Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 488379, lecture du 21 septembre 2023, ECLI:FR:CEORD:2023:488379.20230921

Décision n° 488379
21 septembre 2023
Conseil d'État

N° 488379
ECLI:FR:CEORD:2023:488379.20230921
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. Jacques-Henri Stahl, président
M. Jacques-Henri Stahl, rapporteur
L.V.I AVOCATS ASSOCIES, avocats


Lecture du jeudi 21 septembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 et 21 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Rassemblement National demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la circulaire IOMA2322276J du 16 août 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer relative à l'attribution des nuances politiques aux candidats aux élections sénatoriales 2023, en tant qu'elle classe les nuances " RN " et " LRN " dans le bloc de clivage " extrême-droite " ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de modifier la grille de nuances figurant aux annexes 1 et 2 de la circulaire IOMA2322276J du 16 août 2023, avant le 24 septembre 2023, afin d'exclure les candidatures du Rassemblement National du bloc de clivage " extrême-droite " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- le juge des référés du Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître de sa demande, en vertu des dispositions de l'article R. 311-1 du code de justice administrative ;
- sa requête est recevable dès lors que, d'une part, elle a intérêt à agir et, d'autre part, elle produit une copie de son recours en excès de pouvoir contre la circulaire du 16 août 2023 introduit devant le Conseil d'Etat le 18 septembre 2023 ;
- que le mémoire en défense n'est pas recevable faute de délégation de signature habilitant son auteur à le signer ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, la circulaire attaquée préjudicie gravement à ses intérêts et, d'autre part, la classification proposée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer est de nature à porter gravement atteinte à la sincérité du scrutin des élections sénatoriales du 24 septembre 2023 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire contestée ;
- elle ne comporte pas la mention du prénom, du nom et de la qualité de son auteur, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle est entachée d'incompétence ;
- elle méconnaît le principe d'égalité, dès lors que le classement de certaines formations politiques met en évidence une différence de traitement entre les mouvances politiques ;
- elle porte atteinte à la sincérité du scrutin ;
- elle est entachée de détournement de pouvoir et méconnaît le principe d'impartialité ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à la classification retenue pour le Rassemblement National.


Par un mémoire en défense, enregistré le 20 septembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire contestée.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment ses articles 3 et 4 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 ;
- le décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Rassemblement National, et d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 21 septembre 2023, à 10 heures :

- les représentants de l'association Rassemblement National ;

- les représentants du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. En vertu du pouvoir d'organisation des services placés sous son autorité, le ministre de l'intérieur peut, pour la préparation et le déroulement des opérations électorales et en vue de la mise en oeuvre des deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés " Application élection " et " Répertoire national des élus " régis par les dispositions du décret du décret du 9 décembre 2014, établir une grille des nuances politiques destinée à permettre l'agrégation des résultats des élections nécessaire à l'information des pouvoirs publics et des citoyens.

3. A ce titre, le ministre de l'intérieur a adressé aux préfets et hauts-commissaires la circulaire contestée du 16 août 2023 relative à l'attribution des nuances aux candidats aux élections sénatoriales du 24 septembre 2023, qui prévoit qu'est attribuée une nuance, lors de l'enregistrement des candidatures, à chaque candidat ou liste de candidats, sur la base de deux grilles de nuances politiques qui figurent en annexes 1 et 2, une grille de 21 nuances pour les candidats et une grille de 22 nuances pour les listes. Ces nuances sont regroupées en six blocs de clivages, lesquels sont destinés à agréger les résultats des différentes nuances, dénommés " extrême gauche ", " gauche ", " autres ", " centre ", " droite ", " extrême droite ".

4. L'association Rassemblement National demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de cette circulaire en tant qu'elle prescrit le rattachement de la nuance politique " Rassemblement National " au bloc de clivages " extrême droite ".

5. A l'appui de sa demande, l'association requérante soutient que la circulaire contestée est entachée d'incompétence et ne satisfait pas aux exigences de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, que le rattachement de la nuance politique " Rassemblement National " au bloc de clivages " extrême droite " méconnaît le principe d'égalité devant la loi et entre les candidats, qu'il porte atteinte à la sincérité du scrutin, qu'il est entaché de détournement de pouvoir et d'erreur manifeste d'appréciation.

6. En l'état de l'instruction, aucun de ces moyens n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire contestée.

7. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence et sans qu'il y ait lieu, en tout état de cause, de se prononcer sur la recevabilité du mémoire en défense, la requête présentée par l'association Rassemblement National doit être rejetée, y compris ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de l'association Rassemblement National est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Rassemblement National et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la Première ministre.
Fait à Paris, le 21 septembre 2023
Signé : Jacques-Henri Stahl