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Ariane Web: Conseil d'État 502424, lecture du 29 mars 2025, ECLI:FR:CEORD:2025:502424.20250329

Décision n° 502424
29 mars 2025
Conseil d'État

N° 502424
ECLI:FR:CEORD:2025:502424.20250329
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. Philippe Ranquet, président
M. P Ranquet, rapporteur
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX, avocats


Lecture du samedi 29 mars 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

I. Sous le n° 502424, par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique enregistrés les 16, 25 et 26 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 3 mars 2025 par laquelle le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de l'autoriser à participer aux épreuves du concours professionnel pour le recrutement de magistrats du premier grade de la hiérarchie judiciaire pour la session 2025, ainsi que de la décision du 20 mars 2025 par laquelle la même autorité a rejeté son recours gracieux ;

2°) d'enjoindre au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice de l'autoriser à participer aux épreuves d'admissibilité prévues le 2 avril 2025 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, les épreuves d'admissibilité du concours auront lieu le 2 avril 2025, en deuxième lieu, la décision de refus d'admission à concourir porte une atteinte irréversible à ses droits et compromet ses perspectives professionnelles et, en dernier lieu, elle a démissionné de ses fonctions de dirigeante d'entreprise pour se consacrer intégralement à la préparation du concours ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- la décision contestée est entachée d'insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de droit, et méconnaît le principe d'égalité, dès lors que, d'une part, elle ne retient pas que son expérience de dirigeante d'entreprises, dont elle justifie par son relevé de carrière retraite, et de vice-présidente du tribunal des prud'hommes de Longjumeau, laquelle lui avait permis de se présenter aux épreuves du concours complémentaire en 2024, la qualifie particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires au sens des articles 23 et 24 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 et, d'autre part, elle entre en contradiction avec la politique de l'Ecole nationale de la magistrature de valorisation de la reconversion de chefs d'entreprise dans la magistrature ;
- elle ne tient pas compte de ce qu'il a déjà été satisfait à l'enquête de moralité auprès du commissariat de Guyancourt, qui a émis un avis favorable à la candidature.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2025, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.



II. Sous le n° 502426, par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique enregistrés les 16, 25 et 26 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 3 mars 2025 par laquelle le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de l'autoriser à participer aux épreuves du concours de recrutement de magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire pour la session 2025, ainsi que de la décision du 20 mars 2025 par laquelle la même autorité a rejeté son recours gracieux ;

2°) d'enjoindre au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice de l'autoriser à participer aux épreuves d'admissibilité prévues le 2 avril 2025 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elle soulève les mêmes moyens que sous le n° 502424, en tant qu'ils se rapportent à la décision du 3 mars 2025 par laquelle le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de l'autoriser à participer aux épreuves du concours de recrutement de magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire pour la session 2025.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2025, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A..., et d'autre part, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 27 mars 2025, à 14 heures :

- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A... ;

- Mme A... ;

- les représentants du ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 28 mars 2025 à 17 heures ;


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- le décret 72-255 du 4 mai 1972 modifié relatif à l'Ecole nationale de la magistrature ;
- l'arrêté du 7 juillet 2024 fixant les modalités d'inscription des candidats au concours professionnel prévues par l'article 22 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- l'arrêté du 18 octobre 2024 portant ouverture au titre de l'année 2025 du concours professionnel prévu par l'article 22 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- le code de justice administrative ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Aux termes de l'article 22 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Un concours professionnel est ouvert pour le recrutement de magistrats des second et premier grades de la hiérarchie judiciaire. / (...) Les conditions prévues au deuxième alinéa du présent article et aux articles 23 et 24 sont remplies au plus tard à la date de la première épreuve du concours. (...) ". L'article 23 de cette ordonnance précise que : " Le concours professionnel pour le recrutement de magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire prévu à l'article 22 est ouvert : 1° Aux personnes remplissant la condition prévue au 1° de l'article 17 et justifiant d'au moins sept années d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social les qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires (...) ". Aux termes de l'article 24 de la même ordonnance : " Le concours professionnel pour le recrutement de magistrats du premier grade de la hiérarchie judiciaire prévu à l'article 22 est ouvert : 1° Aux personnes remplissant la condition prévue au 1° de l'article 17 et justifiant d'au moins quinze années d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social les qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires (...) ".

3. Par deux décisions du 3 mars 2025, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a refusé d'autoriser Mme A... à participer aux épreuves du concours professionnel pour le recrutement des magistrats des premier et second grade de la hiérarchie judiciaire, session 2025, au motif que si elle était titulaire d'un master en droit, elle ne justifiait en revanche ni d'au moins quinze années ni même d'au moins sept années d'activités professionnelles dans le domaine juridique, administratif, économique ou social la qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, Mme A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de chacune de ces décisions ainsi que de celles du 20 mars 2025 par lesquelles ont été rejetés ses recours gracieux.

4. D'une part, l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que l'exécution de la décision soit suspendue sans attendre le jugement de la requête au fond. Au vu de l'imminence des épreuves du concours professionnel de recrutement des magistrats des premier et second grade organisé pour la session 2025, qui commencent le 2 avril 2025, et de l'irréversibilité, à compter de cette date, des effets particulièrement préjudiciables des décisions litigieuses pour Mme A..., la condition d'urgence doit, en l'espèce, être regardée comme remplie.

5. D'autre part, il résulte de l'instruction et des échanges à l'audience que, pour retenir ce motif, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice n'a accepté de prendre en compte, parmi les expériences dont se prévalait Mme A..., que ses fonctions de directrice générale de la société STOP Transport, exercées pendant trois ans, dès lors que celles-ci l'avaient conduite à assurer de manière habituelle, autonome et opérationnelle l'ensemble de la gestion des ressources humaines, supposant une grande maîtrise technique de plusieurs branches du droit et des procédures contentieuses devant le juge judiciaire. Toutefois, dès lors qu'il résulte aussi de l'instruction que le contenu des fonctions de directrice générale de la société Ambulances Saint-Jacques, exercées par la requérante pendant quinze ans et dix mois, ne présentent à cet égard aucune différence substantielle avec celles exercées à la société STOP Transport, le moyen tiré de ce que le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de prendre en compte également cette expérience au nombre des activités professionnelles dans le domaine juridique, administratif, économique ou social la qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires est propre, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions refusant de l'admettre à concourir pour le recrutement au premier comme au second grade.

6. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre l'exécution des décisions du 3 mars 2025 par lesquelles le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a refusé d'autoriser Mme A... à participer aux épreuves des concours professionnels pour le recrutement des magistrats du premier et du second grade de la hiérarchie judiciaire, ainsi que celle des décisions du 20 mars 2025 rejetant ses recours gracieux, et d'enjoindre au ministre de réexaminer, dans un délai de 24 heures, la situation de Mme A..., en vue de l'autoriser à participer aux épreuves de ces concours pour la session 2025.

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution des décisions du 3 mars 2025 du ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice refusant d'autoriser Mme A... à participer aux épreuves des concours professionnels pour le recrutement des magistrats du premier et du second grade de la hiérarchie judiciaire, ainsi que celle des décisions du 20 mars 2025 rejetant ses recours gracieux, est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice de réexaminer dans un délai de 24 heures la situation de Mme A... en vue de l'autoriser à participer aux épreuves des concours professionnels pour le recrutement des magistrats du premier et du second grade de la hiérarchie judiciaire pour la session 2025.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... A... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.
Fait à Paris, le 29 mars 2025
Signé : Philippe Ranquet