Conseil d'État
N° 501326
ECLI:FR:CECHS:2025:501326.20250505
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Isabelle de Silva, présidente
M. Bruno Bachini, rapporteur
Mme Maïlys Lange, rapporteure publique
DRAI ASSOCIÉS, avocats
Lecture du lundi 5 mai 2025
Vu la procédure suivante :
M. D... B... et M. C... A... ont, dans le cadre de leur renvoi devant la Cour des comptes afin qu'il soit statué sur leur responsabilité au titre de diverses infractions relevées dans la gestion de la chambre départementale d'agriculture de Loir-et-Cher, produit chacun un mémoire, enregistré le 4 décembre 2024 au greffe de la Cour des comptes, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, par lequel ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.
Par un arrêt n° S 2025-0088 du 6 février 2025, enregistré le 7 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre du contentieux de la Cour des comptes, avant de statuer sur le renvoi, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 131-16 et L. 131-17 du code des juridictions financières, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics.
Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et des mémoires distincts enregistrés le 1er avril 2025, M. B... et M. A... soutiennent, respectivement, que les dispositions des articles L. 131-16 et L. 131-17 du code des juridictions financières, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent le principe d'égalité issu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le principe de légalité des délits et des peines garanti par son article 8 ainsi que les principes de sécurité juridique et de prévisibilité et d'intelligibilité de la loi répressive.
Par un mémoire, enregistré le 28 février 2025, la Procureure générale près la Cour des comptes conclut au renvoi au Conseil constitutionnel de la question de constitutionnalité. Elle soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 sont remplies, et, en particulier, que les dispositions des articles L. 131-16 et L. 131-17 du code des juridictions financières sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et que la question, si elle n'est pas nouvelle, présente un caractère sérieux.
La question prioritaire de constitutionnalité a été transmise au Premier ministre et au ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code des juridictions financières, notamment ses articles L. 131-16 et L. 131-17 ;
- l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article L. 131-16 du code des juridictions financières, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics : " La juridiction peut prononcer à l'encontre du justiciable dont elle a retenu la responsabilité dans la commission des infractions prévues aux articles L. 131-9 à L. 131-14 une amende d'un montant maximal égal à six mois de rémunération annuelle de la personne faisant l'objet de la sanction à la date de l'infraction. / Toutefois, la commission de l'une des infractions prévues à l'article L. 131-13 ne peut conduire à prononcer une amende d'un montant supérieur à un mois de rémunération annuelle de la personne faisant l'objet de la sanction à la date de l'infraction. / Les amendes sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées et le cas échéant à l'importance du préjudice causé à l'organisme. Elles sont déterminées individuellement pour chaque personne sanctionnée ". En vertu de l'article L. 131-17 du même code : " Lorsque les personnes mentionnées aux articles L. 131-1 à L. 131-4 ne perçoivent pas une rémunération ayant le caractère d'un traitement ou d'un salaire, le montant de l'amende ne peut excéder la moitié de la rémunération annuelle correspondant à l'échelon le plus élevé afférent à l'emploi de directeur d'administration centrale ".
3. Les dispositions des articles L. 131-16 et L. 131-17 du code des juridictions financières, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, sont applicables au litige dont est saisie la Chambre du contentieux de la Cour des comptes et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
4. Le grief tiré de ce que ces dispositions, qui fixent le montant maximal de l'amende susceptible d'être prononcée par la Cour des comptes, d'une part, par référence à la rémunération annuelle du justiciable condamné lorsque celui-ci perçoit un traitement ou un salaire et, d'autre part, par référence à la rémunération annuelle correspondant à l'échelon le plus élevé afférent à l'emploi de directeur d'administration centrale lorsque celui-ci ne perçoit pas une rémunération ayant le caractère d'un traitement ou d'un salaire, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d'égalité devant la loi répressive qui découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, soulève une question présentant un caractère sérieux.
5. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 131-16 et L. 131-17 du code des juridictions financières, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D... B..., à M. C... A..., au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la Cour des comptes ainsi qu'au parquet général près la Cour des comptes.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 5 mai 2025.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme Magalie Café
N° 501326
ECLI:FR:CECHS:2025:501326.20250505
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Isabelle de Silva, présidente
M. Bruno Bachini, rapporteur
Mme Maïlys Lange, rapporteure publique
DRAI ASSOCIÉS, avocats
Lecture du lundi 5 mai 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. D... B... et M. C... A... ont, dans le cadre de leur renvoi devant la Cour des comptes afin qu'il soit statué sur leur responsabilité au titre de diverses infractions relevées dans la gestion de la chambre départementale d'agriculture de Loir-et-Cher, produit chacun un mémoire, enregistré le 4 décembre 2024 au greffe de la Cour des comptes, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, par lequel ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.
Par un arrêt n° S 2025-0088 du 6 février 2025, enregistré le 7 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre du contentieux de la Cour des comptes, avant de statuer sur le renvoi, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 131-16 et L. 131-17 du code des juridictions financières, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics.
Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et des mémoires distincts enregistrés le 1er avril 2025, M. B... et M. A... soutiennent, respectivement, que les dispositions des articles L. 131-16 et L. 131-17 du code des juridictions financières, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent le principe d'égalité issu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le principe de légalité des délits et des peines garanti par son article 8 ainsi que les principes de sécurité juridique et de prévisibilité et d'intelligibilité de la loi répressive.
Par un mémoire, enregistré le 28 février 2025, la Procureure générale près la Cour des comptes conclut au renvoi au Conseil constitutionnel de la question de constitutionnalité. Elle soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 sont remplies, et, en particulier, que les dispositions des articles L. 131-16 et L. 131-17 du code des juridictions financières sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et que la question, si elle n'est pas nouvelle, présente un caractère sérieux.
La question prioritaire de constitutionnalité a été transmise au Premier ministre et au ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code des juridictions financières, notamment ses articles L. 131-16 et L. 131-17 ;
- l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article L. 131-16 du code des juridictions financières, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics : " La juridiction peut prononcer à l'encontre du justiciable dont elle a retenu la responsabilité dans la commission des infractions prévues aux articles L. 131-9 à L. 131-14 une amende d'un montant maximal égal à six mois de rémunération annuelle de la personne faisant l'objet de la sanction à la date de l'infraction. / Toutefois, la commission de l'une des infractions prévues à l'article L. 131-13 ne peut conduire à prononcer une amende d'un montant supérieur à un mois de rémunération annuelle de la personne faisant l'objet de la sanction à la date de l'infraction. / Les amendes sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées et le cas échéant à l'importance du préjudice causé à l'organisme. Elles sont déterminées individuellement pour chaque personne sanctionnée ". En vertu de l'article L. 131-17 du même code : " Lorsque les personnes mentionnées aux articles L. 131-1 à L. 131-4 ne perçoivent pas une rémunération ayant le caractère d'un traitement ou d'un salaire, le montant de l'amende ne peut excéder la moitié de la rémunération annuelle correspondant à l'échelon le plus élevé afférent à l'emploi de directeur d'administration centrale ".
3. Les dispositions des articles L. 131-16 et L. 131-17 du code des juridictions financières, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, sont applicables au litige dont est saisie la Chambre du contentieux de la Cour des comptes et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
4. Le grief tiré de ce que ces dispositions, qui fixent le montant maximal de l'amende susceptible d'être prononcée par la Cour des comptes, d'une part, par référence à la rémunération annuelle du justiciable condamné lorsque celui-ci perçoit un traitement ou un salaire et, d'autre part, par référence à la rémunération annuelle correspondant à l'échelon le plus élevé afférent à l'emploi de directeur d'administration centrale lorsque celui-ci ne perçoit pas une rémunération ayant le caractère d'un traitement ou d'un salaire, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d'égalité devant la loi répressive qui découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, soulève une question présentant un caractère sérieux.
5. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 131-16 et L. 131-17 du code des juridictions financières, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D... B..., à M. C... A..., au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la Cour des comptes ainsi qu'au parquet général près la Cour des comptes.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 5 mai 2025.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme Magalie Café