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Ariane Web: Conseil d'État 470101, lecture du 24 octobre 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:470101.20231024

Décision n° 470101
24 octobre 2023
Conseil d'État

N° 470101
ECLI:FR:CECHR:2023:470101.20231024
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Audrey Prince, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP DELAMARRE, JEHANNIN;SCP DUHAMEL, avocats


Lecture du mardi 24 octobre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

La société Cathédrale d'Images a demandé au tribunal administratif de Marseille qu'il soit mis fin à l'exécution de la convention de délégation de service public relative à la gestion des carrières de Bringasses et de Grands Fonds conclue, le 23 avril 2010, entre la commune des Baux-de-Provence et la société Culturespaces. Par un jugement n° 1709656 du 24 juillet 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20MA03656 du 28 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille, sur appel de la société Cathédrale d'Images, a annulé ce jugement et mis fin à l'exécution de la convention de délégation de service public litigieuse à compter du 1er novembre 2023.

1° Sous le n° 470101, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire enregistrés les 29 décembre 2022, 8 mars et 11 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Culturespaces demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Cathédrale d'Images ;

3°) de mettre à la charge de la société Cathédrale d'Images la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 470157, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 janvier, 3 février et 26 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune des Baux-de-Provence demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses demandes d'appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Cathédrale d'Images la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Audrey Prince, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gury et Maître, avocat de la commune des Baux-de-Provence, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Culturespaces et à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de la société Cathédrale d'Images ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 octobre 2023, présentée par la société Culturespaces ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un avis d'appel public à candidature, publié le 28 mars 2009, la commune des Baux-de-Provence a lancé une procédure de mise en concurrence en vue de l'attribution d'une délégation de service public portant sur la gestion, et plus précisément sur la mise en valeur culturelle et touristique, du site des carrières des Bringasses et des Grands Fonds dont elle est propriétaire. Une convention a été conclue avec la société Culturespaces, le 23 avril 2010, pour une durée de dix ans, portée à quinze ans par un avenant du 5 juin 2012. Par un courrier du 28 juillet 2017, la société Cathédrale d'Images a sollicité de la commune des Baux-de-Provence qu'elle mette fin à l'exécution de cette convention de délégation de service public. Du silence de la commune est née une décision implicite de rejet. Par un jugement du 24 juillet 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté comme irrecevable la demande de la société Cathédrale d'Images tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution de la convention de délégation de service public. Par un arrêt du 28 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement et mis fin à l'exécution de la convention de délégation de service public à compter du 1er novembre 2023. Par deux pourvois qu'il y a lieu de joindre, la société Culturespaces et la commune des Baux-de-Provence demandent l'annulation de cet arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille.

Sur les pourvois :

2. Un tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat. S'agissant d'un contrat conclu par une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales, cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département.

3. Les tiers ne peuvent utilement soulever, à l'appui de leurs conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, que des moyens tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d'irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d'office ou encore de ce que la poursuite de l'exécution du contrat est manifestement contraire à l'intérêt général. A cet égard, les requérants peuvent se prévaloir d'inexécutions d'obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l'intérêt général. En revanche, ils ne peuvent se prévaloir d'aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise. En outre, les moyens soulevés doivent, sauf lorsqu'ils le sont par le représentant de l'Etat dans le département ou par les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, être en rapport direct avec l'intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut.

4. Saisi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution d'un contrat administratif, il appartient au juge du contrat d'apprécier si les moyens soulevés sont de nature à justifier qu'il y fasse droit et d'ordonner après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé.

5. Pour écarter les fins de non-recevoir opposées par la commune des Baux-de-Provence et la société Culturespaces à la demande de première instance de la société Cathédrale d'Images, la cour administrative d'appel s'est fondée sur l'atteinte portée par l'exécution de la convention en litige aux intérêts de la société du fait de sa " qualité de candidate potentielle, ancienne exploitante du site, et non de simple tiers à la convention en litige ". En statuant ainsi, alors que ni la circonstance que la société ait exploité le site par le passé, ni la circonstance qu'elle pourrait se porter candidate à une éventuelle réattribution de la délégation au terme de celle actuellement en cours ne suffisent à justifier qu'elle serait susceptible d'être lésée dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la poursuite de l'exécution de la convention, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, la société Culturespaces et la commune des Baux-de-Provence sont fondées à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la demande de la société Cathédrale d'Images :

8. A l'appui de sa demande, la société Cathédrale d'Images se prévaut de sa qualité d'ancien exploitant du site des carrières des Bringasses et des Grands Fonds dont l'exploitation fait l'objet de la convention en cours d'exécution entre la commune des Baux-de-Provence et la société Culturespaces et de l'intérêt qui serait le sien à se porter candidate à une éventuelle procédure de mise en concurrence en vue de la conclusion d'une nouvelle délégation de service public. Cette qualité et cet intérêt ne suffisent toutefois pas à justifier que la poursuite de l'exécution de la convention serait de nature à léser la société demanderesse dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine, de telle sorte qu'elle soit recevable à demander au juge du contrat de mettre fin à la poursuite de l'exécution de cette convention. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que l'exécution de la convention litigieuse porterait atteinte au droit de propriété dont dispose la société Cathédrale d'Images sur une parcelle voisine du site, cadastrée section AC n° 66, ou à un droit de propriété intellectuelle dont cette société serait titulaire. Enfin, si la société entend se prévaloir de la qualité de contribuable local, que lui confère la propriété d'un terrain sur le territoire de la commune, elle n'établit pas que la poursuite de l'exécution de la convention litigieuse serait susceptible d'emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité et, ainsi, de la léser d'une façon suffisamment directe et certaine.

9. Il résulte de ce qui précède que la société Cathédrale d'Images ne justifie pas être lésée dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la poursuite de l'exécution de la convention de service public conclue le 23 avril 2010. La demande qu'elle a présentée devant le tribunal administratif de Marseille n'est ainsi pas recevable et sa requête d'appel doit, par suite, être rejetée, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la demande de la commune des Baux-de-Provence tendant à ce qu'une pièce produite dans le cours de l'instruction soit écartée des débats.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Cathédrale d'Images le versement d'une somme de 3 000 euros à la société Culturespaces, d'une part, et d'une même somme à la commune des Baux-de-Provence, d'autre part, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Culturespaces et de la commune, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 28 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la société Cathédrale d'Images devant la cour administrative d'appel de Marseille est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Cathédrale d'Images au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La société Cathédrale d'Images versera une somme de 3 000 euros à la société Culturespaces et une somme de 3 000 euros à la commune des Baux-de-Provence au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Culturespaces, à la société Cathédrale d'Images et à la commune des Baux-de-Provence.


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