Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 491324, lecture du 26 avril 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:491324.20240426

Décision n° 491324
26 avril 2024
Conseil d'État

N° 491324
ECLI:FR:CECHR:2024:491324.20240426
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Nicole da Costa, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
AARPI LEHOUX CONDAMINE CAVELIER, avocats


Lecture du vendredi 26 avril 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B..., à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 juin 2023 par laquelle la rectrice de l'académie de Normandie a refusé de lui octroyer la protection fonctionnelle et à ce qu'il lui soit enjoint de la lui octroyer et de lui rembourser la somme de 1 907,52 euros au titre des frais d'avocat exposés à l'occasion de son audition libre par les services de police, a produit un mémoire, enregistré le 2 novembre 2023 au greffe du tribunal administratif de Caen, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2302069 du 24 janvier 2024, enregistrée le 30 janvier 2024 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Caen, avant qu'il soit statué sur la demande de M. B..., a décidé, en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 134-4 du code général de la fonction publique.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 134-1 du code général de la fonction publique : " L'agent public ou, le cas échéant, l'ancien agent public bénéficie, à raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire, dans les conditions prévues au présent chapitre ". Aux termes de l'article L. 134-4 du même code : " Lorsque l'agent public fait l'objet de poursuites pénales à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. / L'agent public entendu en qualité de témoin assisté pour de tels faits bénéficie de cette protection. / La collectivité publique est également tenue de protéger l'agent public qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale ". Il résulte de ces dispositions que le bénéfice de la protection fonctionnelle est ouvert non seulement aux agents publics faisant l'objet de poursuites pénales, c'est-à-dire à l'encontre desquels l'action publique a été mise en mouvement dans les conditions prévues à l'article 1er du code de procédure pénale, mais aussi aux agents publics entendus en qualité de témoin assisté, ou placés en garde à vue, ou qui se voient proposer une mesure de composition pénale, mais que, compte tenu du caractère limitatif des situations ainsi visées, il n'est pas ouvert aux agents entendus en audition libre.

3. A l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité qu'il soulève, M. B... soutient que la différence de traitement ainsi instituée par l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique méconnaît le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

5. Une personne ne faisant pas l'objet de poursuites pénales engagées dans les conditions prévues à l'article 1er du code de procédure pénale, mais qui est soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction, peut être entendue en audition libre en application de l'article 61-1 de ce code, ou placée en garde à vue en application de l'article 63-1 du même code, et a alors droit à l'assistance d'un avocat selon les modalités définies par ces articles. Une personne qui, sans être mise en examen, est nommément visée par un réquisitoire introductif ou supplétif peut être entendue en qualité de témoin assisté en application des articles 113-1 et 113-3 du même code, et bénéficie également, à ce titre, du droit d'être assistée par un avocat. Enfin, en application de l'article 41-2 de ce code, une personne ayant reconnu avoir commis un ou plusieurs des délits mentionnés par cet article et à qui est proposée une composition pénale a le droit de se faire assister par un avocat avant de donner son accord à cette proposition.

6. Les dispositions de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique sont applicables au présent litige. Elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte au principe d'égalité devant la loi à raison de la différence de traitement qu'elles instituent au détriment des agents publics entendus en audition libre par rapport à ceux placés dans les autres situations qu'elles mentionnent soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.



D E C I D E :
--------------

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et au ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Copie en sera adressée au Premier ministre ainsi qu'au tribunal administratif de Caen.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 avril 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Philippe Ranquet, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, Mme Sylvie Pellissier, conseillers d'Etat et Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat-rapporteure.


Rendu le 26 avril 2024.


Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Nicole da Costa
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin