de Lille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête de la société Port d'Ostende, qu'elle a complétée par un nouveau mémoire, enregistré le 7 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par lequel elle a également demandé au Conseil d'Etat de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union européenne pour déterminer si les articles L. 121-1 et suivants du code de l'environnement peuvent permettre d'organiser une procédure de participation du public, en amont du dépôt de la demande d'autorisation d'exploiter un ouvrage, au cas particulier un parc éolien offshore de 46 éoliennes, sans préciser le moment auquel cette procédure doit être organisée.


2° Sous le n° 457660, l'Etat belge a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 mai 2021 des maîtres d'ouvrage société EMD et RTE de poursuivre le projet d'implantation d'un parc éolien en mer du Nord au large de Dunkerque, le cas échéant après avoir sursis à statuer, et avoir renvoyé à la Cour de Justice de l'Union Européenne les questions préjudicielles qu'il soulève, relatives à la conventionnalité du régime juridique français de consultation de l'Etat voisin sur les projets à impacts transfrontaliers au regard de la directive 2011/92/UE.

Par une ordonnance n° 2105512 du 19 octobre 2021, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 20 octobre 2021, le président du tribunal administratif de Lille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête de l'Etat belge, qu'il a complétée d'un nouveau mémoire enregistré le 6 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat.


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3° Sous le n° 457661, la commune de La Panne (Belgique) a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 mai 2021 des maîtres d'ouvrage société EMD et RTE de poursuivre le projet d'implantation d'un parc éolien en mer du Nord au large de Dunkerque et de mettre à la charge de ces sociétés une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 2105511-5 du 19 octobre 2021, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 20 octobre 2021, le président du tribunal administratif de Lille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête de la commune de La Panne, qu'elle a complétée d'un nouveau mémoire enregistré le 9 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat.


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4° Sous le n° 457663, la Région flamande (Belgique) a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 mai 2021 des maîtres d'ouvrage société EMD et RTE de poursuivre le projet d'implantation d'un parc éolien en mer du Nord au large de Dunkerque et de mettre à la charge de ces sociétés une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 2105513-5 du 19 octobre 2021, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 20 octobre 2021, le président du tribunal administratif de Lille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête de la Région flamande, qui l'a complétée par trois nouveaux mémoires, enregistrés les 22 juillet et 8 novembre 2022 et 18 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat.


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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment la Charte de l'environnement ;
- la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement ;
- la convention sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans un contexte transfrontière, signée à Espoo le 25 février 1991 ;
- la directive n° 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;
- la directive n° 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, auditrice,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Port d'Ostende, à la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Eoliennes en mer de Dunkerque, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de la société Réseau de Transport d'Electricité, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Etat Belge, au Cabinet François Pinet, avocat de la commune de La Panne et à la SCP Doumic-Seiller, avocat de la Région flamande ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 juin 2023, présentée par l'Etat belge ;



Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes de la société Port d'Ostende, de l'Etat belge, de la commune de La Panne et de la Région flamande sont dirigées contre la même décision. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article L. 121-13 du code de l'environnement : " Lorsqu'un débat public a été organisé sur un projet, le maître d'ouvrage ou la personne publique responsable du projet décide, dans un délai de trois mois après la publication du bilan du débat public, par un acte qui est publié, du principe et des conditions de la poursuite du projet. Il précise, le cas échéant, les principales modifications apportées au projet soumis au débat public. Cet acte est transmis à la Commission nationale du débat public. (...) ".

3. Il ressort des pièces des dossiers que, par une décision du 10 mai 2021, la société Réseau de Transport d'Electricité (RTE) et la société Eoliennes en Mer de Dunkerque (EMD) ont, à la suite du débat public organisé à ce sujet du 14 septembre au 20 décembre 2020 et du bilan publié à son issue le 15 février 2021 par la présidente de la commission nationale du débat public, décidé de poursuivre le développement du projet de parc éolien en mer au large de Dunkerque et son raccordement électrique.

4. L'acte décidant, à l'issue du débat public, du principe et des conditions de la poursuite du projet, prévu par l'article L. 12113 du code de l'environnement, a pour seul objet de tirer les conséquences de ce débat. Si cet acte a le caractère d'une décision dès lors, notamment, qu'une fois devenu définitif, aucune méconnaissance des articles L. 121-8 à L. 121-12 de ce code ne peut plus être invoquée, il ne peut, eu égard à son objet, être contesté que sur le fondement de moyens tirés de vices propres dont il serait entaché et de l'irrégularité du débat public au regard de ces mêmes dispositions, à l'exclusion, notamment, de toute contestation du bien-fondé de l'opération dont il est décidé de poursuivre les études, celui-ci ne pouvant être mis en cause qu'à l'occasion des actes qui, au titre des différentes législations applicables, en autorisent la réalisation.

Sur les vices propres allégués :

5. En premier lieu, il ne saurait être soutenu que les représentants de la société Eoliennes en Mer de Dunkerque et de RTE ne justifient pas de leur qualité pour signer la décision du 10 mai 2021, alors que le premier, directeur d'Energies Marines Renouvelables France, a reçu pouvoir du président-directeur général et du directeur général délégué d'EDF Renouvelables, société présidente d'EDF Renouvelables France, elle-même présidente de la société de projet Eoliennes en Mer de Dunkerque, pour prendre tous actes à l'égard de l'administration et des tiers, notamment au titre de la réglementation administrative et environnementale applicable ; et que le second, directeur des affaires maritimes de RTE, produit la délibération du directoire de RTE du 8 décembre 2020, lui donnant tous pouvoirs pour poursuivre l'engagement des dépenses d'études préalables à la décision d'investissement, ainsi que le procès-verbal de la séance du directoire de RTE en date du 4 mai 2021, dans lequel il est indiqué que le directoire est informé de la décision de poursuivre l'opération, et du fait qu'il la signera. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence des auteurs de la décision doit être écarté.

6. En deuxième lieu, d'une part, la seule circonstance que la date de la signature des auteurs de la décision soit antérieure à celle de la décision, alors qu'il n'est pas fait état de la survenance, entre ces deux dates, d'un élément de fait ou de droit qui eût été de nature à modifier la décision prise ou à faire obstacle à son intervention, est sans incidence sur la légalité de cette décision. D'autre part, si l'Etat belge invoque la défaillance du certificat de signature électronique de l'un des signataires, il ne conteste pas l'authenticité des signatures apposées sur la décision. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité des signatures apposées sur la décision ne peut qu'être écarté.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 121-9 du code de l'environnement : " L'acte mentionné à l'article L. 121-13, par lequel le maître d'ouvrage ou la personne publique responsable du projet, plan ou programme décide, après la publication du bilan du débat public, du principe et des conditions de la poursuite de son projet, plan ou programme, fait l'objet d'une publication. / La décision prise par l'Etat ou la délibération d'un établissement public national est publiée au Journal officiel de la République française. / La délibération d'une collectivité territoriale, d'un groupement de collectivités territoriales ou d'un établissement public en dépendant est publiée dans les conditions prévues aux articles L. 2121-24, L. 5211-47, R. 3131-1, R. 4141-1, R. 4423-1 ou R. 4433-8 du code général des collectivités territoriales ou, le cas échéant, aux 2° et quatrième alinéa de l'article R. 312-5 du code des relations entre le public et l'administration. / La décision prise par une personne privée est publiée en caractères apparents dans un journal national et un journal diffusé dans le ou les départements intéressés. / L'acte est également publié sur le site internet de la Commission nationale du débat public ". Ces dispositions ne prévoyant pas la publication de la décision sur le principe et les conditions de poursuite du projet dans un journal d'un Etat limitrophe du projet, la société Port d'Ostende n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la décision litigieuse les méconnaîtrait, faute d'avoir été publiée dans un journal belge. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que la décision a été publiée au mois d'août 2021 dans " l'Echo " et " De Tijd ", deux journaux nationaux belges, l'un francophone et l'autre néerlandophone, ainsi que dans un journal local de Flandre-Occidentale.

8. En quatrième lieu, il ne saurait être sérieusement soutenu que les maîtres d'ouvrage du projet se seraient estimés liés, pour prendre leur décision, par le communiqué de presse de la ministre de la transition écologique, publié le même jour que leur décision du 10 mai 2021, dans lequel cette dernière exprime sa position de soutien au projet.

9. Enfin, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, et en tout état de cause, la décision de poursuivre le projet tire les conséquences du débat public, en présentant un certain nombre de mesures, telles que l'organisation d'une concertation continue avec le public autour de cinq thématiques, dont l'environnement et la navigation maritime, des échanges sur les premiers éléments de l'étude d'impact et la mise en place d'outils de concertation et de communication adaptés aux enjeux transfrontaliers du projet.

Sur la régularité du débat public :

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance du droit international :

10. En premier lieu, les requérants ne sauraient utilement invoquer la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, dont ne relève pas le projet en litige. Ils ne sauraient non plus invoquer, pour contester la régularité du débat public ayant donné lieu à la décision litigieuse, la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, qui prévoit seulement la mise en place d'une procédure de participation du public à un stade où le projet est défini de façon suffisamment précise pour permettre au public concerné d'exprimer son avis au vu, notamment, du rapport sur les incidences environnementales ou, dans le cas d'un projet, de l'étude d'impact, et n'a pas pour objet de régir un débat public tel que celui prévu par les dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'environnement. Pour les mêmes motifs, les stipulations de la convention d'Espoo ne sauraient être utilement invoquées pour contester la régularité du débat public en litige.

11 En second lieu, aux termes de l'article 6 de la convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement : " (...) 2. Lorsqu'un processus décisionnel touchant l'environnement est engagé, le public concerné est informé comme il convient, de manière efficace et en temps voulu, par un avis au public ou individuellement, selon le cas, au début du processus (...) / 3. Pour les différentes étapes de la procédure de participation du public, il est prévu des délais raisonnables laissant assez de temps pour informer le public conformément au paragraphe 2 ci-dessus et pour que le public se prépare et participe effectivement aux travaux tout au long du processus décisionnel en matière d'environnement. / 4. Chaque Partie prend des dispositions pour que la participation du public commence au début de la procédure, c'est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence ". Si la commune de La Panne et la Région flamande soutiennent que le débat public conduit en 2020 s'est déroulé dans des conditions contraires aux stipulations d'effet direct du paragraphe 4 de l'article 6 de la convention d'Aarhus, en l'absence de débat utile sur la zone d'implantation du projet, il est constant que le projet de création d'un parc éolien en mer, de même que sa zone d'implantation, ont fait l'objet de concertations locales menées dès 2014 par le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais et le préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord, avec les collectivités du littoral et le public, associant les autorités et citoyens belges. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le débat organisé en 2020 par la commission nationale du débat public méconnaîtrait les stipulations du point 4 de l'article 6 de la convention d'Aarhus doit être écarté.

En ce qui concerne les autres moyens se rapportant à la régularité du débat public :

12. Aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 7 de la Charte doit être apprécié au regard des dispositions du code de l'environnement qui imposent à la commission nationale du débat public de veiller au respect de l'information du public.

13. Aux termes de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, la protection de l'environnement s'inspire, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, d'un certain nombre de principes, au rang desquels figurent notamment le principe de participation, ainsi que le principe d'accès aux informations relatives à l'environnement. Aux termes de l'article L. 120-1 du code de l'environnement : " Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions réglementaires de l'Etat et de ses établissements publics. / I. - Sauf disposition particulière relative à la participation du public prévue par le présent code ou par la législation qui leur est applicable, les décisions réglementaires de l'Etat et de ses établissements publics sont soumises à participation du public lorsqu'elles ont une incidence directe et significative sur l'environnement. (...) ". Aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " La commission nationale du débat public, autorité administrative indépendante, est chargée de veiller au respect de la participation du public au processus d'élaboration des projets d'aménagement ou d'équipement d'intérêt national de l'Etat, des collectivités territoriales (...) relevant de catégories d'opérations dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat, dès lors qu'ils présentent de forts enjeux socio-économiques ou ont des impacts significatifs sur l'environnement ou l'aménagement du territoire. / La participation du public peut prendre la forme d'un débat public. Celui-ci porte sur l'opportunité, les objectifs et les caractéristiques principales du projet. / La participation du public est assurée pendant toute la phase d'élaboration d'un projet, depuis l'engagement des études préliminaires jusqu'à la clôture de l'enquête publique (...). / En outre, la commission nationale veille au respect de bonnes conditions d'information du public durant la phase de réalisation des projets dont elle a été saisie jusqu'à la réception des équipements et des travaux (...) " ; Aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'environnement : " I.- La Commission nationale du débat public est saisie de tous les projets d'aménagement ou d'équipement qui, par leur nature, leurs caractéristiques techniques ou leur coût prévisionnel, tel qu'il peut être évalué lors de la phase d'élaboration, répondent à des critères ou excèdent des seuils fixés par décret en Conseil d'Etat (...) ".

14. En premier lieu, si la société Port d'Ostende soutient que le débat public dont procède la décision litigieuse n'a pas permis à l'ensemble des personnes susceptibles d'y participer de le faire, en raison de la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19, méconnaissant ainsi les articles L. 120-1, L. 121-1 et L. 121-8 du code de l'environnement, ainsi que la Charte de l'environnement et la convention d'Aarhus, elle n'apporte pas d'éléments démontrant que ces circonstances auraient privé le débat d'effet utile, alors qu'il ressort des pièces du dossier que le débat public a été organisé dans des conditions et par des moyens permettant d'assurer l'information de l'ensemble du public concerné.

15. En deuxième lieu, l'article L. 121-8-1 du code de l'environnement, issu de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance, prévoit, dans sa rédaction issue de cette loi, que : " Lorsque le ministre chargé de l'énergie souhaite lancer une procédure de mise en concurrence en application de l'article L. 311-10 du code de l'énergie pour la construction et l'exploitation d'installations de production d'énergie renouvelable en mer et de leurs ouvrages de raccordement aux réseaux publics d'électricité, il saisit, préalablement au lancement de cette procédure, la Commission nationale du débat public, qui détermine, dans les conditions prévues à la présente section, les modalités de participation du public au processus de décision du lancement de la procédure de mise en concurrence. Le public est notamment consulté sur le choix de la localisation de la ou des zones potentielles d'implantation des installations envisagées. Après la désignation du lauréat de la procédure de mise en concurrence et compte tenu des suites données à la saisine mentionnée au premier alinéa du présent article, le ou les maîtres d'ouvrage du projet d'une installation de production d'énergie renouvelable en mer et de ses ouvrages de raccordement sont dispensés des obligations prévues à la présente section ". Contrairement à ce que soutient la société Port d'Ostende, il ne résulte pas des dispositions relatives à l'entrée en vigueur de cette loi qu'elle trouve à s'appliquer aux projets d'éoliennes en mer pour lesquels les candidats ont été désignés lauréats de l'appel d'offres avant le 1er janvier 2015. Dans ces conditions, il ne saurait être utilement soutenu que le débat public dont procède la décision litigieuse méconnaîtrait cet article.

16. En troisième lieu, si l'Etat belge soutient que le projet aurait dû être soumis à un débat public avant le lancement de la procédure de dialogue compétitif qui a conduit à définir la zone d'implantation du parc éolien, d'une part, il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'aucune disposition n'imposait que cela soit alors le cas, d'autre part, il ressort des pièces du dossier que les principales caractéristiques, les enjeux socio-économiques, le coût estimatif et les impacts sur l'environnement de l'équipement envisagé ne pouvaient être suffisamment définis en amont du lancement de l'appel d'offre. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le débat organisé en 2020, qui avait pour objet de se prononcer sur l'opportunité de poursuivre le projet tel qu'il était engagé, aurait été privé d'effet utile, dès lors notamment que la localisation du projet au large de Dunkerque, près de la frontière maritime avec la Belgique, était au nombre des caractéristiques principales du projet de parc éolien, sur lesquelles le débat public a été organisé. Par suite, le moyen tiré de ce que le débat public aurait été faussé, au motif que la localisation du projet aurait été arrêtée avant qu'il ne se tienne, ne peut qu'être écarté.

17. En quatrième lieu, si l'Etat belge et la commune de La Panne soutiennent que le public belge concerné, majoritairement néerlandophone, n'a pas été mis en mesure de participer utilement au débat public, aucune disposition du code de l'environnement n'exige la traduction du dossier soumis au débat public. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier qu'un effort particulier d'information en néerlandais a été mis en oeuvre à l'attention du public belge, avec la publication d'une synthèse du dossier en néerlandais, et que les contributions de citoyens belges, du bourgmestre de la commune de La Panne et de la société Port d'Ostende ont été substantielles. Le moyen doit donc, en tout état de cause, être écarté.

18. En cinquième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 122-8 et R. 122-2 du code de l'environnement ne saurait être utilement invoqué, dès lors que ces dispositions, qui portent au demeurant sur la catégorie des projets de plans ou programmes dont ne relève pas le projet contesté, imposent une notification aux Etats voisins au cours de la procédure d'évaluation environnementale, une fois la demande d'autorisation déposée, et non lors de l'élaboration du projet.

19. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'environnement : " (...) Le maître d'ouvrage ou la personne publique responsable du projet adresse à la commission un dossier présentant les objectifs et les principales caractéristiques du projet, ainsi que les enjeux socio économiques, le coût estimatif et l'identification des impacts significatifs du projet sur l'environnement ou l'aménagement du territoire (...) ". Aux termes de l'article L. 121-11 du même code : " La Commission nationale du débat public peut demander au maître d'ouvrage ou à la personne publique responsable de compléter le dossier qu'il est prévu de soumettre au débat public. Le débat ne peut commencer que lorsque la Commission nationale du débat public a considéré le dossier complet ". Aux termes de l'article R. 121-7 du code de l'environnement : " (...) II. - Dans un délai d'un mois à compter de la publication de la décision imposant l'organisation d'un débat public, le maître d'ouvrage ou la personne publique responsable élabore, sur la base du dossier précédemment constitué conformément au I de l'article L. 121-8, un document de synthèse présentant le projet, plan ou programme. Ce document est publié sur le site internet de la Commission nationale du débat public. Dans un délai de six mois à compter de la date de publication de la décision susmentionnée, le maître d'ouvrage ou la personne publique responsable du projet, plan ou programme, élabore, suivant les indications de la Commission nationale du débat public, le dossier qui sera soumis au débat. Le maître d'ouvrage ou la personne publique responsable peut également proposer des modalités d'organisation et un calendrier du débat. III. - Lorsque la Commission nationale du débat public estime le dossier complet, elle en accuse réception et publie le calendrier et les modalités d'organisation du débat. (...) ".

20. Si les requérants soutiennent que le dossier soumis à débat public était incomplet, s'agissant de la description des impacts sur l'environnement et l'aménagement du territoire, il ressort des pièces du dossier que la prise en compte des activités humaines, notamment touristiques et halieutiques, de l'impact transfrontalier du parc et de son effet cumulé avec les autres parcs éoliens de la mer du Nord, de son coût et de ses incidences sur l'environnement et la biodiversité, notamment l'avifaune et les mammifères marins, fait l'objet d'informations précises figurant au dossier, et fera au demeurant ultérieurement l'objet de l'étude d'impact prévue par l'article R. 122-5 du code de l'environnement, dans le cadre de l'évaluation environnementale du projet. Par ailleurs, contrairement à ce qui est allégué, la description des solutions alternatives au projet, dans l'hypothèse où le projet serait abandonné, figure au point 2.5 du dossier. Enfin, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire que les objections au projet devraient figurer dans le dossier prévu par l'article L. 121-8 du code de l'environnement. Dès lors, le moyen tiré de ce que la procédure de débat public se serait déroulée sur la base d'un dossier de présentation du projet insuffisant ou incomplet ne peut qu'être écarté.

Sur les autres moyens :

21. Les autres moyens invoqués par les requérants, tirés notamment de ce que la décision attaquée ne prendrait pas suffisamment en compte le caractère transfrontalier du projet et ses inconvénients pour l'environnement, qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et qu'elle serait à l'origine d'une discrimination fiscale à l'encontre des communes belges, ne peuvent qu'être écartés comme inopérants, dès lors que de telles critiques portent sur le bien-fondé du projet.

22. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles soulevées, relatives à la conventionnalité du régime juridique français de consultation de l'Etat voisin sur les projets à impacts transfrontaliers au regard de la directive 2011/92/UE, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur intérêt pour agir, que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision du 10 mai 2021 par laquelle la société Eoliennes en Mer de Dunkerque et la société RTE ont décidé de poursuivre le projet de parc éolien de Dunkerque en mer du Nord. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction de la société Port d'Ostende ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Eoliennes en Mer de Dunkerque et de la société RTE, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre au même titre à la charge de la société Port d'Ostende, de l'Etat belge, de la commune de La Panne et de la Région flamande une somme à verser à ces deux sociétés.


D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la société Port d'Ostende, de l'Etat belge, de la commune de La Panne et de la Région flamande sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Eoliennes en Mer de Dunkerque et la société Réseau de Transport d'Electricité au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Port d'Ostende, à l'Etat belge, à la commune de La Panne, à la Région flamande, à la société Eoliennes en Mer de Dunkerque, à la société Réseau de Transport d'Electricité et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée à la Première ministre et à la ministre des affaires étrangères.


Délibéré à l'issue de la séance du 16 juin 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Pauline Hot, auditrice-rapporteure.

Rendu le 10 juillet 2023.

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé


La rapporteure :
Signé : Mme Pauline Hot


La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse


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