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Ariane Web: Conseil d'État 462834, lecture du 19 juillet 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:462834.20230719

Décision n° 462834
19 juillet 2023
Conseil d'État

N° 462834
ECLI:FR:CECHR:2023:462834.20230719
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Elise Adevah-Poeuf, rapporteur
M. Nicolas Labrune, rapporteur public
SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES, avocats


Lecture du mercredi 19 juillet 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, de condamner le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à lui verser une première somme de 63 413,24 euros et une seconde somme de 1 716,04 euros par mois à compter du 1er novembre 2018 jusqu'à sa réintégration effective, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison des fautes commises par l'établissement dans le traitement des faits de harcèlement sexuel dont elle estime avoir été victime, de ses demandes de protection fonctionnelle ainsi que de sa demande de réintégration après mise en disponibilité, d'autre part, d'enjoindre au CNRS de prononcer sa réintégration et de reconstituer sa carrière à compter du 1er avril 2016. Par un jugement n° 1702259 du 8 février 2019, le tribunal administratif de Toulouse a condamné le CNRS à verser à Mme A... une indemnité globale de 4 591 euros et a rejeté le surplus de ses demandes.

Par un arrêt n° 19BX01428 du 31 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de Mme A..., porté à 7 191 euros le montant à verser par le CNRS à l'intéressée, réformé en conséquence le jugement du tribunal administratif et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er avril, 1er juillet 2022 et 24 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge du CNRS la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boullez, avocat de Mme A... et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat du Centre national de la recherche scientifique ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., assistante ingénieur titulaire au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), placée à sa demande en position de disponibilité pour convenances personnelles du 1er juillet 2015 au 30 juin 2016, a sollicité sa réintégration anticipée au 1er avril 2016, laquelle lui a été refusée par une décision du 21 mars 2016. Par une seconde décision du 18 juillet 2016, Mme A... a été placée en disponibilité d'office à compter du 1er juillet 2016. Par un jugement du 8 février 2019, le tribunal administratif de Toulouse a condamné le CNRS à verser à Mme A... une indemnité globale de 4 591 euros en réparation des préjudices que ces décisions lui ont causé et a rejeté le surplus de ses conclusions. Mme A... a relevé appel de ce jugement en tant que le tribunal administratif n'a pas intégralement fait droit à ses conclusions tendant à ce que le CNRS soit condamné à lui verser la somme de 55 993,44 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis et ne lui a pas enjoint de prononcer sa réintégration et de reconstituer sa carrière à compter du 1er avril 2016. Par la voie de l'appel incident, le CNRS a demandé l'annulation de ce même jugement. Mme A... doit être regardée comme demandant l'annulation de l'arrêt du 31 janvier 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il a condamné le CNRS à lui verser la somme de 4 000 euros pour solde de tout compte, le CNRS, par la voie du pourvoi incident, demandant l'annulation de cet arrêt en tant qu'il a retenu qu'il avait commis des fautes dans la réintégration de Mme A... de nature à engager sa responsabilité.

Sur le pourvoi incident du CNRS :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 42 du décret du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions : " La disponibilité est prononcée par arrêté ministériel, soit d'office, soit à la demande de l'intéressé ". Aux termes de l'article 44 du même décret : " La mise en disponibilité sur demande de l'intéressé peut être accordée, sous réserve des nécessités du service, dans les cas suivants : /(...) b) Pour convenances personnelles : la durée de la disponibilité ne peut, dans ce cas, excéder cinq années ; elle est renouvelable dans la limite d'une durée maximale de dix ans pour l'ensemble de la carrière, à la condition que l'intéressé, au plus tard au terme d'une période de cinq ans de disponibilité, ait accompli, après avoir été réintégré, au moins dix-huit mois de services effectifs continus dans la fonction publique ". Aux termes de l'article 49 du même décret : " (...) Trois mois au moins avant l'expiration de la disponibilité, le fonctionnaire fait connaître à son administration d'origine sa décision de solliciter le renouvellement de la disponibilité ou de réintégrer son corps d'origine. Sous réserve des dispositions du deuxième alinéa du présent article et du respect par l'intéressé, pendant la période de mise en disponibilité, des obligations qui s'imposent à un fonctionnaire même en dehors du service, la réintégration est de droit./ A l'issue de sa disponibilité, l'une des trois premières vacances dans son grade doit être proposée au fonctionnaire. S'il refuse successivement trois postes qui lui sont proposés, il peut être licencié après avis de la commission administrative paritaire./ (...) Le fonctionnaire qui a formulé avant l'expiration de la période de mise en disponibilité une demande de réintégration est maintenu en disponibilité jusqu'à ce qu'un poste lui soit proposé dans les conditions fixées aux deux alinéas précédents (...) ".

