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Ariane Web: Conseil d'État 461980, lecture du 10 janvier 2024, ECLI:FR:CECHS:2024:461980.20240110

Décision n° 461980
10 janvier 2024
Conseil d'État

N° 461980
ECLI:FR:CECHS:2024:461980.20240110
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Isabelle de Silva, président
M. Antoine Berger, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public


Lecture du mercredi 10 janvier 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er mars 2022 et 26 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société coopérative Unicoque et l'association nationale des producteurs de noisettes demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1902 du 29 décembre 2021 relatif à la sécurité des ouvrages hydrauliques autorisés, déclarés ou concédés en application du code de l'environnement ou du code de l'énergie ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;


Considérant ce qui suit :

1. La société coopérative Unicoque et l'association nationale des producteurs de noisettes demandent au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 29 décembre 2021 relatif à la sécurité des ouvrages hydrauliques autorisés, déclarés ou concédés en application du code de l'environnement ou du code de l'énergie, en tant que son article 2 modifie la définition figurant aux quatrième et cinquième alinéas de l'article R. 214-112 du code de l'environnement de la hauteur et du volume d'un ouvrage hydraulique.

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 214-2 du code de l'environnement : " Les installations, ouvrages, travaux et activités mentionnés à l'article L. 214-1 sont définis dans une nomenclature, établie par décret en Conseil d'Etat après avis du Comité national de l'eau, et soumis à autorisation ou à déclaration suivant les dangers qu'ils présentent et la gravité de leurs effets sur la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques compte tenu notamment de l'existence des zones et périmètres institués pour la protection de l'eau et des milieux aquatiques ". La rubrique 3.2.5.0 de la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités mentionnées à l'article L. 214-1 figurant au tableau annexé à l'article R. 214-1 du même code prévoit que sont soumis à autorisation les barrages de retenue et ouvrages assimilés relevant des critères de classement prévus à l'article R. 214-112. D'autre part, en vertu de l'article R. 214-117 du même code, les dispositions des articles R. 214-112 à R. 214-116 s'appliquent aux ouvrages hydrauliques relevant des rubriques 3.2.5.0 et 3.2.6.0 du tableau figurant à l'article R. 214-1.

3. Le décret attaqué a modifié les articles R. 214-112 et suivants du code de l'environnement relatifs à la sécurité et à la sûreté des ouvrages hydrauliques autorisés, déclarés et concédés afin de préciser les conditions dans lesquelles les conduites forcées sont soumises à la réalisation d'une étude de dangers et de prévoir diverses adaptations et mises en cohérence des règles relatives à la sécurité des ouvrages hydrauliques. Son article 2 a modifié l'article R. 214-112 du code de l'environnement, qui procède au classement des barrages de retenue et des ouvrages assimilés dans trois classes, A, B et C, selon leurs caractéristiques géométriques tenant compte de la hauteur de l'ouvrage, H, exprimée en mètres et du volume retenu, V, exprimé en millions de mètres cubes, pour remplacer la définition que donnaient ses quatrième et cinquième alinéas de la hauteur et du volume par une nouvelle définition. Ainsi, d'une part, les dispositions du quatrième alinéa qui prévoyaient qu'au sens de l'article R. 214-112 du code de l'environnement, on entend par " 1° 'H', la hauteur de l'ouvrage exprimée en mètres et définie comme la plus grande hauteur mesurée verticalement entre le sommet de l'ouvrage et le terrain naturel à l'aplomb du sommet " ont été remplacées par les dispositions suivantes : " 'H', la hauteur de l'ouvrage exprimée en mètres et définie comme la plus grande différence de cote entre le sommet de la crête de l'ouvrage et le terrain naturel au niveau du pied du barrage " et, d'autre part, au cinquième alinéa aux termes duquel on entend par " 2° 'V', le volume retenu exprimé en millions de mètres cubes et défini comme le volume retenu par le barrage à la cote de retenue normale ", la seconde phrase prévoyant que " Dans le cas des digues de canaux, le volume considéré est celui du bief entre deux écluses ou deux ouvrages vannés " a été remplacée par la phrase suivante : " Dans le cas des remblais latéraux à un bief, le volume considéré est celui du bief situé entre deux écluses ou deux ouvrages vannés ".

Sur la légalité externe :

4. En premier lieu, si les requérantes soutiennent que le décret litigieux aurait pour effet de soumettre certains ouvrages qui en étaient dispensés à un régime d'autorisation au titre des articles L. 214-2 à L. 214-6 du code de l'environnement, que seul le législateur aurait pu prévoir, il résulte de l'article L. 214-2 du code de l'environnement, cité au point 2, que le législateur a conféré au pouvoir réglementaire la compétence pour déterminer quels sont les installations, ouvrages, travaux et activités qui sont soumis à autorisation ou à déclaration. Le moyen ne peut donc qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 213-1 du code de l'environnement : " Le Comité national de l'eau a pour mission : 1° De donner son avis sur les circonscriptions géographiques des bassins et groupements de bassins et sur tout problème commun à deux ou plusieurs bassins ou groupements de bassin ; / 2° De donner son avis sur tous les projets d'aménagement et de répartition des eaux ayant un caractère national ainsi que sur les grands aménagements régionaux ; / 3° De donner son avis sur les projets de décret concernant la protection des peuplements piscicoles et conchylicoles ; / 4° De donner, sur proposition d'un comité consultatif constitué en son sein, son avis sur le prix de l'eau facturé aux usagers et la qualité des services publics de distribution d'eau et d'assainissement ".

