Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 488900, lecture du 21 décembre 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:488900.20231221

Décision n° 488900
21 décembre 2023
Conseil d'État

N° 488900
ECLI:FR:CECHR:2023:488900.20231221
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Sara-Lou Gerber, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public


Lecture du jeudi 21 décembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 octobre et 23 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'Union des syndicats de l'immobilier (UNIS) et l'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI) demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2023-796 du 18 août 2023 pris pour l'application de l'article 6 et de l'article 20-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et adaptant les dispositions des contrats types de location de logements à usage de résidence principale, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 1er alinéa de l'article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019, et des 1er et 3ème à 10ème alinéas du même article, dans leur rédaction issue de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ;
- la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 ;
- la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 ;
- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. A l'appui du recours pour excès de pouvoir qu'elles ont formé contre le décret du 18 août 2023 pris pour l'application de l'article 6 et de l'article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 et adaptant les dispositions des contrats types de location de logement à usage de résidence principale, l'Union des syndicats de l'immobilier (UNIS) et l'Union nationales des propriétaires immobiliers (UNPI) demandent que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1er alinéa de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi 86-1290 du 23 décembre 1986, dans sa rédaction issue de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, et de celles du 1er et des 3ème à 10ème alinéas du même article, dans leur rédaction issue de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

3. Aux termes de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains : " Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation ". L'article 20-1 de la même loi dispose que, dans le cas où le logement loué ne satisfait pas à la condition de décence fixée par l'article 6, le locataire peut demander au propriétaire sa mise en conformité sans qu'il soit porté atteinte à la validité du contrat en cours. Il prévoit également qu'à défaut d'accord entre les parties ou de réponse du propriétaire dans un délai de deux mois, le juge, saisi par l'une ou l'autre des parties, détermine le cas échéant, la nature des travaux à réaliser et le délai de leur exécution, et peut réduire le montant du loyer ou suspendre, avec ou sans consignation, son paiement et la durée du bail jusqu'à l'exécution de ces travaux. Dans sa rédaction issue de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, en vigueur jusqu'au 31 décembre 2024, l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que le logement décent doit en outre répondre à " un critère de performance énergétique minimale, défini par un seuil maximal de consommation d'énergie par mètre carré et par an ", défini par décret en Conseil d'Etat, selon un calendrier de mise en oeuvre échelonnée. Dans sa rédaction issue de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, entrant en vigueur le 1er janvier 2025, le premier alinéa du même article 6 dispose que le logement décent doit également répondre à " un niveau de performance minimal au sens de l'article L. 173-1-1 du code de la construction et de l'habitation ", lequel prévoit que les bâtiments ou parties de bâtiments à usage d'habitation sont classés selon sept niveaux de performance décroissants, en fonction de leur niveau de performance énergétique et de leur performance en matière d'émission de gaz à effet de serre. Dans leur rédaction issue de la même loi, les troisième à dixième alinéas du même article 6 disposent que " le niveau de performance d'un logement décent est compris, au sens de l'article L. 173-1-1 du code de la construction et de l'habitation, 1° A compter du 1er janvier 2025, entre la classe A et la classe F ; / 2° A compter du 1er janvier 2028, entre la classe A et la classe E ; / 3° A compter du 1er janvier 2034, entre la classe A et la classe D. / En Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion et à Mayotte, le niveau de performance d'un logement décent est compris, au sens du même article L. 173-1-1 : a) A compter du 1er janvier 2028, entre la classe A et la classe F ; / b) A compter du 1er janvier 2031, entre la classe A et la classe E. / Les logements qui ne répondent pas aux critères précités aux échéances fixés sont considérés comme non décents. "

4. L'UNIS et l'UNPI soutiennent que les dispositions citées au point 3, ajoutées à l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 par la loi du 8 novembre 2019 et par la loi du 22 août 2021, méconnaissent le droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

5. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Aux termes de son article 17 : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ". En l'absence de privation du droit de propriété, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

6. En premier lieu, les dispositions de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989, n'entraînent aucune privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789.

7. En second lieu, par sa décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a jugé, dans l'état du droit où les critères de décence d'un logement correspondaient à ceux fixés par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains citée au point 2, que l'obligation pour le propriétaire de mettre à disposition du locataire dont c'est l'habitation principale un logement décent, sous peine de se voir le cas échéant imposer par le juge saisi par le locataire la réalisation des travaux nécessaires à la mise en conformité du logement et, à défaut d'exécution, une réduction du loyer, répondait à l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent et ne dénaturait pas, par elle-même, le sens et la portée du droit de propriété.

8. Le critère supplémentaire de décence du logement introduit dans les dispositions de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et précisé par la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, tenant à la performance énergétique de celui-ci, répond également à l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent, en ce qu'il favorise l'amélioration du confort thermique des logements et la réduction de la part, dans le budget des ménages, des dépenses consacrées au chauffage ou, outre-mer, à la climatisation de ceux-ci. En outre, la loi du 8 novembre 2019 a prévu, à l'article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989, une exception à la faculté pour le juge d'ordonner des travaux visant à permettre le respect du seuil maximal de consommation d'énergie finale requis, lorsque le logement fait partie d'un immeuble soumis au statut de la copropriété et que le copropriétaire concerné démontre que, malgré ses diligences en vue de l'examen de résolutions tendant à la réalisation des travaux nécessaires, il n'a pu parvenir à un niveau de consommation énergétique inférieur au seuil maximal.

9. Si la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a ajouté, parmi les critères de décence d'un logement figurant à l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989, un critère tenant à sa performance en matière d'émissions de gaz à effet de serre, ces dispositions répondent à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement. Le législateur a prévu une mise en oeuvre échelonnée dans le temps de cette nouvelle obligation, qui s'applique au 1er janvier 2025 et au 1er janvier 2028 aux logements classés respectivement, par application des dispositions de l'article L. 173-1-1 du code de la construction et de l'habitation, comme " extrêmement peu performants " et " très peu performants ", les logements " peu performants " n'étant, quant à eux, concernés qu'à compter du 1er janvier 2034. La loi du 22 août 2021 a en outre modifié l'article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 afin d'ajouter à l'exception mentionnée au point précédent une impossibilité pour le juge d'ordonner la réalisation de travaux dans le cas où " le logement est soumis à des contraintes architecturales ou patrimoniales qui font obstacle à l'atteinte de ce niveau de performance minimal malgré la réalisation de travaux compatibles avec ces contraintes ".

10. Il résulte de ce qui est dit aux points 8 et 9 que les limitations apportées à l'exercice du droit de propriété par les dispositions contestées trouvent leur justification dans la poursuite d'objectifs à valeur constitutionnelle et n'apparaissent pas, eu égard à leur portée et aux modalités de leur mise en oeuvre, disproportionnées au regard des objectifs poursuivis.

11. Dans ces conditions, le grief tiré de ce que les dispositions contestées de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989, dans leur rédaction issue de la loi du 8 novembre 2019 puis de la loi du 21 août 2022, porteraient atteinte au droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne peut être regardé comme présentant un caractère sérieux.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'UNIS et l'UNPI, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'UNIS et l'UNPI.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union des syndicats de l'immobilier (UNIS), première requérante dénommée, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 21 décembre 2023.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Sara-Lou Gerber
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras


Voir aussi