3. Il résulte des dispositions citées au point 2 qu'un fonctionnaire qui sollicite sa réintégration à l'issue de la période de mise en disponibilité pour convenances personnelles ou sa réintégration anticipée avant cette date a droit d'être réintégré dans son corps d'origine à l'une des trois premières vacances d'un emploi de son grade, sous réserve de la vérification de l'aptitude physique de l'intéressé à l'exercice de ses fonctions et du respect par celui-ci, pendant la période de mise en disponibilité, des obligations qui s'imposent à un fonctionnaire même en dehors du service. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour administrative d'appel de Bordeaux aurait commis une erreur de droit en jugeant que le CNRS était tenu de proposer à Mme A..., qui avait demandé à être réintégrée de façon anticipée, les postes éventuellement vacants correspondant à son grade avant l'issue de sa période de disponibilité pour convenances personnelles, ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, dès lors qu'il appartenait au CNRS de produire des éléments permettant au juge de constater qu'aucune vacance dans son grade ne pouvait lui être proposée, c'est sans dénaturation que la cour a pu estimer, au regard des éléments produits par la requérante, attestant de la vacance de plusieurs postes correspondant à son grade au printemps 2016, et en l'absence de tout élément produit par le CNRS, qu'il n'était pas établi qu'aucun poste vacant correspondant à ce grade ne permettait d'envisager la réintégration de Mme A... à compter du 1er juillet 2016.

5. En troisième lieu, le fonctionnaire titulaire régulièrement placé, sur sa demande, en position de disponibilité n'a pas rompu le lien qui l'unit a son corps et a donc droit, à l'issue de cette disponibilité, à y être réintégré et pourvu d'un emploi par des mesures qui, lorsque les modalités n'en sont pas définies par les dispositions statutaires qui lui sont applicables, doivent intervenir dans un délai raisonnable. Par suite, en jugeant que le CNRS n'était pas fondé à soutenir que seule était de nature à engager sa responsabilité la méconnaissance de l'obligation de proposer à Mme A... un poste correspondant à son grade dans un délai raisonnable, alors que les dispositions statutaires citées au point 2 étaient applicables à Mme A... et faisaient obligation à son administration de lui proposer l'une des trois premières vacances de poste correspondant à son grade, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que le CNRS n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

Sur le pourvoi principal :

7. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité des personnes publiques, l'agent public placé en position de disponibilité a droit à la réparation intégrale des préjudices de toute nature qu'il a effectivement subis du fait du refus illégal de faire droit à sa demande de réintégration et présentant un lien direct de causalité avec l'illégalité commise, y compris au titre de la perte de la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre, à l'exception des primes et indemnités seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions et déduction faite, le cas échéant, du montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction. Il est, le cas échéant, tenu compte des fautes commises par l'intéressé. Lorsque les préjudices causés par cette décision n'ont pas pris fin ou ne sont pas appelés à prendre fin à une date certaine, il appartient au juge de plein contentieux, forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, de lui accorder une indemnité versée pour solde de tout compte.

8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 4 avril 2017 le CNRS a adressé à Mme A... une proposition de réintégration, avec effet au 1er juin 2017, sur un poste correspondant à son grade. Il s'ensuit que les illégalités entachant les décisions de refus de réintégration des 21 mars et 18 juillet 2016, relevées par l'arrêt, n'ont pu ainsi préjudicier à Mme A... au-delà du 1er juin 2017. Par suite, en se fondant sur la seule circonstance que Mme A... n'avait pas demandé l'annulation de ces décisions pour en déduire qu'il lui appartenait d'allouer à cette dernière une indemnisation forfaitaire versée pour solde de tout compte, alors qu'il lui appartenait de lui allouer une indemnisation réparant intégralement les préjudices qu'elle avait subis au cours de cette période, la cour administrative d'appel de Bordeaux a méconnu les principes mentionnés au point 7 et commis une erreur de droit.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il lui a alloué une indemnisation pour solde de tout compte et, par voie de conséquence, en tant qu'il a statué sur les conclusions des parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CNRS la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme A... qui n'est pas, dans la présente instance devant le Conseil d'Etat, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi incident du CNRS est rejeté.
Article 2 : L'arrêt du 31 janvier 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé en tant, d'une part, qu'il a condamné le CNRS à verser à Mme A... une indemnité pour solde de tout compte et, d'autre part, statué sur les conclusions des parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 4 : Le CNRS versera à Mme A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées sur le fondement de ces mêmes dispositions par le CNRS sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au Centre national de la recherche scientifique.


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