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Ariane Web: Conseil d'État 488177, lecture du 12 septembre 2023, ECLI:FR:CEORD:2023:488177.20230912

Décision n° 488177
12 septembre 2023
Conseil d'État

N° 488177
ECLI:FR:CEORD:2023:488177.20230912
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du mardi 12 septembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B... et M. C... D... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 6 septembre 2023 par lequel le préfet de police a interdit la représentation de leur spectacle prévu au Zénith de Paris - La Villette le 14 septembre 2023.

Par une ordonnance n°s 2320633, 2320676 du 11 septembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes.

1° Sous le n° 488177, par une requête, enregistrée le 11 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de suspendre l'arrêté du préfet de police en date du 6 septembre 2023 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la notification tardive de l'interdiction, quelques jours avant la tenue du spectacle, entraîne une grave désorganisation et suppose d'informer le responsable de la gestion de la salle et le public et qu'elle est à l'origine d'une perte de revenus ;
- contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, la situation d'urgence n'a pas disparu du fait de la résiliation du contrat de location de salle du Zénith Paris - La Villette, alors qu'il n'appartient pas au juge des référés de trancher un litige qui relève du juge judiciaire et qu'en tout état de cause, cette résiliation est contestée et une saisine en référé d'heure à heure a été introduite devant le président du tribunal de commerce à cet effet ;
- la mesure d'interdiction prononcée porte une atteinte grave à la liberté de réunion, à la liberté d'expression et à la liberté d'opinion ;
- cette atteinte est manifestement illégale en l'absence de risques de troubles à l'ordre public caractérisés.


2° Sous le n° 488195, par une requête, enregistrée le 11 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-2 du même code :

1°) d'annuler l'ordonnance du 11 septembre 2023 ;

2°) de suspendre l'arrêté du 6 septembre 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de laisser se dérouler la représentation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie du fait de la proximité entre la mesure d'interdiction et la date à laquelle le spectacle doit se tenir, de l'atteinte portée à la liberté, notamment à la liberté d'expression artistique, et des conséquences financières de l'annulation du spectacle ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Paris ne pouvait pas se fonder sur la résiliation du contrat de location de la salle pour écarter la condition d'urgence, dès lors que cette résiliation n'est ni certaine ni acquise puisque dépendant d'un recours devant le tribunal de commerce, qu'il s'agit d'un rapport de droit privé qui ne le concerne pas et que la protection des libertés publiques et des grandes valeurs doit prévaloir ce qui justifie de l'utilité du recours même si le spectacle ne pourrait pas se tenir pour cause de rapport contractuel vicié ;
- l'interdiction litigieuse porte atteinte à la liberté d'expression, à la liberté de réunion et à la liberté de travailler ;
- l'atteinte portée est grave et manifestement illégale, l'interdiction prononcée relevant du procès d'intention et n'étant ni justifiée ni adaptée ni proportionnée alors que les risques de trouble à l'ordre public allégués ne sont pas avérés et qu'il ne tient, comme en atteste le contenu du spectacle transmis au préfet, aucun propos de nature à porter atteinte à la dignité humaine.



Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article, la circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale serait avérée n'étant pas de nature, par elle-même, à caractériser l'existence d'une situation d'urgence.

3. Par un arrêté du 6 septembre 2023, le préfet de police a interdit la représentation du spectacle de M. D... intitulé " La Cage aux fous ", programmé le 14 septembre 2023 au Zénith Paris - La Villette, à Paris, et qui est écrit et interprété conjointement avec M. B.... Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, M. B... et M. D... relèvent appel de l'ordonnance du 11 septembre 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté leurs demandes tendant à la suspension de l'exécution de cet arrêté.

4. Si, pour justifier d'une situation d'urgence, M. B... et M. D... se prévalent de la proximité de la date à laquelle leur spectacle conjoint devait se tenir, des conséquences financières de sa non-tenue et d'atteintes portées à des libertés fondamentales, il résulte de l'instruction conduite par le juge des référés du tribunal administratif de Paris que, par un courrier du 6 septembre 2023 adressé à la société productrice de ce spectacle, la société Zénith de Paris a résilié avec effet immédiat le contrat la liant à la société productrice du spectacle en vue de la location de la salle du Zénith de Paris - La Villette le 14 septembre 2023, au motif du non-respect de plusieurs obligations contractuelles, et a en conséquence publié sur son site internet la mention de l'annulation du spectacle. Si les requérants font valoir qu'ils ont introduit une requête aux fins d'être autorisés à assigner la société productrice en référé d'heure à heure devant le président du tribunal de commerce de Paris, ils ne font état d'aucune décision du juge judiciaire qui serait intervenue à la date de la présente ordonnance et la décision de résiliation continue donc de faire obstacle à la tenue du spectacle, indépendamment de la mesure de sauvegarde sollicitée consistant en la suspension de l'exécution de l'interdiction préfectorale. Dans ces circonstances particulières et alors qu'il n'appartient pas de se prononcer, dans la présente instance, sur le litige distinct soumis au juge judiciaire quant à la validité de la résiliation contractuelle, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a estimé à bon droit que la condition d'urgence particulière requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'était pas remplie.

5. Il résulte de ce qui précède qu'il est manifeste que les appels de M. B... et de M. D... ne peuvent être accueillis. Par suite, il y a lieu de rejeter leurs requêtes, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris leurs conclusions à fins d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
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Article 1er : Les requêtes de M. B... et de M. D... sont rejetées.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et M. C... D....
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Fait à Paris, le 12 septembre 2023
Signé : Anne Courrèges