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Ariane Web: Conseil d'État 466696, lecture du 6 décembre 2023, ECLI:FR:CECHS:2023:466696.20231206

Décision n° 466696
6 décembre 2023
Conseil d'État

N° 466696
ECLI:FR:CECHS:2023:466696.20231206
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Isabelle de Silva, président
Mme Stéphanie Vera, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SCP MARLANGE, DE LA BURGADE;SARL CABINET BRIARD, avocats


Lecture du mercredi 6 décembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

L'association de défense et de protection de l'environnement de Blanzay (ADPEB), M. G... J..., le cabinet dentaire J..., M. A... D..., M. C... Q..., M. B... I..., M. T... M..., M. N... et Mme H... S..., M. L... R..., M. F... P... et M. O... K... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 24 avril 2017 par lequel la préfète de la Vienne a autorisé la société Eoliennes des Terres Rouges à installer et à exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Saint Pierre d'Exideuil (Vienne).

Par un jugement n° 1701512 du 28 février 2019, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 19BX01699 du 14 juin 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de l'association de défense et de protection de l'environnement de Blanzay et autres, annulé l'arrêté de la préfète de la Vienne du 24 avril 2017 en tant qu'il ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, ordonné la suspension de l'exécution de cet arrêté jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation, réformé ce jugement en ce qu'il avait de contraire à cet arrêt et rejeté le surplus des conclusions de la requête de l'association de défense et de protection de l'environnement de Blanzay et autres.

I. Sous le n° 466696, par un pourvoi et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 16 et 24 août 2022 et le 30 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Eoliennes des Terres Rouges demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il annule l'arrêté de la préfète de la Vienne en tant qu'il ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, suspend son exécution jusqu'à la délivrance d'une telle dérogation et réforme le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 28 février 2019 en ce qu'il a de contraire à cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de rejeter les conclusions de l'appel de l'association de défense et de protection de l'environnement de Blanzay et autres auxquelles la cour a fait droit ;

3°) de mettre à la charge de l'association de défense et de protection de l'environnement de Blanzay et autres la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


II. Sous le n° 466723, par un pourvoi, enregistré le 16 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt en tant qu'il annule l'arrêté de la préfète de la Vienne en tant qu'il ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L . 411-2 du code de l'environnement, suspend son exécution jusqu'à la délivrance d'une telle dérogation et réforme le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 28 février 2019 en ce qu'il a de contraire à cet arrêt.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de la société Eoliennes des Terres Rouges et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association de défense et de protection de l'environnement de Blanzay et autres ;

Vu, sous le n° 466696, la note en délibéré, enregistrée le 9 novembre 2023 présentée pour la société Eoliennes des Terres Rouges.


Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois de la société Eoliennes des Terres Rouges et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 24 avril 2017, la préfète de la Vienne a délivré à la société Eoliennes des Terres Rouges une autorisation unique pour la réalisation et l'exploitation de cinq aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Saint-Pierre-d'Exideuil (Vienne). Par un jugement du 28 février 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté présentée par l'association de défense et de protection de l'environnement de Blanzay et autres. Par un arrêt du 14 juin 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de l'association de défense et de protection de l'environnement de Blanzay et autres, annulé l'arrêté litigieux en tant qu'il ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, suspendu son exécution jusqu'à ce que cette dérogation soit, le cas échéant, accordée, réformé ce jugement en ce qu'il avait de contraire à cet arrêt et rejeté le surplus des conclusions de la requête de l'association de défense et de protection de l'environnement de Blanzay et autres. La société Eoliennes des Terres Rouges et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires se pourvoient en cassation contre cet arrêt dans la mesure où il annule l'arrêté de la préfète de la Vienne en tant qu'il ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, suspend son exécution jusqu'à la délivrance d'une telle dérogation et réforme le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 28 février 2019 en ce qu'il a de contraire à cet arrêt.

3. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I.- Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code: " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

5. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

6. Pour déterminer, enfin, si une dérogation peut être accordée sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de porter une appréciation qui prenne en compte l'ensemble des aspects mentionnés au point 4, parmi lesquels figurent les atteintes que le projet est susceptible de porter aux espèces protégées, compte tenu, notamment, des mesures d'évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire, et de l'état de conservation des espèces concernées.

7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu'en jugeant que l'autorisation litigieuse était illégale, faute de comporter la dérogation prévue par l'article L. 411-2 du code de l'environnement, au motif qu'il ne résultait pas de l'instruction que les mesures prévues par le pétitionnaire ou imposées par le préfet auraient été de nature à réduire à un niveau négligeable le risque que présentait le projet pour certaines espèces protégées alors qu'il lui appartenait d'apprécier si ce risque était suffisamment caractérisé, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit.

8. En second lieu, en estimant qu'il résultait de l'instruction que le projet litigieux était susceptible d'avoir un impact fort sur certaines espèces protégées et leurs habitats telles que la noctule de Leisler, la noctule commune, la pipistrelle de Nathusius, la sérotine commune, la pipistrelle de Kuhl, la pipistrelle commune, la grue cendrée et l'oedicnème criard, alors qu'elle relevait par ailleurs, s'agissant de la noctule de Leisler, de la noctule commune, de la grue cendrée et de l'oedicnème criard, en s'appuyant sur les conclusions des études naturaliste et chiroptérologique et sur l'étude d'impact, versées au dossier qui lui était soumis, que les impacts pour ces espèces étaient faibles, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une contradiction de motifs.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, que la société Eoliennes des Terres Rouges et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il annule l'arrêté de la préfète de la Vienne en tant qu'il ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, suspend son exécution jusqu'à la délivrance d'une telle dérogation et réforme le jugement du tribunal administratif de Poitiers en ce qu'il a de contraire à cet arrêt.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association de défense et de protection de l'environnement de Blanzay et autres la somme de 2 000 euros à verser à la société Eoliennes des Terres Rouges. Ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de cette dernière et de l'Etat qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 14 juin 2022 est annulé en tant qu'il annule l'arrêté de la préfète de la Vienne en tant qu'il ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, suspend son exécution jusqu'à la délivrance d'une telle dérogation et réforme le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 28 février 2019 en ce qu'il a de contraire à cet arrêt.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : L'association de défense et de protection de l'environnement de Blanzay et autres verseront à la société Eoliennes des Terres Rouges la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'association de défense et de protection de l'environnement de Blanzay et autres au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Eoliennes des Terres Rouges, à l'association de défense et de protection de l'environnement de Blanzay, première dénommée, à M. C... Q..., à Mme H... E... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.


Délibéré à l'issue de la séance du 9 novembre 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 6 décembre 2023.


La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :
Signé : Mme Stéphanie Vera

La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain