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Ariane Web: Conseil d'État 472622, lecture du 19 juillet 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:472622.20230719

Décision n° 472622
19 juillet 2023
Conseil d'État

N° 472622
ECLI:FR:CECHR:2023:472622.20230719
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé , président
Mme Flavie Le Tallec, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public
MAUGUERE, avocats


Lecture du mercredi 19 juillet 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE




Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 2300700 du 30 mars 2023, enregistré le 31 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Dijon, avant de statuer sur la demande de M. D... tendant à la condamnation du centre hospitalier de Cosne-Cours-sur-Loire et du centre hospitalier de Nevers à lui verser une somme globale de 657 658,92 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes formulées aux points 5 à 11 de sa décision :

1° Comment concilier le principe selon lequel il n'appartient pas au juge d'inviter l'auteur d'une requête à régulariser un défaut de liaison du contentieux et la règle selon laquelle la liaison du contentieux peut intervenir à tout moment jusqu'à ce que le juge statue -points notamment rappelés par M. B... dans ses conclusions rendues sur la décision n° 427923 du Conseil d'Etat du 23 septembre 2019- et quels sont les outils juridiques que le juge peut ou doit, d'office, mettre en oeuvre '

2° Lorsque, comme en l'espèce, ni dans la requête, ni dans les pièces qui l'accompagnent, le requérant ne fait état de l'existence d'une décision, expresse ou implicite, de l'administration statuant sur une demande formée devant elle et tendant au versement d'une somme d'argent ou même de l'existence d'une telle demande, le juge peut-il considérer, au vu des seuls éléments du dossier, que l'administration n'a pas pris de décision refusant de verser une somme d'argent et qu'ainsi le contentieux n'a pas été lié pour l'application du second alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative ' Peut-il notamment estimer que, dans un tel cas, l'article R. 612-1 de ce code n'a en tout état de cause pas à être mis en oeuvre dès lors que la notion d'" expiration du délai de recours " est inapplicable puisque, par définition, aucune décision de l'administration n'a permis d'enclencher ledit délai de recours ' Le juge peut-il alors décider que la requête est manifestement irrecevable et la rejeter directement par ordonnance sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative '

3° Dans l'hypothèse mentionnée au point 6, le juge doit-il, au contraire, considérer que les conclusions tendant à la condamnation de l'administration au versement d'une somme d'argent doivent être regardées comme des conclusions entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte " en cours d'instance ", au prix d'une interprétation plus souple de l'article R. 612-1 du code de justice administrative ' Mais, dans ce cas, quel type d'" invitation à régulariser " le juge peut-il effectuer auprès du requérant ' Doit-il, alors même que le défaut de liaison du contentieux n'a en principe pas à faire l'objet d'une telle initiative de sa part, inviter le requérant à déposer une demande préalable ' Et, dans le cas où ce dernier produit la preuve qu'il a accompli une telle démarche, même postérieurement à l'introduction de la requête, le juge doit-il considérer que la requête est régularisée au sens de l'article R. 612-1 et qu'il ne peut plus la rejeter par ordonnance '

4° En cas de réponse négative aux deux dernières questions posées au point 7, le juge peut-il simplement inviter l'auteur de la requête à " régulariser " ses conclusions en lui demandant de produire la preuve de la " liaison du contentieux " ' A tout le moins, le juge peut-il ou doit-il s'assurer que l'absence de toute mention, au dossier, de l'existence d'une décision de l'administration ou d'une demande ne procède pas d'une simple omission matérielle et, dans ce cas, peut-il ou doit-il inviter le requérant à régulariser sa requête en produisant la décision expresse de l'administration ou, lorsque cette décision est implicite, la preuve du dépôt d'une demande indemnitaire '

5° En cas de réponse positive aux questions posées au point 8, si le requérant, à l'expiration du délai fixé par la mesure de régularisation, n'a pas produit les pièces demandées, le juge peut-il, sans commettre d'irrégularité, rejeter la requête par ordonnance, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1, en estimant que le requérant est réputé ne pas avoir effectué de demande indemnitaire et qu'ainsi celui-ci ne dispose pas, à la date à laquelle le juge statue, d'une décision de l'administration liant le contentieux '