6. Le décret litigieux, qui ne saurait, contrairement à ce qui est soutenu, être regardé comme concernant la protection des peuplements piscicoles et conchylicoles, n'est par suite pas au nombre des décisions qui doivent donner lieu à consultation du Comité national de l'eau en application de l'article L. 213-1 du code de l'environnement. Les associations requérantes ne sont, dès lors, pas fondées à soutenir que le décret qu'elles attaquent serait irrégulier faute d'avoir fait l'objet de la consultation préalable du Comité national de l'eau.

7. En troisième lieu, le décret attaqué a été pris après avis de la section des travaux publics du Conseil d'Etat. Il ressort des pièces produites par le ministre chargé de l'environnement que le Conseil d'Etat a délibéré sur le projet de décret le 21 décembre 2021, soit postérieurement aux consultations de la mission interministérielle de l'eau, du Conseil supérieur de l'énergie, du comité technique permanent des barrages et des ouvrages hydrauliques et du Conseil national d'évaluation des normes et à la consultation publique réalisée du 12 juillet au 13 août 2021. Dès lors, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le Conseil d'Etat n'aurait pas été consulté sur la version du projet de décret modifiée à la suite de ces consultations et, par suite, que les règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret auraient été méconnues.

8. En quatrième lieu, il résulte des termes de l'article 22 de la Constitution que les actes du Premier ministre sont contresignés par les ministres chargés de leur exécution. Ainsi, le contreseing d'un décret n'est requis que des ministres compétents pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles d'exécution découlant de ce texte. Aucune mesure réglementaire ou individuelle d'exécution du décret attaqué n'incombe au ministre chargé de l'agriculture et de l'alimentation. Le moyen tiré du défaut de contreseing de ce ministre doit, par suite, être écarté.

9. En cinquième lieu, ni les dispositions du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, en vertu desquelles toute décision prise par une administration doit comporter la signature de son auteur, ni aucun autre texte ou aucun principe n'imposent que, lorsqu'une telle décision fait l'objet d'une publication, cette signature figure sur le document tel qu'il est publié. Les requérantes ne sont, par suite, pas fondées à soutenir que le décret attaqué serait irrégulier au motif que, tel qu'il a été publié au Journal officiel de la République française, il ne fait pas apparaître la signature du Premier ministre et celle des ministres chargés de son exécution.


Sur la légalité interne :

En ce qui concerne la définition de la hauteur d'un ouvrage hydraulique :

10. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la notion de pied de l'ouvrage mentionnée au quatrième alinéa de l'article R. 214-112, tel que modifiée par l'article 2 du décret attaqué ne méconnaît pas l'objectif de clarté et d'intelligibilité de la norme, alors d'ailleurs que le dernier alinéa de cet article prévoit qu'un arrêté du ministre chargé de l'environnement " précise en tant que de besoin les modalités selon lesquelles H et V doivent être déterminés en fonction des caractéristiques du barrage et de son environnement (...) ".

11. En deuxième lieu, les dispositions du décret litigieux se sont bornées à clarifier la définition de la hauteur d'un ouvrage hydraulique et n'ont pas pour effet de faire obstacle à ce que des situations différentes continuent d'être traitées de manière différente, comme le prévoit d'ailleurs l'article 3 de l'arrêté du ministre chargé de l'environnement en date du 17 mars 2017, en vertu duquel la mesure de l'altitude du terrain naturel à l'emplacement du barrage est corrigée pour tenir compte, le cas échéant, de la pente du terrain naturel sur lequel est implanté le barrage. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions de l'article 2 du décret attaqué définissant la hauteur d'un barrage créent une rupture d'égalité pour les constructeurs et les gestionnaires selon que l'ouvrage est réalisé sur un terrain plat ou en pente. Elles ne sont pas non plus fondées à soutenir que la modification de cette définition serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'atteinte qu'elle porterait à la liberté d'entreprendre ou à la sécurité publique, ni, en tout état de cause, qu'elle méconnaîtrait les objectifs définis par l'article 2 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et aux articles L. 100-1 et suivants du code de l'énergie.

12. En troisième lieu, en vertu de l'article L. 221-6 du code des relations entre le public et l'administration, les mesures transitoires que l'autorité administrative investie du pouvoir réglementaire est tenue d'édicter lorsque l'application immédiate d'une nouvelle réglementation est impossible ou qu'elle entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause, peuvent consister à : " 2° Préciser, pour les situations en cours, les conditions d'application de la nouvelle réglementation ".

13. Il résulte des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 11, que la modification du quatrième alinéa de l'article R. 214-112 du code de l'environnement avait pour seul objet d'apporter une clarification sur la manière de calculer la hauteur d'un barrage et non d'en donner une nouvelle définition susceptible de modifier le classement de ces ouvrages dans les classes A, B et C. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le décret attaqué porte atteinte au principe de sécurité juridique, faute de prévoir des conditions particulières d'entrée en vigueur de son article 2.

En ce qui concerne la définition du volume des ouvrages hydrauliques :

14. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la modification par l'article 2 du décret attaqué de la deuxième phrase du 2° de l'article R. 213-122 du code de l'environnement, n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier le classement des barrages de retenue et ouvrages assimilés. Les requérantes ne sont dès lors pas fondées à soutenir que le décret attaqué serait entaché sur ce point d'une erreur manifeste d'appréciation.

15. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la requête de la société coopérative Unicoque et autre doit être rejetée.

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société coopérative Unicoque et autre est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société coopérative Unicoque, à l'association nationale des producteurs de noisettes, à la Première ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 décembre 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 10 janvier 2024.

La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo