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Ariane Web: Conseil d'État 492618, lecture du 19 mars 2024, ECLI:FR:CEORD:2024:492618.20240319

Décision n° 492618
19 mars 2024
Conseil d'État

N° 492618
ECLI:FR:CEORD:2024:492618.20240319
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du mardi 19 mars 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 14 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution tant du décret du 11 mars 2024 lui retirant ses fonctions de directrice de cabinet du préfet des Pyrénées-Orientales que du décret du 11 mars 2024 portant nomination de M. C... A... en qualité de sous-préfet, directeur de cabinet du préfet des Pyrénées-Orientales ;

2°) à titre provisoire et dans l'attente du jugement de l'affaire au fond, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre, dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 300 euros par jour de retard, toute mesure pour lui assurer une protection effective contre tout agissement de harcèlement moral dès la reprise de ses fonctions de directrice de cabinet du préfet des Pyrénées-Orientales à la fin de son arrêt de travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors, d'une part, que l'exécution des décisions attaquées ayant pour effet de lui retirer ses fonctions, lui fait perdre le bénéfice de son logement et de sa voiture de fonction constituant des éléments de sa rémunération, lui impose de déménager, d'autre part, que ces décisions qui s'inscrivent dans un contexte de harcèlement professionnel, vont mettre un frein à sa carrière dans la haute fonction publique, enfin, qu'elle va être nommée chargée de mission au secrétariat général du ministère de l'intérieur et des outre-mer sans véritable fonction ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;
- le décret mettant fin à ses fonctions a été adopté au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'elle n'a pas été mise à même de présenter utilement ses observations avant son adoption, en méconnaissance de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 ;
- le retrait de ses fonctions ne peut être légalement fondé sur le motif tiré, d'une part, du temps qu'elle a passé au poste de directrice de cabinet du préfet des Pyrénées-Orientales dès lors qu'elle n'a pas atteint la durée maximale prévue par le décret du 6 avril 2022 et, d'autre part, de l'ouverture de ce poste aux élèves de l'Institut national du service public ;
- les décrets contestés méconnaissent l'article L. 133-2 du code de la fonction publique dès lors que le retrait de ses fonctions est lié aux plaintes relatives à la situation de harcèlement moral qu'elle subit.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.
2. Il résulte des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

3. Mme B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de deux décrets du 11 mars 2024 dont l'un lui retire ses fonctions de directrice de cabinet du préfet des Pyrénées-Orientales et l'autre, porte nomination de M. A... en qualité de sous-préfet, directeur de cabinet du préfet des Pyrénées-Orientales.
4. Pour justifier de l'urgence à suspendre les décrets contestés, Mme B..., administratrice de l'Etat, soutient, tout d'abord, que la perte de ses fonctions actuelles, non seulement compromet sa carrière dans la haute fonction publique, mais la prive d'éléments de rémunération constitués d'un logement et d'une voiture de fonction, tout en lui imposant un déménagement. Elle fait également valoir que les décrets traduisent une forme d'impunité vis-à-vis de la situation de harcèlement moral qu'elle subit dans ses fonctions et qu'elle a dénoncée à son administration. Elle prétend enfin que sa nomination en qualité de chargée de mission auprès du secrétaire général du ministère de l'intérieur et des outre-mer aggravera son état de santé et portera atteinte à sa réputation, dès lors que cet emploi est dépourvu de véritable fonction. Toutefois, il ressort des pièces qu'elle a communiquées à l'appui de sa requête que, placée en arrêt maladie ordinaire depuis le 23 septembre 2023, elle n'est toujours pas, dans les circonstances actuelles, en état d'exercer ses fonctions de directrice de cabinet du préfet, que son traitement a été, après trois mois de placement en arrêt maladie, réduit de moitié à compter du 22 décembre 2023, et que le poste de chargée de mission qui lui a été proposé au secrétariat général du ministère devrait lui permettre de reprendre l'exercice d'une activité professionnelle et de bénéficier d'un accompagnement dans le cadre de son projet professionnel. Il s'ensuit qu'en l'état de l'instruction et compte tenu des justifications qu'elle a fournies, il n'apparaît pas que les décrets contestés, dont Mme B... ne peut utilement faire valoir, pour justifier de la condition d'urgence, qu'ils seraient illégaux, porteraient, de manière suffisamment grave et immédiate, une atteinte à sa situation de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, leur exécution soit suspendue sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la condition tenant à l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité des décrets contestés, que la requête de Mme B... ne peut qu'être rejetée sur le fondement de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du même code.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme D... B....
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Fait à Paris, le 19 mars 2024
Signé : Olivier Yeznikian