6° En cas de réponse positive aux questions posées au point 8, dans le cas où le requérant produit la preuve qu'il a présenté une demande indemnitaire " récente " qui, lorsqu'elle est portée à la connaissance de la juridiction, n'a pas encore pu donner lieu à une décision implicite de rejet de la part de l'administration, le juge, même s'il n'y est pas tenu et que des considérations de bonne administration de la justice le conduiront, dans l'immense majorité des cas, à attendre la naissance d'une décision liant le contentieux, peut-il néanmoins, sans commettre d'irrégularité, décider de rejeter la requête, par ordonnance, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1, au motif qu'à la date à laquelle il statue, l'administration n'a pas pris de décision refusant de verser une somme d'argent '

7° Quelles que soient les réponses apportées aux points 6 à 10, de manière générale, et notamment lorsque le requérant a soumis au juge une requête " mixte " dans laquelle il présente, d'une part, des conclusions, recevables, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif unilatéral et, d'autre part, des conclusions tendant à la condamnation de l'administration à lui verser une somme d'argent qui apparaissent irrecevables au motif que le contentieux n'a pas été lié, le président de la formation de jugement peut-il mettre en oeuvre les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, à une date proche de l'audience, en informant les parties de ce qu'une partie du jugement est susceptible d'être fondée sur un moyen, relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin de condamnation au motif que le requérant n'a pas présenté de demande tendant au paiement d'une somme d'argent et qu'il ne justifie donc pas que l'administration a pris une décision refusant de lui verser une somme d'argent ou, au contraire, doit-il obligatoirement mettre en oeuvre les dispositions de l'article R. 612-1 '

Le centre hospitalier de Cosne-Cours-sur-Loire, le centre hospitalier de Nevers et la société Relyens mutual insurance ont présenté des observations enregistrées le 22 juin 2023.

La demande d'avis a également été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Dijon, à M. D... et au ministère de la santé et de la prévention, qui n'ont pas produit d'observations.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;

- La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado-Gilbert, avocat du centre hospitalier de Cosne-Cours-sur-Loire, du centre hospitalier de Nevers et de la société Relyens Mutual Insurance ;



REND L'AVIS SUIVANT

1. D'une part, aux termes de l'article L. 113-1 du code de justice administrative : " Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut, par une décision qui n'est susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu'à un avis du Conseil d'Etat ou, à défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai ".

2. D'autre part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, les premiers vice-présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours et les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance : 1° Donner acte des désistements ;/ 2° Rejeter les requêtes ne relevant manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative ;/ 3° Constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur une requête ;/ 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; / 5° Statuer sur les requêtes qui ne présentent plus à juger de questions autres que la condamnation prévue à l'article L. 761-1 ou la charge des dépens ; 6° Statuer sur les requêtes relevant d'une série, qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit, pour la juridiction saisie, des questions identiques à celles qu'elle a déjà tranchées ensemble par une même décision devenue irrévocable, à celles tranchées ensemble par une même décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux ou examinées ensemble par un même avis rendu par le Conseil d'Etat en application de l'article L. 113-1 et, pour le tribunal administratif, à celles tranchées ensemble par un même arrêt devenu irrévocable de la cour administrative d'appel dont il relève ;/ 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé./ Les présidents des cours administratives d'appel, les premiers vice-présidents des cours et les présidents des formations de jugement des cours, ainsi que les autres magistrats ayant le grade de président désignés à cet effet par le président de la cour peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter les conclusions à fin de sursis à exécution d'une décision juridictionnelle frappée d'appel, les requêtes dirigées contre des ordonnances prises en application des 1° à 5° du présent article ainsi que, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire les requêtes d'appel manifestement dépourvues de fondement. Ils peuvent, de même, annuler une ordonnance prise en application des 1° à 5° et 7° du présent article à condition de régler l'affaire au fond par application des 1° à 7° ".

3. Les dispositions de l'article R. 222-1 rappelées au point précédent énumèrent limitativement les cas dans lesquels les magistrats qu'elles désignent peuvent statuer par ordonnance. Elles ne leur ouvrent pas la faculté de saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur le fondement des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative.

4. La présente demande d'avis, adressée au Conseil d'Etat par un magistrat ayant statué seul, sans audience publique, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, est par suite irrecevable.

Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Dijon, à M. A... D..., au centre hospitalier de Cosne-Cours-sur-Loire, au centre hospitalier de Nevers et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'or.

Il sera publié au Journal officiel de la République française.


Délibéré à l'issue de la séance du 26 juin 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat et M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 19 juillet 2023


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé


La Maître des Requêtes en service extraordinaire-Rapporteure :
Signé : Mme Flavie Le Tallec


Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras



Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :







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